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CHRESTOMATHIE FRANÇAISE.

PART FIRST.

[N.B.-The SMALL FIGURES inserted in the Text throughout this work refer to corresponding SECTIONS in the author's French Grammar.]

HISTOIRE D'ALIBÉE, PERSAN.440

SCHAH-ABBAS, roi de Perse, faisant un voyage, s'écarta de toute sa cour pour passer dans la campagne sans y être510 connu, et pour y voir les peuples dans toute leur liberté naturelle :117 il prit365 seulement avec lui un de ses courtisans. Je ne connais36 point,255 lui dit 353 le roi, les véritables mœurs des431 hommes: tout ce qui nous aborde est déguisé. C'est l'art, et non pas la nature simple, qui se montre289 à nous. Je veux343 étudier la vie rustique, et voir ce genre d'hommes qu'on méprise tant, quoiqu'ils soient548 le vrai soutien de toute la société humaine.

Je suis las de voir des85 courtisans qui m'observent pour me surprendre, en me flattant:515 il faut que j'aille312 voir des laboureurs et des bergers qui ne me connaissent pas. Il passa avec son confident au milieu de plusieurs villages où l'on207, a faisait des danses, et il était ravi de479 trouver loin des cours des plaisirs tranquilles et sans dépense. Il fit 356 un repas dans une cabane; et comme il avait grand' faim, après avoir marché plus qu'à l'ordinaire, les aliments grossiers qu'il prit lui parurent 364 plus agréables que tous les mets exquis de sa table. En passant dans une prairie semée517 de fleurs, qui bordait un clair ruisseau, il aperçut un jeune berger qui jouait de la flûte à l'ombre d'un grand ormeau, auprès de ses moutons. Il l'aborde, il l'examine: il lui trouve une physionomie agréable, un air simple et ingénu, mais noble et gracieux. Les haillons dont le berger était couvert ne diminuaient point l'éclat de sa beauté. Le roi crut351

d'abord que c'était quelque personne de naissance illustre qui s'était 296 déguisée ;297 mais il apprit365 du berger que son père et sa mère étaient dans un village voisin, et que son nom était Alibée.* 'A mesure que418, a le roi le questionnait, il admirait en lui un esprit ferme et raisonnable. Ses yeux étaient vifs, et n'avaient rien399 d'ardent ni de farouche: sa voix était douce,123 insinuante et propre à480 toucher. Son visage n'avait rien de grossier, mais ce203 n'était pas une beauté molle121 et efféminée. Le berger, d'environ seize ans, ne savait point qu'il fût tel qu'il paraissait aux autres: il croyait 559 penser, parler, être fait comme tous les autres bergers de son village; mais, sans éducation, il avait appris tout ce que la raison fait apprendre563 à ceux qui l'écoutent. Le roi, l'ayant entretenu familièrement, en fut charmé. Il sut340 de lui, sur l'état des peuples, tout ce que les rois n'apprennent jamais d'une foule de flatteurs qui les environne.504 De temps en temps il riait de la naïveté de cet enfant, qui ne ménageait rien dans ses réponses. C'était une grande nouveauté pour le roi que427 d'entendre parler si naturellement. Il fit signe au courtisan qui l'accompagnait de ne point278 découvrir qu'il était le roi; car il craignait qu' Alibée ne591 perdît541 en un moment toute sa liberté et toutes ses grâces, s'il venait à savoir devant qui il parlait. Je vois bien, disait le prince au courtisan, que la nature n'est pas moins belle465 dans les plus basses465 conditions que dans les plus hautes.4 Jamais398 enfant de roi n'a paru mieux né que celui-ci qui garde les moutons. Je me trouverais trop heureux d'avoir un fils aussi beau, aussi sensé et aussi aimable. Il me paraît propre à tout, et, si on a soin de l'instruire, ce sera assurément un jour un grand homme. Je veux le faire569, élever auprès de moi. Le roi emmena Alibée, qui fut bien surpris d'apprendre à qui il s'était rendu agréable. On lui fit apprendre à lire, à écrire, à chanter, et ensuite on lui donna des maîtres pour les arts et pour les sciences qui ornent l'esprit. D'abord il fut un peu ébloui de la cour; et son grand changement de fortune changea un peu son cœur. Son âge et sa faveur joints467 ensemble, altérèrent un peu sa sagesse et sa modération. Au lieu de sa houlette, de sa flûte et de son habit de berger, il prit une robe de

