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DE LA CORRUPTION

DES

LETTRES ROMAINES

SOUS L'EMPIRE

DE LA CORRUPTION

DES

LETTRES ROMAINES

SOUS L'EMPIRE.

Un écrivain du siècle de Tibère a fait d'ingénieuses réflexions sur ce hasard uniforme qui réunit et concentre, dans un intervalle d'assez courte durée, presque tous les génies dont s'honore une nation. Comparant son époque à celle qui avait précédé, et qu'il fait remonter jusqu'à Térence, il se demande pourquoi l'heureuse abondance de ce premier temps est suivie d'une longue stérilité. Il essaie d'en indiquer les causes : « L'émulation', dit-il, nourrit les talents; et tantôt la rivalité, tantôt l'admiration excite à imiter. Ce que l'on poursuit avec ardeur, on le conduit bientôt à la perfec

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«< Quis enim abunde mirari potest, quod eminentissima cujus« que professionis ingenia, in eamdem formam, et in idem arctati a temporis congruerint spatium? » (Velleii Paterculi lib. I.)

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«<tion: c'est un point où l'on peut difficilement s'arrêter; «et, par un effet naturel, ce qui n'avance plus rétrograde. « D'abord nous sommes enflammés d'ardeur pour "atteindre ceux que nous croyons les premiers; mais quand nous ne pouvons plus nous promettre de les dépasser, ou de les égaler, le zèle languit avec l'espé«rance; et ce qu'il ne peut atteindre, il cesse de le poursuivre. Laissant la place qui semble prise par d'autres, et négligeant les sujets où nous ne pouvons exceller, nous voulons en découvrir où nous puissions «faire effort Il arrive que cette fréquente mobilité est le

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plus grand obstacle à la perfection d'un ouvrage. »

Ainsi c'était seulement de la forme du travail, et de l'ambition plus ou moins sage de l'écrivain, que Velléius faisait sortir les causes de la décadence des lettres. Il n'osait pas en indiquer une bien autrement funeste, qu'il nommait par son silence, et qu'il devait sentir en luimême, quand il flattait Tibère.

Le maintien et le progrès du despotisme, l'abaissement des esprits par l'esclavage, telle est en effet la cause la plus active qui, chez tous les peuples civilisés, a toujours restreint l'essor du génie ou précipité sa décadence. Tous les raisonnements fondés sur la difficulté d'atteindre un premier modèle, sur le besoin et le danger de chercher la nouveauté, n'expliquent pas le problème que se proposait Velléius; car les applications de la pensée sont infinies: et, si elle est libre de porter partout ses regards, l'homme de génie découvrira tou

jours la carrière où il doit s'élancer. Que l'on y regarde bien, jamais chez une nation qui a joui de la liberté, les lettres ne se sont abaissées qu'avec cette liberté même.

L'empire d'Auguste fut une grande époque de splendeur dans les arts, parce qu'il hérita d'une foule de génies nés sous la république, et qu'il leur donna plutôt le repos que la servitude. Comparé en effet aux récentes fureurs de la proscription et aux tyrannies de Marius et de Sylla, le gouvernement d'Auguste semblait un retour aux lois. Le nom du sénat était encore puissant; les formes de la république étaient conservées; il y avait des élections populaires; l'usurpation impériale se déguisait, et se désavouait elle-même. Auguste annonçait qu'il ne voulait l'empire que pour dix ans. Il répétait souvent cette promesse; il semblait s'y complaire. « Je sais, écrivait-il au sénat longtemps avant le terme fixé « pour son abdication, que ces choses' seraient plus « belles à faire qu'à promettre; mais mon impatience de voir ce temps si désiré pour moi, me presse, lorsque

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«< la réalité tarde encore, de chercher une sorte de plai<< sir dans la douceur des paroles qui l'expriment.

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Cette élégante hypocrisie, et ces raffinements délicats sur le bonheur de perdre le pouvoir trompaient sans doute de monde dans le sénat; et tous les ambitieux ne

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« Isla fieri speciosius quam promitti possunt. Me tamen cupido

temporis optatissimi mihi provexit, ut quoniam rerum lætitia

«< moratur adhuc, præciperem aliquid voluptatis ex verborum

« dulcedine.» (Seneca, de Brevitate Vitæ.)

ÉTUDES DE LITT.

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