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ÉLÉGIE

SUR LA MORT DE MUIRON,

TUÉ A LA BATAILLE D'ARCOLE.

ARCOLE, en tes vallons fameux par nos guerriers,
Les larmes du vainqueur ont mouillé ses lauriers..
Tu vis de cent héros moissonner la vaillance
Qu'à l'Italie encor redemande la France.

Là, plus d'un grand destin en naissant immolé,
Plus d'un nom que la gloire eût un jour révélé
Expira dans l'oubli sous la tombe jalouse;
Mais du jeune Muiron, mais de sa tendre épouse,
Ma lyre yeut du moins consacrer les malheurs,
Et l'avenir ému leur donnera des pleurs.

Dans le camp des Français, leurs jeunes destinées,
Au milieu des périls s'écoulaient fortunées;
Un fils, depuis six mois, souriait à leurs voeux,
Et du premier amour ils s'aimaient tous les deux.
La veille du combat, loin du fracas des armes,
L'hymen au front voilé leur prodiguait ses charmes ;

Dans ces momens d'ivresse il semblait que

le dieu

Leur dît secrètement : C'est le dernier adieu.

Au signal du tambour, Muiron cherche la gloire ; combat et meurt. On chante la victoire :

Il part,

Son épouse accourait; les guerriers, l'œil baissé, L'accueillent en passant d'un silence glacé.

Vers les bords de l'Adige, en tremblant elle arrive ;
Elle appelle, elle voit sur la sanglante rive

Muiron, les yeux couverts des ombres du trépas,
Et
pour la recevoir ouvrant encor les bras.
Elle ne parle point, mais chancelle, soupire;
Sur l'époux bien-aimé lentement elle expire.
Ce jour qu'il ne voit plus importune ses yeux,
Et d'un dernier regard elle accuse les cieux.
Sans parens, sans appui, sans lait, sans nourriture,
L'enfant restait; la mort, outrageant la nature,

Sur la tendre victime étendit son courroux :
L'épouse, dans la tombe, avait suivi l'époux;
L'enfant ne suça point le lait de l'étrangère;
Dans la tombe, à son tour, l'enfant suivit la mère.
Ainsi quand le Belier vient reverdir les champs,
En un bosquet paré de filles du printemps,
Belles l'une par l'autre, on voit s'unir deux roses,
Sur une même tige, un même jour écloses;
Entre elles deux jaillit le timide bouton,
D'une amour mutuelle aimable rejeton.

La grêle à coups pressés abat les fleurs naissantes ;
En s'unissant encor les roses languissantes
Inclinent tristement leur front pâle et flétri;
Près d'elles tombe et meurt le rejeton chéri
Que du plus doux zéphir un souffle fit éclore,
Mais qu'un de ses baisers n'entr'ouvrait pas encore.

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Om
mes fils, partageons les communes douleurs;

Pleurons Nantes gémit, Angers verse des pleurs ;

:

Un long crêpe a couvert ces riantes vallées;

Au bord du fleuve ému, nos tribus désolées
Célèbrent un héros qu'enferme le cercueil :

Hoche n'est plus, mes fils, et la France est en deuil.
Il ne brillera plus sur un char de victoire,
L'heureux libérateur des rives de la Loire :
Puissant par la clémence et grand par les bienfaits,
Après avoir su vaincre, il sut donner la paix.

Vous connaissez l'ormeau qu'entouraient nos familles, Quand, le dixième jour, nos guerriers et nos filles,

(1) Cette Élégie a été lue à une séance publique de l'Institut: elle est imprimée dans les Mémoires de cette compagnie. Littérature et Beaux-Arts, tome III, pag. 30-56.

Par de rustiques jeux fêtaient la Liberté :

Il comptait trente hivers; mes mains l'avaient planté;
Des vieillards, des amans, son ombre était chérie, '
Et son riant feuillage égayait la prairie.

Le fer n'insultait pas ses rameaux protecteurs :
Ses rameaux, doux abri des timides pasteurs,
Soit quand les eaux du ciel désaltéraient nos plaines,
Soit quand le Chien brûlant tarissait les fontaines.
Le voyageur qu'afflige un tronc inanimé,
Redemande en pleurant l'ombrage accoutumé.
Mais les flots de la Loire ont semé le ravage;
Il a péri, l'ormeau, délices du rivage;
Mes yeux l'ont vu tomber sans force et sans appui
Hoche, plus jeune encore į est tombé comme lui.
Quels étaient les fléaux qui désolaient ces rives,
Quand il vint rassurer nos familles craintives!

Il parut; son aspect enfanta des guerriers.
Avant lui, désertant les rustiques foyers,

Femmes, enfans, vieillards, cherchaient au sein des villes
Des jours moins inquiets et des nuits plus tranquilles.
Nos peuplades fuyaient des soldats inhumains,

Nés dans les mêmes champs qu'ont dévastés leurs mains.
Ils vengeaient, disaient-ils, la foi de nos ancêtres.
Hélas! ces malheureux, victimes de leurs prêtres,
De village en village apportant le trépas,
Calomniaient leur Dieu par des assassinats.

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