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* In English, Alibeg.

pourpre brodée d'or, avec un turban couvert de pierreries. Sa beauté effaça tout ce que la cour avait de plus agréable: il se rendit capable des affaires les plus sérieuses,484 et mérita la confiance de son maître, qui, connaissant le goût exquis d'Alibée pour toutes les magnificences d'un palais, lui donna enfin une charge très-considérable en Perse, qui est celle de garder tout ce que le prince a de pierreries et de meubles précieux.

Pendant toute la vie du grand Schah-Abbas, la faveur d'Alibée ne fit que croître.* A mesure qu'il s'avança dans un âge plus mûr, il se ressouvint enfin de son ancienne condition, et souvent il la regrettait. O beaux jours! se disait-il à lui-même, jours innocents, jours où j'ai goûté une joie pure et sans péril, jours depuis lesquels je n'en ai vu aucun de si doux, ne vous reverrai-je342 jamais? Celui qui m'a privé de vous, en me donnant tant de richesses, m'a tout ôté. Il voulut aller revoir son village: il s'attendrit dans tous les lieux où il avait autrefois dansé, chanté, joué de la flûte avec ses compagnons. Il fit quelque bien à tous ses parents et à tous ses amis; mais il leur souhaita pour principal bonheur de ne quitter jamais la vie champêtre, et de n'éprouver jamais les malheurs de la cour.

Il les éprouva, ces malheurs, après la mort de son bon maître Schah-Abbas. Son fils Schah-Sephi succéda à ce prince. Des courtisans envieux et pleins d'artifices trouvèrent moyen de le prévenir contre Alibée. Il a abusé,560 disaient-ils, de la confiance du feu roi; il a amassé des trésors immenses, et a détourné plusieurs choses de tres grand prix, dont il était dépositaire. Schah-Sephi était tout ensemble jeune et prince: il n'en fallait pas tant pour êtret crédule, inappliqué et sans précaution. Il eut la vanité de vouloir paraître réformer ce que le roi son père avait fait, et juger mieux que lui. Pour avoir un prétexte de déposséder Alibée de sa charge, il lui demanda, selon le conseil de ses courtisans envieux, de lui apporter un cimeterre garni de diamants d'un prix immense, que le roi son grand-père avait accoutumé de porter dans les combats. Schah-Abbas avait fait autrefois ôter de ce cimeterre tous ces beaux diamants, et Alibée

ing.

* Ne fit que croître, did nothing but grow, i. e., was constantly increasIt is enough to say that he was.

prouva par de bons témoins que la chose avait été faite518 par l'ordre du feu roi, avant que la charge eût été donnée518 à Alibée. Quand les ennemis d'Alibée virent342 qu'ils ne pouvaient plus se servir de565 ce prétexte pour le perdre, ils conseillèrent à Schah-Sephi de lui commander de faire dans quinze jours un inventaire exact de tous les meubles précieux dont il était chargé. Au bout de quinze jours, il demanda à voir lui-même toutes choses.

