Page images
PDF
EPUB

préteur qui lui avait succédé. Tous étaient ses amis, tous devaient les suffrages du peuple à son argent et à ses intrigues. -L'accusateur. Cicéron était dans la force de l'âge. Il était candidat à l'édilité. La Sicile, où il avait exercé la questure, lui avait confié ses intérêts. C'était pour la première fois qu'il accusait. Tourmenté de ce nom de roi du barreau, que se donnait Hortensius lui-même, il avait résolu de le détrôner. Son cœur lui disait qu'il était né pour la gloire; mais il voulait la mériter en servant la patrie. Son ambition fut satisfaite. Hortensius n'osa se mesurer avec son jeune rival. Verrès se condamna luimême à l'exil; et le défenseur des Siciliens fut regardé comme le plus beau génie dont Rome pût se glorifier.

Les sept harangues dont cette grande cause est le sujet, renferment tous les genres d'éloquence; l'orateur s'y montre aussi naturellement sublime que gracieux et simple. Il descend même jusqu'à la plaisanterie, et, il faut bien le dire, jusqu'au calembourg. Car, j'en demande pardon à notre siècle, cette espèce d'esprit n'est pas de notre invention. Les anciens savaient aussi abuser de la ressemblance des termes, pour unir ensemble des idées qui n'ont entre elles aucun rapport. Peut-être n'y étaient-ils pas aussi habiles que nous. Avec notre talent de jouer sur le mot, que seraient devenus leurs pontifes? des faiseurs de ponts. Brutus aurait été le but de toutes les pointes; et les Asinius, les Porcius, les Bestia, auraient-ils eu un jour

1 Il faut se rappeler que le calembourg, aujourd'hui si dédaigné, était fort à la mode il y a vingt ans, époque à laquelle M. Gueroult a prononcé ce discours. Lui-même, on peut le dire, n'a jamais donné dans cet abus d'esprit, bien qu'il eût une conversation toujours animée d'une gaîté douce.

C. D.

de repos? Je ne prétends point que Cicéron, dans ses Verrines, n'ait jamais oublié cette maxime: Usez, n'abusez pas. Il serait difficile de l'approuver, lorsqu'il fait de Verrès un balai qui a nétoyé toute la Sicile, ou un pourceau qui se vautre dans la fange, parce que verrere signifie balayer, et que le mot verres est aussi le nom du plus immonde des animaux. Son jus verrinum 1 est cncore d'un plus mauvais goût. Je dois dire cependant, à la décharge de Cicéron, qu'il ne se donne pas pour l'auteur de ces jeux de mots, et qu'il les cite seulement comme des saillies échappées, dans la mauvaise humeur, aux Siciliens, à qui l'on pouvait bien permettre de se consoler, par quelques calembourgs, de tant de maux qu'ils avaient soufferts. Mais y aurait-il trop de complaisance à l'applaudir, lorsqu'il répond à Hortensius, qui, sur une question importante, avait prétendu ne pas le deviner: «Je m'étonne, car vous avez chez vous le sphinx?» Or, tout le monde sait que ce sphinx était une statue d'ivoire du plus grand prix, que Verrès, entre autres présens, avait donnée à son défenseur. Ce calembourg ne vaut-il pas les meilleurs de nos jours? Au reste, je conviens que dans cette partic nous l'emportons sur les anciens, et que nous y avons fait des progrès vraiment extraordinaires, et désespérans pour nos neveux. Je renonce donc pour Cicéron à la supériorité en ce genre de gloire; mais il va reprendre ses avantages.

Quelle variété de formes oratoires, quelle richesse de détails, quelle force tour à tour et quelle grâce de style dans la narration de tant de larcins dont le fond est toujours le même! Avec quel art il sait prévenir la satiété! Comme

⚫ Quel rapport entre du jus de cochon et la justice de Verrès ?

il tient toujours les esprits attentifs, étonnés des forfaits qu'ils viennent d'entendre, et impatiens de connaître si cet infatigable brigand, qui semblait croire qu'il n'avait commis aucun crime, quand il en restait à commettre, rencontrera enfin un terme où s'arrêtera sa scélératesse!

Avec quelle flexibilité l'orateur met en jeu les ressorts de son éloquence, soit qu'il veuille soulever l'indignation, soit qu'il ait besoin d'émouvoir la pitié! Écoutez avec quelles foudroyantes menaces il se présente devant les protecteurs dé Verrès.

Ici M. Gueroult citait une brillante paraphrase des chapitres XII et xiii de la première action contre Verrès; puis il continuait ainsi :)

C'est dans sa première harangue que l'orateur fait retentir cette déclaration de guerre. Ne craignez pas que son énergie s'affaiblisse; il lui a été donné de se surpasser dans son indignation, à mesure que Verrès se surpassera dans ses attentats.

Je m'étais proposé de vous présenter le tableau du plus grand des crimes, de vous montrer un citoyen romain attaché à une croix, par l'ordre du préteur de la Sicile, aux portes de l'Italie, devant la terre de la liberté. Mais ce tableau, qui tout à la fois excite et l'horreur et la pitié, je l'ai revu dans le Cours de Littérature, tel que l'aurait gravé le burin le plus vigoureux. J'ai brisé mes trop faibles crayons. M. de Laharpe a cru devoir seulement donner une idée de la brillante et pathétique apostrophe qui termine ces harangues. Il me semble qu'elle mérite d'autant plus d'être connue, qu'on y retrouve et l'esprit religieux des Romains, et la belle âme de l'orateur, et la récapitulation des plus odieux sacrilèges de l'accusé.

Voici comment j'ai tâché de la traduire. La lecture de ce morceau terminera cette séance.

Ici M. Gueroult lisait sa traduction de la péroraison de la dernière Verrine [de Suppliciis], et ajoutait :)

Lorsqu'Eschine vit les Rhodiens couvrir d'applaudissemens la harangue de Démosthène, qu'il leur venait de lire, il s'écria: «Que serait-ce donc si vous l'aviez entendu lui-même?» Que serait-ce, messieurs, si, au lieu d'une si faible traduction, je vous avais fait entendre les paroles mêmes de Cicéron?

DISCOURS

CONTRE Q. CÉCILIUS.

IN Q. CÆCILIUM

DIVINATIO.

« PreviousContinue »