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Je saute vingt feuillets pour en trouver la fin,
Et je me sauve à peine au travers du jardin1
Fuyez de ces auteurs l'abondance stérile,
Et ne vous chargez point d'un détail inutile.

Tout ce qu'on dit de trop est fade et rebutant: unne
L'esprit rassasié le rejette à l'instant 2.

Qui ne sait se borner ne sut jamais écrire 3.

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Souvent la peur d'un mal nous conduit dans un pire: Un vers était trop faible, et vous le rendez dur;

J'évite d'être long, et je deviens obscur;

L'un n'est point trop fardé, mais sa muse est trop nue;
L'autre a peur de ramper, il se perd dans la nue'.
Voulez-vous du public mériter les amours,

Sans cesse en écrivant variez vos discours.

Un style trop égal et toujours uniforme

En vain brille à nos yeux, il faut qu'il nous endorme.
On lit peu ces auteurs nés pour nous ennuyer,
Qui toujours sur un ton semblent psalmodier.
leureux qui, dans ses vers, sait d'une voix légère
Passer du grave au doux, du plaisant au sévère !
Son livre, aimé du ciel, et chéri des lecteurs,

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1. Pour réhabiliter un peu ce palais si décrié, il convient d'en citer quelques vers, tirés de la description de l'escalier :

D'un marbre blanc et pur cent nymphes bien rangées,
De grands paniers de fleurs sur leurs têtes chargees,
Où l'art et la nature ont mis leurs ornements,
Semblent vouloir monter aux beaux appartements;
Leur main gauche soutient ces paniers magnifiques,
Leur droite tient les plis de leurs robes antiques.
Et l'art a fait changer, par ses nobles efforts,
Les veines de ce marbre aux veines de leurs corps.

2. llorace, Art poélique, vers 337 :

Omne supervacuum pleno de pectore manat.

5. Voltaire complète cette pensée par un vers analogue, et qui a eu, comme celui de Boileau, le privilége de devenir proverbe en naissant, discours vi, vers 171:

Le secret d'ennuyer est celui de tout dire.

1. Tous ces vers sont imités de l'Art poélique d'llorace:
In vitium ducit culpæ fuga, si caret arte. (Vers 31).
Brevis esse laboro,

Obscurus fio; sectantem lævia, nervi

Deticiunt animique; professus grandia turget;

Serpit humi, tutus nimium timidusque procellæ. (Vers 28).
Aut' dum vitat humum, nubes et inania captat. (Vers 280).

5. Le chant des psaumes ou psalmodie est sur un seul ton.
6. Horace, Art poétique, vers 343:

Omne tulit punctum qui miscuit utile dulci.

Est souvent chez Barbin entouré d'acheteurs'.

Quoi que vous écriviez, évitez la bassesse :
6. Le style le moins noble a pourtant sa noblesse
Au mépris du bon sens, le burlesque effronté
Trompa les yeux d'abord, plut par sa nouveauté;
On ne vit plus en vers que pointes triviales,
Le Parnasse parla le langage des halles ;
La licence à rimer alors n'eut plus de frein;
Apollon traveşti devint un Tabarin3.
Cette contagion infecta les provinces,

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Du clerc et du bourgeois passa jusques aux princes;

Le plus mauvais plaisant eut ses approbateurs

Et, jusqu'à d'Assouci, tout trouva des lecteurs*.
Mais de ce style enfin la cour désabusée
Dédaigna de ces vers l'extravagance aisée,
Distingua le naïf du plat et du bouffon
Et laissa la province admirer le Typhon 3.
6(a) Que ce style jamais ne souille votre ouvrage :

1. Horace, Art poétique, vers 345:

Hic meret æra liber Sosiis.

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2. Boileau a poursuivi le burlesque à outrance. Il le détestait si cordialement, qu'il lui est arrivé deux fois, devant Louis XIV et madame de Maintenon, de maugréer contre ce misérable Scarron. Cependant Scarron n'était pas si misérable: il a su traiter le burlesque avec esprit et finesse. Plusieurs traits du Virgile travesti sont d'un excellent comique, et quelques-uns sont des critiques justes et plaisantes du modèle. Mais comme ce travestissement, si ingénieux qu'il soit, est une atteinte réelle à la dignité du modèle, que le souvenir qu'il laisse corrompt toujours l'impression morale du beau sur les esprits, Boileau l'a toujours considéré comme un attentat littéraire, et presque comme un sacrilége.

3. Tabarin, auteur de quolibets et de farces qu'on a recueillis, et vendeur d'orviétan, avait ses tréteaux sur le pont Neuf.

4. Tout trouva est dur, et le paraissait surtout à d'Assoucy, qui ne put le digérer. Ce méchant auteur, homme de mauvaises mœurs, avait quelque talent pour la musique, et passait pour un compagnon assez agréable. Moliere, pendant ses courses à travers la province, l'hébergea assez longtemps. Chapelle et Bachaumont le rencontrèrent dans leur voyage à Montpellier, fort en peine des suites d'une mauvaise affaire. Avant de recevoir les coups de la férule de Boileau, d'Assoucy avait eu à essuyer les brutales apostrophes de Cyrano de Bergerac. On I appelait le singe de Scarron. Au reste, ce misérable auteur avait bien mérité toutes les avanies qu'il eut à subir.

