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saints en montrant le détail de leurs sentiments et de leurs actions. Nous avons là-dessus une fausse politesse semblable à celle de certains provinciaux qui se piquent de bel esprit ils n'osent rien. dire qui ne leur paroisse exquis et relevé ; ils sont toujours guindés, et croiroient se trop abaisser en nommant les choses par leurs noms. Tout entre dans les sujets que l'éloquence doit traiter. La poésie même, qui est le genre le plus sublime, ne : réussit qu'en peignant les choses avec toutes leurs circonstances. Voyez Virgile représentant les navires troyens qui quittent le rivage d'Afrique, ou qui arrivent sur la côte d'Italie; tout le détail y est peint. Mais il faut avouer que les Grecs poussoient encore plus loin le détail, et suivoient plus sensiblement la nature. A cause de ce grand détail, bien des gens, s'ils l'osoient, trouveroient Homère trop simple. Par cette simplicité si originale, et dont nous avons tant perdu le goût, ce poëte a beaucoup de rapport avec l'écri ture; mais l'écriture le surpasse autant qu'il a surpassé tout le reste de l'antiquité pour peindre naïvement les choses. En faisant un détail, il ne faut rien présenter à l'esprit de l'auditeur qui ne mérite son attention, et qui ne contribue à l'idée qu'on veut lui donner. Ainsi · il faut être judicieux pour le choix des circonstances, mais il ne faut point craindre de dire tout ce qui sert; et c'est une politesse mal entendue que de supprimer certains endroits utiles, parcequ'on ne les trouve pas susceptibles d'ornements, outre qu'Homère nous ap prend assez, par son exemple, qu'on peut embellir en leur manière tous les sujets. D'ailleurs, il faut reconnoître que tout discours doit avoir ses inégalités: il faut être grand dans les grandes choses; il faut être simple

sans être bas dans les petites; il faut tantôt de la naïveté et de l'exactitude, tantôt de la sublimité et de la véhémence. Un peintre qui ne représenteroit jamais que des palais d'une architecture somptueuse ne feroit rien de vrai et lasseroit bientôt. Il faut suivre la nature dans ses variétés après avoir peint une superbe ville, il est souvent à propos de faire voir un désert, et des cabanes de bergers. La plupart des gens qui veulent faire de beaux discours cherchent sans choix également par-tout la pompe des paroles : ils croient avoir tout fait, pourvu qu'ils aient fait un amas de grands mots et de pensées vagues ; ils ne songent qu'à charger leurs discours d'ornements; semblables aux méchants cuisiniers, qui ne savent rien assaisonner avec justesse, et qui croient donner un goût exquis aux viandes en y mettant beaucoup de sel et de poivre. La véritable éloquence n'a rien d'enflé ni d'ambitieux; elle se modère et se proportionne aux sujets qu'elle traite, et aux gens qu'elle instruit ; elle n'est grande et sublime que quand il faut l'être.

B. Ce mot que vous nous avez dit de l'écriture sainte me donne un désir extrême que vous m'en fassiez sentir la beauté ne pourrons-nous point vous avoir demain à quelque heure ?

4. Demain, il me sera difficile ; je tâcherai pourtant de venir le soir. Puisque vous le voulez, nous parlerons de la parole de Dieu; car jusqu'ici nous n'avons parlé que de celle des hommes.

C. Adieu, monsieur ; je vous conjure de nous tenir parole. Si vous ne venez pas, nous vous irons cher

cher.

DIALOGUE III.

C. Je doutois que vous vinssiez, et peu s'en est fallu que je n'allasse chez M,

A. J'avois une affaire qui me gênoit; mais je me suis débarrassé heureusement.

B. J'en suis fort aise, car nous avons grand besoin d'achever la matière entamée.

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C. Ce matin j'étois au sermon à ***, et je pensois à vous. Le prédicateur a parlé d'une manière édifiante mais, je doute que le peuple entendît bien 'ce qu'il disoit.

