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à faciliter, par leur active coopération, les moyens d'atteindre les plus nobles buts de l'existence humaine. Sous ce rapport, il n'y a donc rien de contradictoire en soi dans l'habitude où étaient les Grecs de réunir la théorie du droit et la théorie de la morale, comme formant un ensemble scientifiquement déterminé et complet, sous la dénomination commune d'éthique. Cependant une séparation de ces deux théories est, en principe, d'après leurs limites naturelles et les rapports qu'elles ont entre elles, non-seulement possible, mais tout à fait nécessaire, tant pour la conduite de la vie que pour la science.

A la vérité, l'idée du droit, dans les divers essais qui ont été tentés pour la réaliser en pratique, pour la faire apparaître dans la vie des peuples, a revêtu des formes très-différentes. Ces différences tiennent, soit au degré plus ou moins avancé de la civilisation de chaque peuple, soit à beaucoup d'autres circonstances extérieures. Mais nous trouvons toujours cette idée en liaison intime avec l'idée de l'état. Aussi le droit et l'état sont deux phénomènes historiques que nous ne rencontrons jamais isolés, mais toujours unis l'un à l'autre. La raison en est que c'est seulement dans l'état, c'est-à-dire seulement dans une réunion civile, bien ordonnée, d'hommes formant des peuples, grands ou petits, sous un pouvoir commun, extérieur, généralement reconnu, que l'idée du droit peut entrer en action. En effet, il est de l'essence du droit d'être, d'une manière quelconque, généralement reconnu comme tel, par l'universalité de ceux qui composent le peuple et forment l'état, et d'être, en conséquence, surveillé et garanti par la puissance publique, organe de cette universalité.

C'est là précisément la différence caractéristique la

plus tranchée qu'offrent extérieurement le droit et la morale. Car les deux doctrines, celle du droit et celle de la morale, se rencontrent en ceci qu'elles établissent des préceptes auxquels l'homme, en qualité d'être libre et raisonnable, doit se soumettre, lui et ses actions. Mais comme les préceptes de la morale, purement subjectifs, n'émanent que de l'individu et de sa conscience, ils ne sont surveillés, dans leur accomplissement, que par la conscience de l'individu, et ne reposent ainsi que sur une contrainte intérieure. Au contraire, les préceptes du droit, émanant de l'universalité de l'association civile, par conséquent de l'état, du peuple, sont aussi, comme lois universelles, sous la surveillance de cette universalité, puisque son organe, la puissance publique, contraint, au besoin, par des moyens extérieurs, à les observer.

Cette contrainte, exercée en vertu du droit, ne porte aucune atteinte à la dignité de la liberté humaine, et n'est point en contradiction avec elle. Car les préceptes du droit émanent des hommes mêmes qui ont à leur obéir et qui contribuent à former l'universalité, et apparaissent ainsi seulement comme une restriction imposée par la raison de chacun à sa li berté, restriction qui est la condition de la liberté juridique, partie importante de la liberté humaine.

S 2.

Droits et rapports de droit.

La réalisation de l'idée du droit exige nécessairement qu'on assigne d'une manière précise à chaque particulier, membre de la grande association juridique, de l'état, son cercle de liberté extérieure, sa sphère de droit dans les limites de laquelle il peut

et doit se mouvoir sans empêchement, en n'empiétant pas sur la sphère de liberté ou de droit qui appartient pareillement aux autres. Tant qu'il reste dans le cercle qui lui est ainsi tracé, il est dans son droit et l'état le protége contre tout empiétement tenté par d'autres. Car cet empiétement constitue un tort, une injustice, qui ne doit pas être soufferte.

Mais, réciproquement, chaque particulier doit s'engager à respecter la sphère de liberté extérieure, la sphère de droit des autres particuliers, et à s'abstenir de tout trouble, qui constituerait une injustice.

