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Je peindrai le carnage inondant les sillons,
Les souverains armés et leurs fiers bataillons.
Déjà sont déployés les drapeaux d'Étrurie,
Déjà l'horrible guerre embrase l'Hespérie.
Viens; dans ce grand sujet, plus digne encor de toi,
Un théâtre plus vaste est ouvert devant moi.

Le vieux roi Latinus dans une paix profonde
Dès long-temps gouvernoit cette terre féconde.
La nymphe Marica, si chère aux Laurentins,
Et Faune, dieu champêtre adoré des Latins,
Lui donnèrent le jour; Faune eut Picus pour père;
Et du sang de Picus l'orgueil héréditaire
Remontoit à Saturne, aïeul de ses aïeux.
Un fils héritoit seul de ce nom glorieux,
Mais la mort l'enleva dans sa tendre jeunesse.
Espoir d'un si beau trône, une jeune princesse
A passé la saison de la virginité,

Et le temps pour l'hymen a mûri sa beauté.
Avant que sur ces bords parût le grand Énée,
Cent princes aspiroient à ce noble hyménée;
Turnus, le plus vaillant et le plus beau de tous
Brigue avec plus d'espoir le nom de son époux :
Il a pour lui son rang, sa vaillance, et la reine;'
Mais le destin s'oppose à cette illustre chaîne,
Et fait parler des dieux l'inflexible refus.

Au milieu du palais, de ses rameaux touffus
Un laurier étendoit l'ombrage pacifique;
Le peuple avec respect voyoit cet arbre antique

Ipse ferebatur Phoebo sacrasse Latinus,

Laurentesque ab eâ nomen posuisse colonis.
Hujus apes summum dense (mirabile dictu), (3
Stridore ingenti liquidum trans æthera vectæ,
Obsedêre apicem; et, pedibus per mutua nexis,
Examen subitum ramo frondente pependit.

Continuò vates: Externum cernimus, inquit,
Adventare virum, et partes petere agmen easdem
Partibus ex isdem, et summâ dominarier arce.

Præterea, castis adolet dum altaria tædis,

Et juxta genitorem adstat Lavinia virgo,

Visa (nefas) longis comprendere crinibus ignem,
Atque omnem ornatum flammâ crepitante cremari;
Regalesque accensa comas, accensa coronam
Insignem gemmis; tum fumida lumine fulvo
Involvi, ac totis vulcanum spargere tectis.
Id verò horrendum ac visu mirabile ferri:
Namque fore illustrem famâ fatisque canebant
Ipsam; sed populo magnum portendere bellum.

Aux lieux où de Laurente on fondoit les remparts, De Latinus, dit-on, il frappa les regards; Lui-même au dieu du jour consacra son feuillage : Laurente en prit son nom. Tel qu'un bruyant nuage, Un jour vint se poser sur l'un de ses rameaux Un essaim dont les pieds en mille et mille anneaux L'un par l'autre attachés à la branche pliante Montrèrent tout à coup une grappe pendante. Un prêtre saint alors fait entendre sa voix : « Mon dieu parle, dit-il, il m'inspire. Je vois » Des lieux d'où cet essaim guide sa colonie » Un peuple belliqueux marcher vers l'Ausonie: » Ils viennent; et bientôt, successeur de nos rois >> Leur chef au Latium dispensera des lois. » C'est peu dans tout l'éclat de sa pompe royale, Un jour auprès du roi, de sa main virginale, Sa fille présentoit l'encens aux immortels; ô terreur ! s'élançant des autels Le feu sacré saisit sa belle chevelure, De son auguste front embrase la parure, Son bandeau, sa couronne, éclatans de rubis, Parcourt en petillant ses superbes habits, D'un brûlant tourbillon l'embrasse toute entière, Et le temple étonné resplendit de lumière. L'augure est consulté: « Ce présage certain » Annonce, répond-il, un illustre destin; » Mais ce feu merveilleux, propice à Lavinie, » D'un vaste embrasement menace l'Ausonie. »

Tout à coup,

At rex, sollicitus monstris, oracula Fauni Fatidici genitoris adit, lucosque sub altâ Consulit Albuneâ, nemorum quæ maxima sacro Fonte sonat, sævamque exhalat opaca mephitim. Hinc Italæ gentes, omnisque OEnotria tellus, In dubiis responsa petunt. Huc dona sacerdos Cùm tulit, et cæsarum ovium sub nocte silenti Pellibus incubuit stratis, somnosque petivit, Multa modis simulacra videt volitantia miris, Et varias audit voces, fruiturque deorum Colloquio, atque imis Acheronta affatur Avernis. Hic et tum pater ipse petens responsa Latinus Centum lanigeras mactabat ritè bidentes, Atque harum effultus tergo stratisque jacebat Velleribus. Subita ex alto vox reddita luco est: Ne pete connubiis natam sociare Latinis, O mea progenies, thalamis neu crede paratis : Externi venient generi, qui sanguine nostrum Nomen in astra ferant, quorumque ab stirpe nepotes Omnia sub pedibus, quà sol utrumque recurrens Adspicit oceanum, vertique regique videbunt. Hæc responsa patris Fauni, monitusque silenti

Latinus s'épouvante; au temple paternel
Il vole du dieu Faune interroger l'autel,
Perce la sombre nuit de l'antique Albunée
Qu'entoure un noir marais d'une onde empoisonnée,
Et dont les flots sacrés épanchés en torrens
Font retentir des bois aussi vieux que le temps.
Là, cent peuples divers, cent nations lointaines
Viennent chercher du sort les réponses certaines;
Là, quand le prêtre aux dieux a présenté ses dons,
Et des béliers sacrés arraché les toisons,

Quand son corps assoupi presse leurs peaux sanglantes,
Il voit dans son sommeil mille formes errantes,
Il écoute leurs voix, commerce avec les dieux,
Interroge l'enfer, et fait parler les cieux.

Le roi pénètre au sein de ces forêts antiques,
Presse pendant la nuit les toisons prophétiques
Attend l'auguste oracle; et soudain une voix
Arrive jusqu'à lui du silence des bois :

<< Mon fils, chez les Latins ne choisis point un gendre;
>> Un étranger viendra (ton sort est de l'attendre),
>> Qui par ses nobles faits, son bras victorieux,

>> Portera jusqu'au ciel notre nom glorieux,

>> Dont les fiers descendans vaincront plus de contrées

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» Que l'astre étincelant des voûtes azurées

» N'en découvre sous lui, quand du trône des airs
» Il embrasse les cieux, les pôles et les mers. »
Le roi ne cache point la fatale réponse;
Déjà la Renommée à cent peuples l'annonce,

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