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ect esprit de suite que donne l'exercice d'une fonction publique. Ce qui dans un pays libre fait paraître la fonction de juge un honneur et rend capable de la remplir, c'est l'habitude de la vie publique et le désir de mériter l'estime de ses concitoyens, qui ont les yeux sur vous; mais ôtez ce noble stimulant, la fonction de juge n'est plus qu'une charge lourde et sans compensation. Aussi nul doute qu'aux derniers temps de l'empire on ne cherchât à fuir ce fardeau pénible et que la fonction ne fût si mal remplie par ceux qu'on y obli→ geait que ce fut certainement un bienfait pour les justiciables lorsque vers la fin du troisième siècle un décret de Dioclétien transféra aux officiers impériaux les fonctions du juge. D'ailleurs on pouvait alors se passer de judex : la sépara¬ tion du pouvoir militaire et du pouvoir administratif, la division des provinces, la multiplication des officiers, l'établissement dans les cités de juges spéciaux pour une foule d'affaires peu importantes, l'augmentation des officiers de justice subalternes, mille changemens, avaient rendu possible de remettre les fonctions de juge à ces magistrats nouveaux, qui ne ressemblaient plus même de nom aux magistrats d'autrefois.

XVIII. Du reste, ce n'est jamais impunément que la liberté se retire d'un empire. Quand la justice fut enfermée dans le cabinet étroit du magistrat et qu'un rideau vint même souvent soustraire le juge aux yeux des assistans, comme si la justice n'était pas l'intérêt commun de tous, le juge devint un fonctionnaire subalterne et si petit fonctionnaire qu'il fut défendu aux personnes en dignité de comparaître devant lui. Méprisé du pouvoir, le juge, sans considération, en vint à se mépriser lui-même, et n'étant plus sous le regard du public, n'ayant point l'honneur pour salaire, il se mit à se payer par ses mains; la justice devint tout à fait vénale, et les frais de justice, les sportula, ce mal inconnu jusqu'alors, furent exigés avec une insatiable rapacité. Ainsi se manifesta dans l'administration de la justice ce dé

testable caractère de vénalité qui tache les autres institutions du Bas-Empire, et l'arbitraire du juge fut aussi grand dans l'application du droit que l'arbitraire de l'empereur dans la confection des lois. En même temps disparut ce principe de l'ancien droit, que le magistrat ne doit point agir par voie de contrainte directe, mais seulement autoriser l'action du créancier; tout au contraire, la main du magistrat paraît partout ce sont ses officiers qui font l'assignation, c'est lui qui exécute par la main des soldats; en un mot, partout et toujours se manifeste sa coûteuse protection.

XIX. Ainsi dans la législation, dans l'administration de la justice, comme dans les autres institutions, se révèle la décadence morale de l'époque, et les rescrits impériaux accusent autant l'arbitraire et l'injustice des magistrats provinciaux que l'impatience ou la cupidité de ceux qui se plaignent. On reconnaît néanmoins de nobles efforts du gouvernement pour la justice; il y a toute une série de constitutions de Constantin pleine de généreux sentimens; mais on sent à la violence des menaces l'impuissance de les mettre à exécution. Tout aussi inutilement Justinien essaie-t-il de s'appuyer sur la sanction des idées religieuses' : ce sont des remèdes violens appliqués sans espoir à une incurable maladie. Nos tamen, dit Gunther, frustra temporibus aut principibus irasceremur. Habent enim omnia magna imperia ortus suos et occasus el conversiones quasdam naturales quibus nulla cautio mederi potest. Ut ætate defecti homines cibos non capiunt quibus alantur, sed arte quadam illorum vita protrahitur, quæ paulo momento naturæ defectu evanescit. Je n'admets point cette patience philosophique de Gunther, mais l'étude de ces temps misérables a aussi son importance et son utilité. Quelque affreux que puisse être

1 L. 2, pr. § 8. C., de Jud., II, 59; I. 13, § 4; I. 14', pr. C., de Jud., III, 1. Nov. 90, c. 9, fin.

De Offic. dom, aug., 1, 27.

XXXII

RÉFLEXIONS PRÉLIMINAIRES.

le spectacle de ces maladies de l'humanité, le médecin empêche son cœur de se révolter, et il interroge même le mal avec une anxiété curieuse, car dans ces souffrances du passé il y a une leçon et peut-être un remède pour l'avenir.

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A l'origine, la juridiction ne formait point une branche séparée d'administration; comme chez tous les peuples de r'antiquité, elle était aux mains du roi', chef dans la paix et dans la guerre ; plus tard, elle appartint aux consuls, qui héritèrent de toutes les prérogatives royales 2.