Par là se développe une chaîne continue de droits et de devoirs ou obligations réciproques des citoyens entre eux. Car les actions extérieures qui se renferment dans le cercle juridique assigné à un citoyen, et auxquelles il est ainsi autorisé sous la protection de l'état, forment ses droits (jura), qu'on nomme aussi, dans leurs manifestations particulières, facultés, facultés juridiques. Les devoirs qui y correspondent, qui partant sont imposés à d'autres, ne sont qu'une conséquence naturelle et nécessaire de ces droits. Les rapports particuliers, où se trouvent par là placés les uns à l'égard des autres les membres de la communauté juridique, s'appellent rapports de droit.

Maintenant, celui qui reconnaît, comme il le doit, tous les droits d'autrui, et qui en même temps accomplit ses propres devoirs, celui-là agit, se conduit avec droiture, est un homme droit, c'est-à-dire agit selon le droit, selon la justice.

Injuria ex eo dicta est, quod non jure fiat. Omne enim, quod non jure fit, injuria fieri dicitur. ULPIANUS, fr. 1, pr., D., XLVII, 10, De injur.

Justitia est constans et perpetua voluntas, jus suum cuique tribuendi.

Juris præcepta sunt hæc : honeste vivere, alterum non lædere, ; suum cuique tribuere. Pr. et § 1, I., 1, 1, De justit. et jure,

$ 3.

Droit public et privé.

Les rapports juridiques dans lesquels nous rencontrons l'homme, comme membre de l'état, sont de deux espèces.

Il se trouve d'abord, comme simple individu, visà-vis d'autres simples individus qui appartiennent également à l'état. Cette position donne lieu au développement d'une multitude de rapports de droit des particuliers entre eux, rapports qui ne semblent avoir d'importance prochaine et immédiate que pour ces particuliers, comme particuliers, privi, c'est-àdire singuli homines, privati, sans concerner immédiatement les intérêts de l'état tout entier. Aussi l'état abandonne plus ou moins le règlement de ces rapports aux particuliers eux-mêmes, et se contente de poser en général certains principes fixes, d'après lesquels ces rapports juridiques des particuliers seront reconnus et jugés, en tant que compatibles avec le bien commun et le but général du droit. Ces principes forment le droit privé, privatum jus, appelé aussi par les Romains jus civile.

Mais le particulier contribue aussi à former la société civile, l'état dont il est membre, et mérite, à ce point de vue, de fixer l'attention comme partie intégrante de cette universalité. De là le développement d'une foule de rapports de droit, qui, médiatement, touchent et intéressent aussi toujours plus ou moins ce particulier, non dans ses relations comme particulier avec d'autres particuliers, mais dans ses rela

tions avec l'ensemble de l'état. Ce sont donc des rapports juridiques de l'état lui-même, et les principes qui les régissent forment le droit public, publicum jus. Ce droit comprend et la constitution politique de l'état, avec l'organisation spéciale qui s'y rapporte, et la détermination des divers pouvoirs gouvernementaux, c'est-à-dire des pouvoirs qui sont accordés au chef constitutionnel de l'état, pour qu'il puisse agir, soit à l'intérieur, soit à l'extérieur, et gouverner conformément au but de l'association civile, ainsi que l'exposition des principes d'après lesquels ces pouvoirs gouvernementaux doivent être exercés.

Au reste, la ligne de séparation entre le droit public et le droit privé ne peut pas, on le conçoit facilement, être tracée si exactement, qu'il ne reste plusieurs points qui paraissent, d'un côté et sous un certain rapport, appartenir au jus privatum, et, d'un autre côté et sous un autre rapport, appartenir au jus publicum. C'est aussi un fait généralement observé que, dans les états dont le développement est encore peu avancé, beaucoup de points, qui appartiennent proprement au droit public, revêtent encore la forme du pur droit privé, et ne passent que peu à dans le cercle du droit public. Réciproquement, il est aussi pour un peuple certaines situations politico-religieuses, d'après lesquelles beaucoup de rapports juridiques, qui par leur nature appartiennent proprement au droit privé, prennent une forme qui rappelle plutôt le droit public. Ces deux résultats de l'expérience sont confirmés notamment par l'histoire du droit romain.

peu

Enfin, chaque homme en particulier se présente aussi et en même temps comme membre de la communauté religieuse à laquelle il se rattache par sa croyance. Il se trouve ainsi placé dans des rap

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