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grecque, quelques esprits se relevèrent par le culte passionné des lettres et de la philosophie. Mais ces exemples étaient rares, isolés de futiles disputes occupaient le plus grand nombre des savants; et le peuple grec, épars dans la Thrace, la Macédoine, l'Épire, la Morée, les îles, séparé sans être affranchi, opprimé par ses maîtres, sans être défendu contre l'étranger, languissait entre la civilisation et la barbarie, sans avoir les arts de l'une ni l'énergie de l'autre.

Ainsi le gouvernement impérial, faible et absolu, cruel et superstitieux, laissait tout dépérir. Les Turcs, qui le pressaient depuis trois siècles, s'agrandissaient chaque jour, et enveloppaient de toutes parts la race indigène, qui n'avait plus de patrie, mais que sa religion suivait dans son esclavage. Il est merveilleux que dans une telle misère sociale et politique, et parmi les vaines querelles qui consumaient à Byzance le génie subtil et fécond des Grecs, on ait vu dans cette ville la civilisation se ranimer en approchant de sa ruine. Un empereur tel que Cantacuzène, un savant tel que Emmanuel Chrysoloras, étonnent dans le xve siècle. Car si le reste de l'Europe commençait à sortir du chaos, les souffrances et la pénurie de l'empire grec s'accroissaient d'une manière effrayante, et sa civilisation devait être vaincue par son malheur.

Cependant il y avait alors un mouvement de renaissance dans la partie la plus éclairée de la nation. Au milieu du xv siècle, la veille de la chute de l'empire, à côté de ces moines non moins ambitieux qu'imbéciles, qui disputaient sur la lumière du mont Thabor, il y avait quelques esprits élevés et prévoyants, quelques

hommes d'État habiles, et un empereur plein de dévouement et de courage. Constantinople périt lorsqu'elle méritait de vivre; et les services que quelques hommes échappés de ses ruines rendirent aux lettres dans l'Europe, attestent que, si la vie s'éteignait en elle, ses cendres du moins n'étaient pas stériles.

ÉTUDES DE LITT.

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ESSAI

SUR

LES ROMANS GRECS.

Dans le siècle le plus grave de notre littérature, un pieux évêque n'a pas dédaigné de faire une dissertation sur l'origine des romans; il caractérisait cependant cette sorte d'ouvrage par une définition dont sa sévérité aurait pu s'inquiéter, s'il n'avait pas eu trop de véritable vertu pour s'aviser d'un tel scrupule. « Ce que l'on appelle " proprement romans, dit-il, sont des fictions d'aven«<tures amoureuses, écrites en prose avec art pour le

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plaisir et l'instruction du lecteur. » Cette définition est sans doute fort incomplète, et bien éloignée de comprendre tous les caractères d'un genre de composition que le besoin de lire et la paresse d'esprit ont si prodigieusement diversifié dans notre Europe moderne. Ni Don Quichotte, ni Gil Blas, ni les Puritains d'Écosse, ne peuvent être ramenés à ce cadre étroit; mais le savant évêque ne prévoyait pas la perfectibilité indéfinie du

roman. Il avait vécu dans la cour galante et polie de Louis XIV; il était contemporain et admirateur de mademoiselle de Scudéri, dont les romans sont bâtis, comme chacun sait, sur un échafaudage de sentiments amoureux, auxquels n'échappent pas même Brutus et Scævola. De plus, sa dissertation sur les romans devait servir de préface à la Zaïde de madame de La Fayette, c'est-à-dire à un ouvrage qui n'est nourri que de la plus pure essence de tous les sentiments tendres et délicats. Son érudition même ne lui présentait dans les romans grecs parvenus jusqu'à nous que des modèles assez conformes à cette définition. Je ne parle pas seulement de Daphnis et Chloé, que le français d'Amyot avait rendu populaire; mais Théagène et Chariclée, fort imité par nos prolixes romanciers du XVIIe siècle, Leucippe et Clitophon, etc., ne sont, en effet, que des fictions d'aventures amoureuses écrites en prose avec art, quoique ce ne soit pas toujours pour le plaisir ou l'instruction du lecteur.

Il faut l'avouer d'ailleurs, ce que le savant évêque désignait comme la source unique des romans en est toujours la source la plus féconde et la plus heureuse. On ne peut inventer rien de mieux que l'amour; et de nos jours l'admirable Walter Scott, dans ses créations si éclatantes et si nombreuses, dans cette vie nouvelle qu'il a donnée au monde romanesque, en le rendant quelquefois plus vrai que l'histoire, emprunte encore ses plus touchantes inspirations à la peinture de cette

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