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DU POEME

DE LUCRÈCE

SUR

LA NATURE DES CHOSES

DU POEME

DE LUCRÈCE

SUR LA

LA NATURE DES CHOSES.

Lucrèce (Titus Lucretius Carus), l'un des plus grands poëtes latins, né l'an de Rome 659, était d'une famille noble, et dont le nom se retrouve plusieurs fois dans l'histoire du temps. Il fut ami de Memmius, l'un des meilleurs citoyens et l'un des esprits les plus éclairés de cette époque, où Rome, troublée par les rivalités de ses grands hommes et toute pleine de passions furieuses, s'occupait cependant d'attirer les arts de la Grèce, et mêlait la gloire, les voluptés et les lettres. Lucrèce vit les proscriptions de Marius et de Sylla, et vécut dans les horreurs de la guerre civile, au milieu de cette corruption hideuse où germait Catilina, parmi ces mœurs encore rudes pour la barbarie, mais polies pour le vice, parmi les crimes des factions, les longues vengeances de

ÉTUDES DE LITT.

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l'aristocratie, les frénésies populaires, le mépris de toute religion, de toute loi, de toute pudeur, et surtout du sang humain; enfin, dans cette époque où l'ancienne Italie étalait toutes les grandeurs du crime, comme l'Italie du xve siècle en reproduisit toutes les bassesses.

On sait peu de chose de sa vie. Il la passa certainement loin des affaires publiques, suivant l'axiome et le conseil d'Épicure, confondu dans les rangs des chevaliers. On ignore s'il fit le voyage d'Athènes, et s'il visita lui-même les écoles de la philosophie qu'il a chantée. Un de nos premiers écrivains a fortement indiqué un rapport vraisemblable entre les temps horribles où vécut Lucrèce et les doctrines désolantes dont ce poëte a fait choix. «Lucrèce, dit M. de Fontanes, comme presque "tous les athées fameux, naquit dans un siècle d'orages << et de malheurs; témoin des guerres civiles de Marius « et de Sylla, n'osant attribuer à des dieux justes et sages « les désordres de sa patrie, il voulut détrôner une pro«vidence qui semblait abandonner le monde aux pas«sions de quelques tyrans ambitieux. Il emprunta sa phi

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losophie aux écoles d'Épicure; et, maniant un idiome rebelle, qui, né parmi les pâtres du Latium, s'était élevé « peu à peu jusqu'à la dignité républicaine, il montra

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dans ses écrits plus de force que d'élégance, plus de

grandeur que de goût. » On ne peut douter d'ailleurs, en lisant son poëme, qu'il n'eût fait une profonde étude de la langue, de la philosophie et des mœurs grecques. Ce fut l'occupation de ses nuits, comme il le dit lui

même. Une tradition fort incertaine suppose que son poëme sur la nature des choses fut composé dans les intervalles lucides d'une folie causée par un philtre amoureux, qu'il avait reçu d'une maîtresse jalouse. Il parait certain qu'il se donna lui-même la mort à l'âge de quarante-quatre ans, dans un accès de délire; mais on peut douter que son poëme soit sorti du milieu des rêves d'une raison habituellement égarée. La folie du Tasse n'a point précédé son génie; la Jérusalem n'a pas été conçue dans l'hospice de Ferrare si quelquefois dans ces vives intelligences, dans ces imaginations enthousiastes qui ont le plus honoré l'humanité, l'excès de la force touche à la faiblesse; si, comme le disait Sénèque, il n'y a point de grand esprit sans une nuance de folie; si cette fatigue des organes qui ont trop souffert de l'ardente activité de l'âme vient à obscurcir le rayon divin de la pensée, ce n'est point du milieu de ces nuages que sort la lumière; et l'éclipse de la raison peut devenir le terme, mais non l'intervalle du génie.

Le poëme de Lucrèce, dans la longue erreur de ses raisonnements, offre d'ailleurs une méthode, une force d'analyse qui ne permet pas de supposer que l'auteur n'ait eu que des moments passagers de calme et de raison. Bien qu'on y voie briller les éclairs d'une verve admirable, ce qu'on y sent beaucoup, et quelquefois jusqu'à la fatigue, c'est l'ordre philosophique, c'est l'effort du raisonnement porté sur des notions incohérentes et fausses, mais suivi avec beaucoup de précision et de vi

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