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COURS

DE

LITTÉRATURE

ANCIENNE ET MODERNE.

PREMIÈRE PARTIE.

ANCIENS.

LIVRE PREMIER.

POESIE.

SUITE DU CINQUIÈME CHAPITRE

Tragédie ancienne.

SECTION IV.

D'Euripide.

EURIPIDE était né à Salamine, au milieu des fêtes que l'on célébrait pour la victoire qui a rendu ce nom si fameux. Il cultiva d'abord la philosophie sous Anaxagore et Socrate : c'était le

Cours de Littérature. II.

I

temps où elle commençait à régner dans Athènes. Mais Euripide, effrayé des persécutions qu'elle avait attirées à son premier maître, Anaxagore, qui eut besoin, pour y échapper, de tout le crédit de Périclès, se tourna vers le théâtre, et eut bientôt des succès assez éclatants pour balancer ceux de Sophocle. La jalousie les brouilla d'abord; mais dans la suite ils se rendirent une justice réciproque, et devinrent amis. Euripide composa environ quatre-vingts pièces, dont quinze furent couronnées. Il nous en reste dix-huit. Appelé à la cour d'Archélaüs, roi de Macédoine, il fut honoré de la faveur de ce prince, et comblé de ses bienfaits. Sa fin fut malheureuse : s'étant trouvé seul dans un lieu. écarté, il fut dévoré par des chiens. Les Atheniens redemanderent son corps pour lui donner la sépulture: la plus honorable. Mais Archélaüs refusa de le rendre, jaloux de conserver à la Macedoine: les restes d'un grand homme, et les Athéniens se réduisirent à lui élever un cénotaphe.

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Je m'arrêterai plus ou moins sur chacune des pièces qui nous restent de lui, selon le degré de leur mérite, l'intérêt qu'elles peuvent avoir pour nous par les imitations qu'on en a faites, et les instructions qu'on en peut tirer. Je commencerai par dire un mot de celles qui ne sont pas dignes de la réputation de l'auteur, et qui semblent se rapprocher de l'enfance de l'art.

Les Bacchantes ne méritent pas même le nom

de tragédie, à moins qu'on ne restreigne ce nom à la signification qu'il avait du temps de Thespis: c'est une espèce de monstre dramatique en l'honneur de Bacchus. Le sujet est la mort de Penthée déchiré par sa mère, à qui Bacchus a ôté la raison pour venger sur ce malheureux prince le mépris de son culte. Cette fable atroce peut tenir une place dans les Métamorphoses d'Ovide; elle est dégoûtante dans un drame, et Euripide a mêlé à ces horreurs absurdes le délire des orgies et le ridicule de la farce. On y fait d'un bout à l'autre l'éloge du vin et de l'ivresse; ce qui fait conjecturer à Brumoy que la pièce fut composée pour les fêtes de Bacchus. Ce dieu vient pour établir à Thèbes sa divinité et son culte; il paraît sous la figure d'un fort beau jeune homme, et a bientôt un parti puissant parmi les dames thébaines. Mais le roi Penthée, à qui l'on veut le faire reconnaître, assure que, que, si le prétendu dieu ne sort pas de Thèbes, il le fera pendre. Bacchus, pour se venger de lui, de lui, le rend fou. Nous avons déja vu Minerve dans Sophocle en faire autant d'Ajax; mais il faut avouer que cette folie a tout un autre air

que celle de Penthée, tant il est vrai que tout dépend de la couleur que le poëte sait donner aux objets. Le roi de Thèbes fait à peu près le rôle du roi de Cocagne. Il prend le thyrse et une robe de femme, et se fait coiffer sur le théâtre par Bacchus même, qui est en grande faveur auprès de lui. Tout cela ne serait que grotesque,

si Penthée ne finissait pas par être mis en pièces par sa mère Agavé, que le dieu a aussi rendue folle, et qui revient sur la scène rapportant la tête sanglante de son fils, qu'elle prend pour une tête de lion. Si l'on n'avait jamais fait un àutre usage de la Fable, il n'y a pas d'apparence qu'elle 'eût fait une si grande fortune.

Au reste, on peut remarquer que c'est une vengeance très-commune parmi les dieux, que d'ôter la raison aux hommes pour leur faire commettre les plus horribles atrocités. Nous allons en voir un autre exemple aussi révoltant dans une autre pièce du même auteur, l'Hercule furieux, un peu moins ridicule que les Bacchantes, mais qui, pour celan en vaut guère mieux. Amphitryon raconte naïvement dans..an prologue toute l'histoire que Molière apres Plaute, a rendue si 'comique. Il rappelle la naissance d'Hercule. Ce héros est absent, et on le croit mort. Un certain Lycas a tué Créon, roi de Thèbes, et s'est emparé du trône : il veut faire mourir le vieil Amphitryon, Mégare sa belle-fille, femme d'Hercule, et leurs enfants, de peur qu'un jour quelqu'un d'eux ne venge la mort de Créon. Toute cette famille proscrite s'est réfugiée auprès de l'autel de Jupiter, comme à un asyle sacré et inviolable: cet autel a été élevé par Hercule lui-même, à la porte de son palais; mais Lycas menace d'y faire mettre le feu. Alors Mégare, perdant toute espérance, demande qu'il lui soit

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