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idées saillantes qui devaient en assurer l'effet.

Ces remarques seraient susceptibles de beaucoup de développemens et d'explications. Mon dessein n'est pas de déprécier un poëte pour le quel le travail que j'ai fait atteste mon estime; mais d'avertir ses lecteurs qu'il y a un choix à faire dans ses ouvrages, comme dans ceux de tous les écrivains.

Je ne crois pas devoir m'attendre à des reproches de la part de ceux qui, par respect pour les mœurs, retranchent ou abrégent certaines pièces d'Horace; ils s'apercevront du soin avec lequel j'ai adouci les traits dangereux. Il est seulement deux odes que je n'ai point traduites, parceque Quintilien disait: Horatium in quibusdam nolim interpretari.

Malgré ces défauts, dont il faut convenir, Horace est un des écrivains qui ont le plus approché de la perfection, même dans plus d'un genre. Il connaissait toute l'étendue de son art, et il a parcouru tous les tons de sa lyre.

Quelques unes de ses odes ne sont vraisemblablement que des imitations; mais presque toutes présentent une magnificence d'expressions qui sera l'éternel désespoir des traducteurs.

J'avais d'abord été encore plus effrayé de la traduction des satires. Il s'agissait de rajeunir des plaisanteries qu'écrivait, il y a deux mille ans, l'esprit le plus délicat d'une cour très polie.

De ces plaisanteries, celles qui sont dans nos mœurs ont été trop répétées : celles qui sont étrangères à nos usages ne sont plus intelligibles; elles ont pour objet des personnages oubliés, des anecdotes inconnues, et il y a telle satire qui roule tout entière sur des ridicules qui ne sont pas les nôtres.

Mais, lorsque je me fus exercé à ce nouveau genre de travail, je m'aperçus que notre langue, abondante en tours familiers, se prêtait moins difficilement à la plaisanterie qu'à rendre la hardiesse des figures, la vivacité des tours, l'énergie des expressions, qui caractérisent les poésies lyriques d'Horace.

Les épîtres présentaient des difficultés d'une autre espèce.

Dans les odes il y a une plus grande variété de tons, plus d'harmonie, plus d'images, plus de chaleur, et par conséquent plus de ressources pour la poésie.

Les épîtres ne parlent que le langage de la raison, et dans un style presque toujours simple, sentencieux et concis. Horace avait donné à une partie de ses ouvrages le nom de Sermones, discours. Ce titre seul indique que ces pièces ne diffèrent d'un ouvrage en prose que par la mesure très peu marquée qu'il y a introduite. Il semble ne s'être assujetti à les écrire en vers que pour s'affranchir de l'obligation d'y mettre de la

méthode et de ménager ses transitions. Mais ce nom de prose mesurée, qu'Horace donnait à son ouvrage, serait une critique parmi nous: notre poésie exclut les locutions trop familières; et notre usage exige, même dans les écrits en vers, un ordre que les anciens n'ont presque jamais

observé.

Telles ont été les difficultés de ce travail. Peutêtre eût-il été mieux de s'en effrayer davantage; mais j'ai pensé qu'en modifiant quelques traits étrangers à nos mœurs, en ménageant quelques transitions qu'Horace n'eût pas négligées s'il eût écrit pour des lecteurs français, en variant là mesure des vers suivant la gravité des sujets, pour éviter la monotonie, cette imitation pourrait faire entrevoir quelques unes des beautés du modèle à ceux qui ne le connaissent pas : quant à ceux qui le connaissent, ils ne s'attendent pas à les trouver toutes dans une traduction. Ceux-ci seront les juges les plus éclairés de mes défauts, et en même temps més censeurs les moins sévères.

Je dois ajouter que j'ai eu pour coopérateur, dans la traduction des Épitres, un homme de lettres que j'ai autant de vanité que de plaisir à appeler mon frère *.

(*) M. Pierre Lebrun.

Je ne dirai qu'un mot sur l'Art poétique; c'est à la traduction de justifier la témérité de l'entreprise. Tous les gens de goût savent par cœur ce poëme, auquel il ne manque que plus d'ordre et de liaison. Boileau en a imité plusieurs passages. Emprunter son imitation, c'était mettre à côté de celle-ci des objets de comparaison qui en auraient encore plus fait sentir la médiocrité. D'ailleurs il n'a emprunté que ce qui était à sa convenance, et il l'a rendu avec une fidélité plus ou moins scrupuleuse. On a cherché à compenser par l'exactitude l'avantage qu'il faut céder à son talent.

On sait que les beautés d'Horace ont excité le zèle d'une infinité de traducteurs.

La traduction la plus ancienne dont les bibliographes fassent mention est celle de l'Art poétique translaté en rimes françaises, 1541. L'auteur

m'en est inconnu.

JACQUES PELLETIER, du Mans, publia, en 1645, l'Art poétique traduit en vers, et ensuite trois odes. La devise de cet écrivain était moins et meilleur. Il est remarquable que, dès ce tempslà, il proposait, dans la préface de son Art poé tique, un nouveau système d'orthographe, qui consistait à écrire conformément à la prononciation.

Voici un dixain qu'il adressait à son ouvrage :

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