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but, non point d'affecter une savante obscurité, mais au contraire d'amener le jeune jurisconsulte; sans effroi, et même avec quelque plaisir, dans ces belles voies de la jurisprudence romaine; nous croirons avoir gagné le prix, si nous l'enhardissons jusqu'à venir à nous, sans trop s'intimider de ces amas de commentaires qui obstruent l'entrée de la science, et à la vue desquels se sentent défaillir les plus fermes courages.

E quanto a dir qual era, e cosa dura,
Questa selva selvaggià, ed aspra, e forte
Che nel pensier rinuova la paură;

Tanto e amara che poco e piu morte ':

Si le lecteur a le courage de s'aventurer à notre suite, peut-être sera-t-il étonné de voir combien l'histoire est une sûre maîtresse pour l'enseignement de la science, et comme avec un pareil guide la marche devient facile; la procédure civile est la partie la plus obscure et la moins connue de toute la jurisprudence romaine, et cependant nous espérons qu'après une lecture attentive de cet ouvrage, qui n'est pas de bien longue haleine, les plus grandes difficultés seront disparues, et que le lecteur se fera des institutions judiciaires des Romains une idée beaucoup plus nette que s'il se fatiguait à lire les innombrables commentaires écrits sur le quatrième livre des Instituts; c'est qu'en effet les erreurs et l'obscurité des commentaires viennent presque toujours du défaut de notions historiques exactes, et que la lo

'Dante Alig., Cant. I, chap. 1, v. 4-7.

gique la plus rigoureuse est impuissante à trouver un principe de droit positif qu'un passage de Cicéron ou un fragment de Gaius révèleront sans peine au lecteur le moins attentif.

10. Il est encore une modification que nous avons faite au livre de Walter, et dont, nous l'espérons, ofi ne nous saura pas mauvais gré. Walter ne fait qu'indiquer le texte des lois ou des auteurs classiques qu'il cite à l'appui de ses opinions; nous avons mis au bas des pages les textes entiers pour que le lecteur jugeât, pièces en main, le mérite et la vérité des idées de l'auteur. L'usage de renvoyer au Code ou au Digeste pour la vérification des textes allégués va directement contre son but, qui est de faire travailler l'étudiant; il est impossible qu'au bout d'un temps fort court, le lecteur le plus courageux ne soit fatigué de ces rccherches longues et difficiles; et alors, où il abandonne une étude pénible, ou, ce qui est aussi mativais, il croit son maître sur parole et renonce à toute recherche. Que si, au contraire, vous lui facilitez le travail en lui mettant sous les yeux les preuves les plus importantes; si vous l'initiez du premier coup aux mystères d'une science qui roule sur un nombre de textes plus limité qu'on ne pense, vous l'intéresserez peu à peu à la lecture de ces anciens monumens; il prendra goût à la langue d'Ulpien comme à celle de Cicéron; il s'habituera au style de Dioclétien comme à la phrase pompeuse des Novelles, et quand il abordera le Digeste même ou le Code, il retrouvera, à chaque pas, d'anciens souvenirs qui lui rendront plus légers les ennuis de la route. D'ailleurs on n'é

crit pas toujours pour les seuls étudians; les savans, autres que les jurisconsultes, et même les gens du monde qui ne sont savans ni par goût ni par état, peuvent désirer connaître au moins superficiellement les mystères de la jurisprudence romaine. Pourquoi ne pas leur présenter sous un format commode et à peu de frais ce que le droit romain a de plus précieux comme histoire, comme morale, comme littérature? Il me semble que dès qu'on soumet un livre au public, toute la peine doit être pour l'auteur, tout le plaisir pour le lecteur; mais dans la plupart des livres de jurisprudence, c'est le contraire qui a lieu, et il semble à voir citer en guise de preuves toutes ces indications abrégées des lois romaines, qui semblent autant de mots de grimoire, que l'auteur se fasse un malin plaisir de défier la bonne volonté de ses lecteurs en la fatiguant à outrance par une suite d'énigmes indéchiffrables. A la vue de ces signes bizarres on pense involontairement à l'Intimé, ce modèle fait en l'art des citations.

La loi si quis canis, DIGESTE

DE VI, paragrapho, Messieurs, caponibus
Est manifestement contraire à cet abus.

par

RÉFLEXIONS PRÉLIMINAIRES'.

CARACTÈRE POLITIQUE DES INSTITUTIONS JUDICIAIRES

DE ROME.

I. Chez les Romains la procédure civile a parcouru trois phases distinctes. D'abord régnèrent les actions de loi, legis actiones, système de formes sacramentelles introduit par le génie mystérieux des patriciens et qui dura, comme l'aristocratie, jusque vers la fin de la république. Les legis actiones furent alors remplacées par le système des formules, soit que la révolution fût complète, ainsi que l'ont pensé quelques modernes, et que la formule eût été imaginée pour remplacer la legis actio, soit plutôt (et cette opinion, plus conforme au génie romain, a pour elle tout ce qui nous reste de Cicéron), soit plutôt que la formule eût existé de tout temps comme partie intégrante de la legis actio, et que la réforme se bornât à débarrasser la procédure d'entraves mystérieuses désormais sans valeur politique. Ce système formulaire fut celui des beaux jours de la jurisprudence romaine, celui qui parvint au plus parfait et au plus ingénieux développement, celui enfin sur lequel, depuis la découverte de Gaius, nous possédons les plus curieux documens. Cette procédure est la clef du droit romain, et sans une connaissance approfondie de l'institution, il est impossible de pénétrer avant dans les secrets de la science romaine.

Ce chapitre est du traducteur.

II. Le caractère commun des legis actiones et des formulæ, caractère qui distingue de façon tranchée l'ancienne organisation romaine de tous les systèmes judiciaires modernes, c'est que la procédure s'y divisait en deux parties distinctes: procédure devant le magistrat, qui engage l'instance et fixe le point de droit, puis procédure devant le juge, qui examine le point de fait en litige, applique le droit au fait et prononce jugement, l'exécution faisant retour au magistrat. Ainsi il y a une double instance, l'une devant le préteur, in jure, l'autre devant le juge, in judicio, et le magistrat et le juge ont chacun un rôle différent à jouer dans la procédure : l'un est juge du droit, l'autre est juge du fait. Du reste, cette distinction ne doit pas être prise dans un sens trop absolu; le juge, comme nos jurés, décidait quelquefois une question de droit quand cette question était inséparable de la question de fait, et séparer le droit du fait était moins le but des Romains que de séparer le droit de son application. C'est aussi le but politique de notre jury: chez nous c'est un citoyen et non le magistrat qui doit décider de la vie et de la liberté du citoyen. Chez les Romains, plus inquiets que nous de la puissance du magistrat, ce ne devait pas être le préteur qui touchât aux intérêts privés du citoyen, ce devait être un arbiter ou un judex librement élu par les parties.

III. La procédure formulaire dura jusqu'au règne de Dioclétien; mais déjà depuis longtemps, à côté de ce système régulier, s'était introduite exceptionnellement une nouvelle manière de procéder devant le magistrat seul, sans ministère de juge et par conséquent sans employer de formules De cet usage exceptionnel ou, comme on disait, de ce judicium extraordinarium, Dioclétien fit la loi générale, qui dès lors régna sans partage jusqu'à la fin de l'empire. C'est ce dernier système qui, modifié par le droit canonique et féodal,

1 Cic, pro Quint., e, 20.

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