5. Le Typhon ou la Gigantomachie est le début de Scarron dans le genre burlesque. Boileau a vouait que les premiers vers de ce poëme sont assez plaisants. Le Parisien Boileau aime à railler les goûts de la province. C'est dans le même esprit qu'il dira, au cinquième chant du Lutrin, vers 162:

...La Pharsale aux provinces si chère.

Imitons de Marot l'élégant badinage,|

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Et laissons le burlesque aux plaisants du pont Neuf. quacks & render Mais n'allez point aussi, sur les pas de Brébeuf1,

Même en une Pharsale, entasser sur les rives

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De morts et de mourants cent montagnes plaintives. 100
Prenez mieux votre ton. Soyez simple avec
Sublime sans orgueil, agréable sans fard.

N'offrez rien au lecteur que ce qui peut lui plaire. I
Ayez pour la cadence une oreille sévère :

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Que toujours dans vos vers le sens, coupant les mots, 105
Suspende l'hémistiche, en marque le repos.
Gardez qu'une voyelle à courir trop hâtée
Ne soit d'une voyelle en son chemin heurtée3.
Il est un heureux choix de mots harmonieux.
Fuyez des mauvais sons le concours odieux :
Le vers le mieux rempli la plus noble pensée,
Ne peut plaire à l'esprit quand l'oreille est blessée⚫.

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1. Brébeuf ne mérite pas toute cette colère de Boileau; s'il y a des excès d'enflure dans sa traduction de la Pharsale, on peut dire qu'il les a expiés par l'élévation et la pureté de quelques-unes de ses poésies chrétiennes. On ignore généralement que Brébeuf, cédant à la conta gion qui régnait, essayà de travestir Lucain avant de le traduire. On dit qu'il avait eu l'intention de traduire Virgile pendant que Segrais avait des vues sur Lucain, et qu'un échange à l'amiable se fit entre les deux poëtes. Ce n'est pas Lucain qui a été le plus maltraité.

2. Lucain s'était contenté de dire: Tot corpora fusa; et Brébeuf, sur ce texte, écrit ces deux vers:

De mourants et de morts cent montagnes plaintiv
D'un sang impétueux cent vagues fugitives.

Avouons que dans l'intervalle Corneille avait dit:

Des montagnes de morts, des rivières de sang,

et que Corneille imitait l'historien latin Aurélius Victor : « Stabant cadaverum acervi, montium similes; fluebat cruor fluminum mode. » Il faut faire la part de chacun dans ce délit poétique.

3. Tous ces vers sont des modèles de précision didactique et d'harmonie imitative. Regnier avait auparavant traité fort lestement ces scrupules et ces règles étroites que Malherbe imposait de son temps. Il disait, satire Ix, vers 55:

Leur savoir ne s'étend seulement

Qu'à regratter un mot douteux au jugement,

Prendre garde qu'un qui ne heurte une diphthongue,
Espier si des vers la rime est brève ou longue,
Ou bien si la voyelle à l'autre s'unissant

Ne rend point à l'oreille un son trop languissant.

4. Cicéron, dont la prose harmonieuse caresse si agréablement l'oreille, fait la même remarque dans l'Orator: « Quamvis enim suaves gravesque sententiæ, tamen, si inconditis verbis efferuntur, offendunt aures. quarum judicium superbissimum. »

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Durant les premiers ans du Parnasse françois,
Le caprice tout seul faisait toutes les lois1.
La rime, au bout des mots, assemblés sans mesure,
Tenait lieu d'ornements, de nombre et de césure.
Villon sut le premier, dans ces siècles grossiers,
Débrouiller l'art confus de nos vieux romanciers3.
Marot bientôt après fit fleurir les ballades,
Tourna des triolets, rima des mascarades,
A des refrains réglés asservit les rondeaux,
Et montra pour rimer des chemins tout nouveaux
Ronsard, qui le suivit, par une autre méthode,
Réglant tout, brouilla tout, fit un art à sa mode,
Et toutefois longtemps eut un heureux destin.
Mais sa muse, en français parlant grec et latin,
Vit dans l'âge suivant, par un retour grotesque,
Tomber de ses grands mots le faste, pédantesque.

4.

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1. Du temps de Boileau, la finale de françois et de lois rendait encore un son identique.

2. Cette critique ne saurait atteindre que les longs poëmes narratifs et monorimes des trouvères: encore est-elle excessive; car s'il est vrai qu'on trouve peu d'ornements et point de nombre dans ces ébauches épiques, il est faux qu'il n'y ait point de césure. Cette règle est partout fidèlement observée, soit dans les vers de dix syllabes, soit dans les alexandrins, et la césure partout sensible est déjà à la place que nos poëtes lui ont gardée; seulement à cette place une syllabe muette n'a pas besoin d'être élidée pour ne pas compter.