A. Souvent cela arrive. J'ai vu une femme d'esprit qui disoit que les prédicateurs parlent latin en françois. La plus essentielle qualité d'un prédicateur est d'être instructif. Mais il faut être bien instruit pour instruire les autres d'un côté, il faut entendre parfaitement toute la force des expressions de l'écriture; de l'autre, il faut connoître précisément la portée des esprits auxquels on parle cela demande une science fort solide et un grand discernement. On parle tous les jours au peuple de l'écriture, de l'église, des deux lois, des sacrifices de Moïse, d'Aaron, de Melchisedech, des prophètes, des apôtres ; et on ne se met point; en peine de leur apprendre ce que signifient toutes ces choses, et ce qu'ont fait ces personnes-là. On suivra vingt ans bien des prédicateurs sans apprendre la religion comme en la doit savoir.

B. Croyez-vous qu'on ignore les choses dont vous parlez ?

A. Pour moi je n'en doute pas. Peu de gens les entendent assez pour profiter des sermons.

B. Oui, le peuple grossier les ignore.

C. Hé bien! le peuple? n'est-ce pas lui qu'il faut instruire?

A. Ajoutez que la plupart des honnêtes gens sont peuple à cet égard-là. Il y a toujours les trois quarts de l'auditoire qui ignorent ces premiers fondements de la religion que le prédicateur suppose qu'on sait.

B. Mais voudriez-vous que, dans un bel auditoire, un prédicateur allât expliquer le catéchisme?

A. Je sais qu'il y faut apporter quelque tempérament; mais on pent, sans offenser ses auditeurs, rappeler les histoires qui sont l'origine et l'institution de toutes les choses saintes. Bien loin que cette recherche de l'origine fût basse, elle donneroit à la plupart des discours une force et une beauté qui leur manquent. Nous avions déjà fait hier cette remarque en passant, sur-tout pour les mystères. L'auditoire n'est ni instruit ni persuadé, si on ne remonte à la source. Comment, par exemple, ferez-vous entendre au peuple ce que l'église dit si souvent après saint Paul, que Jésus-Christ est notre pâque, si on n'explique quelle étoit la pâque des Juifs, instituée pour être un monument éternel de la délivrance d'Égypte, et pour figurer une délivrance bien plus importante qui étoit réservée au Sauveur. C'est pour cela que je vous disois que presque tout est historique dans la religion, Afin que les prédicateurs comprennent bien cette vérité, il faut qu'ils soient savants dans l'écriture.

B. Pardonnez-moi si je vous interromps à l'occasion de l'écriture. Vous nous disiez hier qu'elle est éloquente.

Je fus ravi de vous l'entendre dire, et je voudrois bien que vous m'apprissiez à en connoître les beautés. En quoi consiste cette éloquence? Le latin m'y paroît barbare en beaucoup d'endroits, je n'y trouve point de délicatesse de pensées. Où est donc ce que vous admirez ?

A. Le latin n'est qu'une version littérale, où l'on a conservé par respect beaucoup de phrases hébraïques et grecques. Méprisez-vous Homère parceque nous l'avons traduit en mauvais français ?

B. Mais le grec lui-même (car il est original pour presque tout le nouveau testament) me paroît fort

mauvais.

A. J'en conviens. Les apôtres, qui ont écrit en grec, savoient mal cette langue, comme les autres Juifs hellénistes de leur temps: de là vient ce que dit saint Paul, Imperitus sermone, sed non scientiâ. Il est aisé de voir que saint Paul avoue qu'il ne sait pas bien la languegrecque, quoique d'ailleurs il leur explique exactement la doctrine des saintes écritures.

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C. Mais les apôtres n'eurent-ils pas le don des langues? 4. Ils l'eurent sans doute, et il passa même jusqu'à un grand nombre de simples fidèles : mais, pour les langues qu'ils savoient déjà par des voies naturelles, nous avons sujet de croire que Dieu les leur laissa parler comme ils les parloient auparavant. Saint Paul, qui étoit de Tarse, parliot naturellement le grec corrompu des Juifs hellénistes: nous voyons qu'il a écrit en cette manière. Saint Luc paroît l'avoir su un peu mieux.

C. Mais j'avois toujours compris que saint Paul vouloit dire dans ce passage qu'il renonçoit à l'éloquence,

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