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turellement plein d'un nombre infini d'idées confuses du vrai, que souvent il n'entrevoit qu'à demi; et rien ne lui est plus agréable que lorsqu'on lui offre quelqu'une de ces idées bien éclaircie et mise dans un beau jour. Qu'est-ce qu'une pensée neuve, brilante, extraordinaire? Ce n'est point, comme se le persua= dent les ignorants, une pensée que personne n'a jamais eue, ni dù avoir : c'est au contraire une pensée qui a dû venir à tout le monde, et que quelqu'un s'avise le premier d'exprimer. Un bon mot n'est bon mot qu'en ce qu'il dit une chose que chacun pensoit, et qu'il la dit d'une maniere vive, fine, et nouvelle. Considérons, par exemple, cette réplique si fameuse de Louis douzieme à ceux de ses ministres qui lui conseillerent de faire punir plusieurs personnes qui, sous le regne précédent, et lorsqu'il n'étoit encore que duc d'Orléans, avoient pris à tâche de le desser> vir. « Un roi de France, leur répondit-il, ne venge point les injures d'un duc d'Orléans ». D'où vient que ce mot frappe d'abord? N'est-il pas aisé de voir que c'est parcequ'il présente aux yeux une vérité que tout le monde sent, et qu'il dit, mieux que tous les plus beaux discours de morale, « qu'un grand prince, « lorsqu'il est une fois sur le trône, ne doit plus agir «par des mouvements particuliers, ni avoir d'autre « vae que la gloire et le bien général de son état?»

Veut-on voir au contraire combien une pensée fausse est froide et puérile? Je ne saurois rapporter

un exemple qui le fasse mieux sentir, que deux vers du poëte Théophile, dans sa tragédie intitulée Pyrame et Thisbé, lorsque cette malheureuse amante ayant ramassé le poignard encore tout sanglant dont Pyrame s'étoit tué, elle querelle ainsi ce poignard:

Ah! voici le poignard qui du sang de son maître
S'est souillé lâchement. Il en rougit, le traître.

Toutes les glaces du nord ensemble ne sont pas, à mon sens, plus froides que cette pensée. Quelle extravagance, bon Dieu! de vouloir que la rougeur du sang dont est teint le poignard d'un homme qui vient de s'en tuer lui-même soit un effet de la honte qu'a ce poignard de l'avoir tué! Voici encore une pensée qui n'est pas moins fausse, ni par conséquent moins froide. Elle est de Benserade, dans ses Méta= morphoses en rondeaux, où, parlant du déluge envoyé par les dieux pour châtier l'insolence de l'homme, il s'exprime ainsi :

Dieu lava bien la tête à son image.

Peut-on, à propos d'une aussi grande chose que le déluge, dire rien de plus petit ni de plus ridicule que ce quolibet, dont la pensée est d'antant plus fausse en toutes manieres, que le dieu dont il s'agit en cet endroit, c'est Jupiter, qui n'a jamais passé chez les païens pour avoir fait l'homme à son image, l'homme dans la fable étant, comme tout le monde sait, l'ouvrage de Prométhée.

Puisqu'une pensée n'est belle qu'en ce qu'elle est vraie, et que l'effet infaillible du vrai, quand il est bien énoncé, c'est de frapper les hommes, il s'ensuit que ce qui ne frappe point les hommes n'est ni bean ni vrai, ou qu'il est mal énoncé, et que par consé= quent un ouvrage qui n'est point goûté du public est un très méchant ouvrage. Le gros des hommes peut bien, durant quelque temps, prendre le faux pour le vrai, et admirer de méchantes choses: mais il n'est pas possible qu'à la longue une bonne chose ne lui plaise; et je défie tous les auteurs les plus mécontents du public de me citer un bon livre que le public ait jamais rebuté, à moins qu'ils ne mettent en ce rang leurs écrits, de la bonté desquels eux seuls sont persuadés. J'avoue néanmoins, et on ne le sauroit nier, que quelquefois, lorsque d'excellents ou= vrages viennent à paroître, la cabale et l'envie trouvent moyen de les rabaisser, et d'en rendre en ap parence le succès douteux : mais cela ne dure guere; et il en arrive de ces ouvrages comme d'un morceau de bois qu'on enfonce dans l'eau avec la main : il demeure au fond tant qu'on l'y retient; mais bientôt, la main venant à se lasser, il se releve et gagne le dessus. Je pourrois dire un nombre infini de pareilles choses sur ce sujet, et ce seroit la matiere d'un gros livre : mais en voilà assez, ce me semble, pour mar= quer au public ma reconnoissance et la bonne idée que j'ai de son goût et de ses jugements.

Parlons maintenant de mon édition nouvelle. C'est la plus correcte qui ait encore paru: et non seulement je l'ai revue avec beaucoup de soin, mais j'y ai retouché de nouveau plusieurs endroits de mes ouvrages; car je ne suis point de ces auteurs fuyant la peine, qui ne se croient plus obligés de rien rac= commoder à leurs écrits dès qu'ils les ont une fois donnés au public. Ils alleguent, pour excuser leur paresse, qu'ils auroient peur, en les trop remaniant, de les affoiblir, et de leur ôter cet air libre et facile qui fait, disent-ils, un des plus grands charmes du discours: mais leur excuse, à mon avis, est très mauvaise. Ce sont les ouvrages faits à la hâte, et, comme on dit, au courant de la plume, qui sont ordinairement secs, durs, et forcés. Un ouvrage ne doit point paroître trop travaillé, mais il ne sauroit être trop travaillé; et c'est souvent le travail même qui, en le polissant, lui donne cette facilité tant vantée qui charme le lecteur. Il y a bien de la différence entre des vers faciles et des vers facilement faits. Les écrits de Virgile, quoiqu'extraordinairement travaillés, sont bien plus naturels que ceux de Lucain, qui écrivoit, dit-on, avec une rapidité prodigieuse. C'est ordinairement la peine que s'est donnée un auteur à limer et å perfectionner ses écrits qui fait que le lecteur n'a point de peine en les lisant. Voiture, qui paroît aisé, travailloit extrêmement ses ouvrages. On ne voit que des gens qui font aisément des choses médiocres ;

mais des gens qui en fassent même difficilement de fort bonnes, on en trouve très pen.

Je n'ai donc point de regret d'avoir encore employé quelques unes de mes veilles à rectifier mes écrits dans cette nouvelle édition, qui est, pour ainsi dire, mon édition favorite: aussi y ai-je mis mon nom, que je m'étois abstenu de mettre à toutes les autres. J'en avois ainsi usé par pure modestie: mais aujour d'hui que mes ouvrages sont entre les mains de tout le monde, il m'a paru que cette modestie pourroit avoir quelque chose d'affecté. D'aillears j'ai été bien aise, en le mettant à la tête de mon livre, de faire voir par-là quels sont précisément les ouvrages que j'avoue, et d'arrêter, s'il est possible, le cours d'un nombre infini de méchantes pieces qu'on répand par-tout sous mon nom, et principalement dans les provinces et dans les pays étrangers. J'ai même, pour mieux prévenir cet inconvénient, fait mettre au commence= ment de ce volume une liste exacte et détaillée de tous mes écrits, et on la trouvera immédiatement après cette préface. Voilà de quoi il est bon que le lecteur soit instruit.

Il ne reste plus présentement qu'à lui dire quels sont les ouvrages dont j'ai augmenté ce volume. Le plus considérable est une onzieme satire que j'ai tout récemment composée, et qu'on trouvera à la suite des dix précédentes. Elle est adressée à M. de Valinmon illustre associé à l'histoire. J'y traite du

cour,

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