Alibée lui ouvrit toutes les portes, et lui montra tout ce qu'il avait en garde. Rien n'y manquait: tout était propre, bien rangé, et conservé avec grand soin. Le roi, bien étonné de trouver partout tant d'ordre et d'exactitude, était presque revenu en faveur d'Alibée, lorsqu'il aperçut au bout d'une grande galerie pleine de meubles très somptueux, une porte de fer qui avait trois grandes serrures. C'est là, lui dirent à l'oreille les courtisans jaloux, qu' Alibée a caché toutes les choses précieuses qu'il vous a dérobées.520 Aussitôt le roi en colère s'écria: je veux voir ce qui est au delà de cette porte. Qu'y avezvous mis? Montrez-le-moi. 'A ces mots, Alibée se jeta à ses genoux, le conjurant, au nom de Dieu, de ne pas lui ôter ce qu'il avait de plus précieux sur la terre: Il n'est pas juste, disait-il, que je perde543 en un moment ce qui me reste, et qui fait ma ressource après avoir travaillé tant d'années auprès du roi votre père. Otez-moi, si vous voulez, le reste, mais laissez-moi ceci. Le roi ne douta point que ce ne592 fût541 un trésor mal acquis qu' Alibée avait amassé: il prit un ton plus haut, et voulut absolument qu'on ouvrît cette porte.

Enfin Alibée, qui en avait les clefs, l'ouvrit lui-même. On ne trouva en ce lieu que589 la houlette, la flûte et l'habit de berger qu' Alibée avait porté autrefois, et qu'il revoyait souvent avec joie, de peur d'oublier sa première condition. Voilà, dit-il, ô grand roi! les précieux restes de mon ancien bonheur: ni la fortune, ni votre puissance, n'ont pu me les ôter; voilà mon trésor que je garde pour m'enrichir quand vous m'aurez fait pauvre. Reprenez tout le reste; laissez-moi ces chers gages de mon premier état: les voilà, mes vrais biens, qui ne manqueront jamais; les voilà, ces biens simples, innocents, toujours doux à ceux qui savent se contenter du nécessaire, et ne se tourmentent point pour le superflu; les voilà ces biens, dont la liberté et la pureté sont les fruits; les voilà, ces

biens qui ne m'ont jamais donné un moment d'embarras. O chers instruments d'une vie simple et heureuse! Je n'aime que vous; c'est avec vous que je veux vivre et mourir. Pourquoi faut-il que d'autres biens trompeurs soient 543 venus me tromper, et troubler le repos de ma vie? Je vous les rends, grand roi, toutes ces richesses qui me viennent de votre libéralité. Je ne garde que ce que j'avais quand le roi votre père vint331 par ses grâces me rendre malheureux. Le roi, entendant ces paroles, comprit l'innocence d'Alibée, et étant indigné contre les courtisans qui l'avaient voulu perdre, il les chassa d'auprès de lui. Alibée devint son principal officier, et fut chargé des affaires les plus secrètes; mais il revoyait tous les jours sa houlette, sa flûte et son ancien habit, qu'il tenait toujours prêts dans son trésor pour les reprendre dès que la fortune inconstante troublerait sa faveur. Il mourut 326 dans une extrême vieillesse, sans avoir jamais voulu ni faire569, punir ses ennemis, ní amasser aucun bien, et ne laissant à ses parents que de quoi vivre dans la condition de berger, qu'il crut toujours la plus sûre et la plus heureuse.-FÉNÉLON.

b

DIALOGUE ENTRE VOLTAIRE ET UN DE SES
OUVRIERS.

Monsieur de Voltaire. Est-il vrai que vous êtes du Comté de Neufchâtel?

L'Ouvrier. Oui, monsieur.

Voltaire. Êtes-vous de Neufchâtel même ?

L'Ouvrier. Non, monsieur, je suis du village de Butte,

dans la vallée de Travers.

Voltaire. Butte! cela est-il loin de Motiers?

L'Ouvrier. 'A une petite lieue.*

Voltaire. Vous avez dans votre pays un certain personnage de celui-ci qui a bien fait des siennes.t

L'Ouvrier. Qui donc, monsieur ?

Voltaire. Un certain Jean Jacques Rousseau. Le connaissez-vous?

*A short league from there.

† Who is always playing his pranks.

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