Quand il fut impossible aux consuls, retenus par des guerres lointaines, de songer à l'administration de la justice,

1 DENYS D'HAL., II, 14; IV, 41. Cic., de Rep.,V. 2. Nihil esse tam regale quam explanationem æquitatis; in qua juris erat interpretatio: quod jus privati petere solebant a regibus; ob easque causas agri, arvi et arbusti, et pascui lati atque uberes definiebantur, qui essent regii colerenturque sine regum opera et labore, ut eos nulla privati negotii cura a populorum rebus abduceret. Nec vero quisquam privatus erat disceptator aut arbiter litis, sed omnia conficiebantur judiciis regiis.

2

* DENYS, Χ, 1. Αλλὰ τὸ μὲν ἀρχαιον οἱ βασιλεῖς ἐφ ̓ αὑτῶν ἔταττον τοῖς δεομένοις τὰς δίκας, καὶ τὸ δικαιωθὲν ὑπ' ἐκείνων, τοῦτο νόμος ἦν. ὡς δ ̓ ἐπαύσαντο μοναρχούμενοι, τοῖς κατ ̓ ἐνιαυτὸν ὑπατεύουσιν ἀνέκειτο τά τ' ἄλλα τῶν βασιλέων ἔργα, καὶ ἡ τοῦ δικαίου διάγνωσις, καὶ τοῖς ἀμφισβητοῦσι πρὸς ἀλλήλους ὑπὲρ ὁτουδήτινος, ἐκεῖνοι τὰ δίκαια οἱ διαιροῦντες ἦσαν, ch. 19, ibid. LIVIUS, II, 27. De là vient que les consuls portaient aussi le nom de judices. LIVIUS, III, 55. VARRO, de Ling. lat., V, 9 (éd. Bip.). Cic., de Legib., III, 3. Regio imperio duo sunto : iique præcundo, judicando, consulendo, prætores, judices, consules, appellantor.-Les tribuns et les édiles, choisis comme arbitres amiables, décidaient ordinairement les causes des plébéiens. LYDU3, de Magist., I, 38, 44. DENYS, VI, 90. VII, 58.

on établit dans ce but une magistrature spéciale, la préture". Les édiles, comme magistrats de police, eurent une juridiction particulière sur les ventes publiques, sur les poids et mesures et autres telles sortes de choses; mais cette compétence n'était point exclusive, et quand les édiles étaient empêchés, le préteur rendait la justice à leur place *.

Le magistrat devant lequel on portait une affaire litigieuse n'avait pas à s'occuper de toutes les procédures auxquelles

3 CICER., de Leg., III, 3. Juris disceptator, qui privata judicet, judicarive jubeat, prætor esto. Is juris civilis custos esto. Huic potestate pari quotcumque senatus creverit, populusve jusserit, tot sunto. L. 2, § 27. de Orig. jur. D. I, 2. Quumque consules avocarentur bellis finitimis, neque esset qui in civitate jus reddere posset, factum est ut prætor quoque crearetur, qui Urbanus appellatus est, quod in urbe jus redderet. § 28. Post aliquot deinde annos, non sufficiente eo prætore, quod multa turba etiam peregrinorum in civitatem veniret, creatus est et alius prætor, qui Peregrinus appellatus est ab eo quod plerumque inter peregrinos jus dice. bat. Lyous, de Magist., I, 38, 45, nous a fourni la date exacte de la création du prætor peregrinus; ce fut en l'an 507 de Rome.

4 L. 2, § 34, de Orig. jur. D. I, 2. L. 1, § 1. D. XXI, 1. Aiunt ædiles : Qui mancipia vendunt, certiores faciant emptores, quid morbi vitiive cuique sit, qui fugitivus errove sit, noxæve solutus non sit; eademque omnia cum ea mancipia venibunt, palam rectè pronuntianto. Quod si mancipium adversus ea venisset, sive adversus quod dictum promissumve fuerit, cum veniret, fuisset; quod ejus præstari oportere dicetur, emptori omnibusque ad quos ea res pertinet, judicium dabimus, ut id mancipium redhibeatur. Si quid autem post venditionem traditionemque deterius emptoris opera, familiæ, procuratorisve ejus factum erit, sive quid ex ea re fructus pervenerit ad emptorem, ut ea omnia restituat. Item si quas accessiones ipse præstiterit, ut recipiat. Item si quod mancipium capitalem fraudem admiserit, mortis consciscendæ sibi causa quid fecerit in ve arenam depugnandi causa ad bestias intromissus fuerit, ea omnia in venditione pronuncianto; ex his enim causis judicium dabimus. Hoc amplius, si quis adversus ea sciens dolo malo vendidisse dicetur, judicium dabimus. — L. 63, ibid. ULP, Sciendum est ad venditiones solas hoc edictum pertinere, non tantum mancipiorum, verum ceterarum quoque rerum. Cur autem de locationibus nihil edicatur, mirum videbatur; hæc tamen ratio redditur, vel quia nunquam istorum de hac re fuerat jurisdictio, vel quia non similiter locationes, ut venditiones fiunt.-L. 13, § 8, Locat. cond. D. XIX, 2. DIO CASSIUS, LIII, 2.

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