3. Boileau entend par romanciers les écrivains de la langue romane d'oïl, et non les auteurs de romans ou de romances. Ces deux mots qui ont la même étymologie, ont gardé une acception restreinte, et désignent deux genres spéciaux. On sait ce qu'on entend aujourd'hui par roman et par romance.· Quant à Villon, il n'a rien débrouillé; l'on ne lui doit aucun progrès de forme. Son mérite est d'avoir été poëte, c'est-à-dire d'avoir consacré quelques sentiments vrais par des expressions vives et saillantes.

4. Il est faux que Marot ait trouvé pour rimer des chemins tout nouveaux; il n'a point innové. La ballade florissait avant lui, ainsi que le triolet, la mascarade et le rondeau. Même il n'a fait ni triolet, ni mascarade. Une seule de ses quinze ballades, celle du frère Lubin, est un chef-d'œuvre. Marot a excellé dans l'épître badine, le madrigal, l'épigramme et le coq-à-l'âne, dont Boileau ne parle pas. Voilà bien des inexactitudes en peu de vers.

5. Boileau constate le triomphe et la chute de Ronsard, qu'il exécute plutôt qu'il ne le juge. Ronsard enivra d'abord ses contemporains et s'égara de plus en plus sur la foi de leur admiration. Il a été trop loué et trop dénigré. C'était, comme l'a dit Balzac, le commencement d'un poëte. 11 en a eu l'enthousiasme et non le goût. S'il a échoué complétement dans l'épopée et l'ode pindarique, il faut reconnaitre aussi Juns a rencontré par intervalles la vraie noblesse du langage poétique quelques passages du Bocage royal, des Hymnes et des Discours sur les misères du temps. M. Sainte-Beuve, qui, de nos jours,

End

stumble.

Ce poëte orgueilleux, trébuché de si haut,
Rendit plus retenus Desportes et Bertaut1.
Enfin Malherbe vint, et. le premier en France,
Fit sentir dans les vers une juste cadence,
D'un mot mis en sa place enseigna le pouvoir
Et réduisit la muse aux règles du devoir.
Par ce sage écrivain la langue réparée
N'offrit plus rien de rude à l'oreille épurée 3
Les stances avec grâce apprirent à tomber
Et le vers sur le vers n'osa plus eniamber.
Tout reconnut ses lois, et ce guide fidèle
Aux auteurs de ce temps sert encor de modèle.
Marchez donc sur ses pas; aimez sa pureté
Et de son tour heureux imitez la clarté.

(Si le sens de vos vers tarde à se faire entendre,

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a revisé ce grand procès, a tout au moins prouvé, pièces en main,
que dans le sonnet et dans les pièces anacreontiques Ronsard garde
un rang élevé. Malherbe, qui a si heureusement profité des efforts de
Ronsard, aurait dû blâmer moins rudement les écarts de ce poëte,
martyr de la cause dont il reste le héros.

1. Desportes (1552-1611) et Bertaut (1546-1606), tous deux disciples
et admirateurs de Ronsard, doivent leur retenue à leur tempérament
poétique, et non au trébuchement de Ronsard, qui a suivi la compo-
sition de leurs ouvrages. Desportes fut le poëte favori de Henri III et
de l'amiral de Joyeuse. Il reçut, pour prix d'un seul sonnet, dix mille
écus. Balzac attribue à cette libéralité imprudente le déluge de sonnets
qui inondèrent alors la France. Desportes eut aussi les riches abbayes
de Tiron et de Bon-Port. Supérieur dans le genre galant et hadin, il a
échoué dans la poésie sacrée. Le duc de Guise fredonnait une de ses
chansons lorsqu'il fut assassiné au château de Blois. Bertaut fut
aumônier de Marie de Médicis et évêque de Séez. Il est surtout re-
marquable par l'harmonie et le ton soutenu de sa versification.

2. Cet éloge de Malherbe est d'un ton presque lyrique. Il est digne du réformateur de la poésie et du législateur du Parnasse. Boilea a continue Malherbe, et il est juste qu'il le célèbre. D'ailleurs, to us les traits de cette peinture sont parfaitement exacts. Malherbe a to us les mérites dont Boileau le loue. La juste cadence, la place des mots, les règles du devoir, le tour heureux et la clarté, tout cela revient de droit à Malherbe. Mais ce poëte, sobre et vigoureux, plus gramm airien que poëte, laisse souvent désirer des images plus vives, plus de richesse dans l'expression, plus de variété dans les tours, plus d'entrain poétique et d'inspiration. Tel qu'il est, c'est encore un modèle et un maitre.

3. L'harmonie de ces deux vers charme l'oreille, et la charme si bien, qu'on ne remarque pas la hardiesse de la métaphore qui épure Toreille. Horace avait parlé de l'oreille épurée, mais sans métaphore, livre I, épître 1, vers 7:

Est mihi purgatam crebro qui personet aurem.

Et de l'oreille non épurée, livre épître 11, vers 55:

Auriculæ collecta sorde dolentes.

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