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CHAPITRE X.

De l'Élégie et de la Poésie érotique chez les

Anciens.

LES Latins, dans le genre de l'élégie et de la poésie érotique, ont encore été les imitateurs des Grecs; mais les modèles ont péri, et les imitations nous sont restées. Nous ne connaissons les élégies de Callimaque, de Philétas et de Mimnerme que par la réputation qu'elles avaient chez les anciens, et par les témoignages glorieux des meilleurs critiques de l'antiquité. Quoique le mot élégie vienne du grec Xeyos, qui signifie complainte, cependant elle n'était pas toujours plaintive; elle fut originairement, comme aujourd'hui, destinée à chanter différents objets, les dieux, le retour d'un ami ou le jour de sa naissance, ou, comme a dit Boileau, elle gémissait sur un cercueil. La meilleure de cette dernière espèce est celle d'Ovide sur la mort de Tibulle. L'élégie fut souvent le chant de l'amour heureux ou malheureux. C'est pour cela que j'ai cru devoir joindre ensemble ce que j'avais à dire de l'élégie et de la poésie érotique ou amoureuse. C'est dans ce dernier genre que Catulle s'est sur-tout distingué, et c'est par lui que je

commencerai.

CATULLE.

Une douzaine de morceaux d'un goût exquis, pleins de grace et de naturel, l'ont mis au rang des poëtes les plus aimables. Ce sont de petits chefs-d'œuvre où il n'y a pas un mot qui ne soit précieux, mais qu'il est aussi impossible d'analyser que de traduire. On définit d'autant moins la grace, qu'on la sent mieux. Celui qui pourra expliquer le charme des regards, du sourire, de la démarche d'une femme aimable, celui-là pourra expliquer le charme des vers de Catulle. Les amateurs les savent par coeur, et Racine les citait souvent avec admiration. On peut croire que ce poëte tendre et religieux ne parlait pas des épigrammes obscènes ou satiriques du même auteur, qui en général ne sont pas dignes de lui, même sous les rapports du bon goût. Il y en a plusieurs contre César, qui, pour toute l'invita à souper. Il ne faut pas trop admirer César, car les épigrammes ne sont pas bonnes; et je croirais volontiers que le tact fin de César fit grace aux épigrammes en faveur des madrigaux. Si Catulle lui récita ses vers sur le moineau de Lesbie, et son épithalame de Thétis et Pelée, son hôte dut être content de lui: il dut voir dans Catulle un génie facile, qui excellait dans les sujets gracieux, et pouvait même s'élever au sublime de la passion.

vengeance,

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Naxos, qui fait partie de l'épithalame, est du petit nombre des morceaux où les anciens ont su faire parler l'amour. On ne peut le louer mieux qu'en disant que Virgile, dans son quatrième livre de l'Enéide, en a emprunté des idées, des mouvements, quelquefois même des expressions, et jusqu'à des vers entiers. L'Ariane de Catulle a servi à embellir la Didon de Virgile. Peut-on douter qu'un homme qui a rendu ce service à l'auteur de l'Enéide n'eût pu devenir un grand poëte, s'il eût aimé le travail et la gloire? Mais Catulle n'aima que le plaisir et les voyages, deux choses qui laissent peu de loisir pour les lettres. Il était né pauvre, et des amis généreux l'enrichirent, entre autres, Manlius, dont il fit l'épithalame, sujet usé dont il sut faire un ouvrage charmant, parce que le talent rajeunit tout. Il fut lié aussi avec Cicéron et Cornelius Népos: c'est à ce dernier qu'il a dédié son livre. Nous l'avons tout entier; il ne contient pas cent pages, et a rendu son auteur immortel. A-t-il eu tort de n'en pas faire davantage? Tous les écrivains de l'ancienne Rome l'ont comblé d'éloges, sans doute parce qu'il écrivait bien, peut-être aussi parce qu'il écrivit peu. Il suivit son goût, satisfit celui des autres, et n'effraya pas l'envie. Que lui a-t-il manqué? Rien que de jouir plus long-temps d'une vie qu'il savait si bien employer pour lui-même. Il mourut à cinquante ans.

OVIDE.

Les ouvrages et les malheurs d'Ovide l'ont rendu également célèbre. La postérité jouit des uns, et n'a pu encore expliquer les autres. Son exil est un mystère sur lequel la curiosité s'est épuisée en conjectures inutiles. Il est bien sûr que son poëme de l'Art d'aimer en fut le prétexte; mais sa discrétion, apparemment nécessaire, nous en a caché la véritable cause. Il répète en vingt endroits : « Mon crime est d'avoir « eu des yeux. Pourquoi ai-je vu ce que je ne << devais pas voir? » Qu'avait-il vu? C'est ce que nous ignorons. On a cru, on a même écrit de son temps qu'il avait surpris Auguste commettant un inceste. Rien n'est moins vraisemblable. Il eût été trop maladroit de rappeler sans cesse à ce prince ce qui devait le faire rougir. Il est plus probable qu'ayant un accès facile dans la maison d'Auguste, qui estimait ses talents, il fut témoin de quelque action honteuse à la famille impériale; et ce qui vient à l'appui de cette opinion, c'est que, après la mort d'Auguste, Tibère ne rappela point Ovide de son exil; d'où l'on peut conclure que, dans ce qu'il avait vu, Auguste n'était pas le seul qui fût compromis. Quoi qu'il en soit, ce fut un abus de pouvoir, un acte de tyrannie très-odieux, que d'exiler un chevalier romain pour la faute d'autrui. Le prétexte de cette cruauté était absurde. Comment

osait-on punir les vers d'Ovide, beaucoup moins libres que ceux d'Horace? Ces réflexions ont été faites, et il faut les répéter, parce qu'on ne peut pas trop souvent condamner l'injustice, sur-tout dans ceux qui peuvent être injustes impuné

ment.

Ovide, accoutumé aux délices de Rome, et transporté, à l'âge de cinquante ans, aux extrémités de l'Empire romain, sur les bords de la mer Noire, dans un pays sauvage et sous un climat très-rigoureux, aurait été assez puni, quand même il eût commis la faute la plus grave. Que sera-ce si l'on songe qu'il était innocent? Il mérite sans doute la pitié, et l'on peut même lui pardonner d'avoir été accablé de son exil, comme Cicéron le fut du sien. Je sais que Gresset a dit:

Je cesse d'estimer Ovide

Quand il vient, sur de faibles tons,
Me chanter, pleureur insipide,
De longues lamentations.

Gresset en parle bien à son aise. Il faut se souvenir qu'il y a tel exil qui peut paraître pire que la mort, et celui d'Ovide était de cette espèce. Sans parler de ses autres maux, il était séparé d'une femme qu'il adorait; et la plus intéressante de ses élégies, sans nulle comparaison, est celle où il détaille les circonstances de son départ, la dernière nuit qu'il passa dans Rome, et les adieux tendres et douloureux de son épouse. Ne jugeons

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