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éducation, à orner l'éloquence de ses enfans qui devinrent de si grands hommes.

Elles devraient aussi savoir les quatre règles de l'arithmétique, vous vous en servirez utilement pour leur faire faire souvent des comptes. C'est une occupation fort épineuse pour beaucoup de gens; mais l'habitude prise dès l'enfance, jointe à la facilité de faire promptement, par le secours des règles, toutes sortes de comptes les plus embrouillés, diminuera fort ce dégoût. On sait assez que l'exactitude à compter souvent fait le bon ordre dans les maisons.

Il serait bon aussi qu'elles sussent quelque chose des principales règles de la justice; par exemple, la différence qu'il y a entre un testament et une donation; ce que c'est qu'un contrat, une substitution, un partage de cohéritiers; les principales règles du droit ou des coutumes du pays où l'on est, pour rendre ces actes valides; ce que c'est que communauté, ce que c'est que des biens meubles et immeubles. Si elles se marient, toutes leurs principales affaires rouleront là-dessus.

Mais en même-temps montrez-leur combien elles sont incapables d'enfoncer dans les difficultés du droit; combien le droit lui-même, par la faiblesse de l'esprit des hommes, est plein d'obscurités et de règles douteuses; combien la jurisprudence varie;

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combien tout ce qui dépend des juges quelque clair qu'il paraisse, devient incertain; combien les longueurs des meilleures affaires mêmes sont ruineuses et insupportables. Montrez-leur l'agitation du palais, la fureur de la chicane, les détours pernicieux et les subtilités de la procédure, les frais immenses qu'elle attire, la misère de ceux qui plaident, l'industrie des avocats, des procureurs et des greffiers, pour s'enrichir bientôt en appauvrissant les parties. Ajoutez les moyens qui rendent mauvaise par la forme, une affaire bonne dans le fond, les oppositions de maximes de tribunal à tribunal: si vous êtes renvoyé à la grand'chambre, votre procès est gagné; si vous allez aux enquêtes, il est perdu. N'oubliez pas les conflits de jurisdiction, et le danger où l'on est de plaider au conseil plusieurs années pour savoir où l'on plaidera. Enfin remarquez la différence qu'on trouve sou vent entre les avocats et les juges sur la même affaire; dans la consultation vous avez gain de cause, et votre arrêt ́vous condamne aux dépens.

Tout cela me semble important pour einpêcher les femmes de se passionner sur les affaires, et de s'abandonner aveuglément à certains conseils ennemis de la paix. Lorsqu'elles sont veuves, ou maîtresses de leur bien dans un autre état, elles doivent écou

ter leurs gens d'affaires, mais non pas se livrer à eux.

Il faut qu'elles s'en défient dans les procès qu'ils veulent leur faire entreprendre, qu'elles consultent les gens d'un esprit plus étendu et plus attentif aux avantages d'un accommodement et qu'enfin elles soient persuadées que la principale habileté dans les affaires est d'en prévoir les inconvéniens,

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et de savoir les éviter.

Les filles qui ont une naissance et un bien considérable ont besoin d'être instruites des devoirs des seigneurs dans leurs terres. Dites-leur donc ce qu'on peut faire pour empècher les abus, les violences, les chicanes, les faussetés si ordinaires à la campagne. Joignez-y les moyens d'établir de petites écoles, et des assemblées de charité pour le soulagement des pauvres malades. Montrez aussi le trafic qu'on peut quelquefois établir en certains pays pour y diminuer la misère, inais sur-tout comment on peut procurer au peuple une instruction solide et une police chrétienne. Tout cela demanderait un détail trop long pour être mis ici.

En expliquant les devoirs des seigneurs, n'oubliez pas leurs droits : dites ce que c'est que fiefs, seigneur dominant, vassal, hommage, rentes, dîmes inféodées, droit de champart, lods et ventes, indemnité, amorLissement et reconnaissances, papiers ter

riers, et autres choses semblables. Ces con naissances sont nécessaires, puisque le gouvernement des terres consiste entièrement dans toutes ces choses.

Après ces instructions qui doivent tenir la première place, je crois qu'il n'est pas inutile de laisser aux filles, selon leur loisir et la portée de leur esprit, la lecture des livres profanes qui n'ont rien de dangereux pour les passions: c'est même le moyen de les dégoûter des comédies et des romans. Donnez-leur donc des histoires grecques et romaines; elles y verront des prodiges de courage et de désintéressement. Ne leur laissez pas ignorer l'histoire de France, qui a aussi ses beautés; mêlez celle des pays voisins, et les relations des pays éloignés judicieusement écrites. Tout cela sert à agrandir l'esprit, et à élever l'ame à de grands sentimens, pourvu qu'on évite la vanité et l'affectation. On croit d'ordinaire qu'il faut qu'une fille de qualité qu'on veut bien élever apprenne l'italien et l'espagnol; mais je ne vois rien de moins utile que cette étude, à moins qu'une fille ne se trouvât attachée auprès de quelque princesse espagnole ou italienne, comme nos reines d'Autriche et de Médicis. D'ailleurs ces deux langues ne servent guère qu'à lire des livres dangereux, et capables d'augmenter les défauts des femmes; il y a beaucoup plus à perdre qu'à

gagner dans cette étude. Celle du latin serait bien plus raisonnable, car c'est la langue de l'église il y a un fruit et une consolation inestimable à entendre le sens des paroles de l'office divin, où l'on assiste si souvent. Ceux mêmes qui cherchent les beautés du discours en trouveront de bien plus parfaites et plus solides dans le latin que dans l'italien et dans l'espagnol, où règnent un jeu d'esprit et une vivacité d'imagination sans règle. Mais je ne voudrais faire apprendre le latin qu'aux filles d'un jugement ferme et d'une conduite modeste, qui sauraient ne prendre cette étude que pour ce qu'elle vaut, qui renonceraient à la vaine curiosité, qui cacheraient ce qu'elles auraient appris, et qui n'y chercheraient que leur édification.

Je leur permettrais aussi, mais avec un grand choix, la lecture des ouvrages d'éloquence et de poésie, si je voyais qu'elles en eussent le goût, et que leur jugement fût assez solide pour se borner au véritable usage de ces choses; mais je craindrais d'ébranler trop les imaginations vives, et je voudrais en tout cela une exacte sobriété : tout ce qui peut faire sentir l'amour, plus il est adouci et enveloppé, plus il me paraît dangereux.

La musique et la peinture ont besoin des mêmes précautions; tous ces arts sont du même génie et du même goût. Pour la inu

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