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Il réprime des mots l'ambitieuse emphase;
Ici le sens le choque, et plus loin c'est la phrase.
Votre construction semble un peu s'obscurcir :
Ce terme est équivoque, il le faut éclaircir1.
C'est ainsi que vous parle un ami véritable.
Mais souvent sur ses vers un auteur intraitable
A les protéger tous se croit intéressé,

Et d'abord prend en main le droit de l'offensé.
«De ce vers, direz-vous, l'expression est basse.
Ah! monsieur, pour ce vers je vous demande grâce,
Répondra-t-il d'abord. Ce mot me semble froid;
Je le retrancherais. C'est le plus bel endroit!
Ce tour ne me plaît pas. - Tout le monde l'admire. »

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Ainsi toujours constant à ne se point dédire, retract
Qu'un mot dans son ouvrage ait paru vous blesser,
C'est un titre chez lui pour ne point l'effacer.
Cependant, à l'entendre, il chérit la critique:
Vous avez sur ses vers un pouvoir despotique.

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Mais tout ce beau discours dont il vient vous flatter,
N'est rien qu'un piége adroit pour vous les réciter3.
Aussitôt il vous quitte; et, content de sa muse,
S'en va chercher ailleurs quelque fat qu'il abuse :
Car souvent il en trouve. Ainsi qu'en sots auteurs,
Notre siècle est fertile en sots admirateurs;
Et, sans ceux que fournit la ville et la province,

1. Пlorace, Art poélique, vers 445:

Vir bonus et prudens versus reprehendet inertes,
Culpabit duros, incomptis allinet atrum

Transverso calamo signum, ambitiosa recidet
Ornamenta, parum claris lucem dare coget,
Arguet ambigue dictum, mutanda notabit.

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Le même poëte exprime à peu près les mêmes idées dans la seconde épître du deuxième livre, qu'il faut lire comme complément néces saire de son Art poétique:

Audebit quæcumque parum splendoris habebunt

Et sine pondere erunt, et honore indigna ferentur,
Verba movere loco, quamvis invita recedant...
Luxuriantia compescet; nimis aspera sano
Lævabit cultu, virtute carentia tollet.

. Perse, satire 1, vers 55:

Et verum, inquis, amo; verum mihi dicite de me

3. Ce piége est le pire des traquenards, de l'avis de tous ceux qui sont tombés. Le bon Regnier en fit l'épreuve le jour où il rencontra cet importun, qui lui dit de sa voix la plus douce:

Monsieur, je fais des livres,

On les vend au Palais, et les doctes du temps
A les lire occupés n'ont autre passe-temps.

Tres

famence!

Il en est chez le duc. il en est chez le prince.
L'ouvrage le plus plat a, chez les courtisans,
De tout temps rencontré de zélés partisans,
Et pour finir enfin par un trait de satire,

Un sot trouve toujours un plus sot qui l'admire1.

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1. Si l'on en croit la Fontaine, livre II, fable xiv, il en est de la poltronnerie comme de la sottise:

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CHANT II'

Telle qu'une bergère, au plus beau jour de fête,
De superbes rubis ne charge point sa tête,

Et, sans mêler à l'or l'éclat des diamants,

Cueille en un champ voisin ses plus beaux ornements :
Telle, aimable en son air, mais humble dans son style*,
Doit éclater sans pompe une élégante idylle.
Son tour simple et naïf n'a rien de fastueux,

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1. Boileau consacre ce chant à la définition poétique des genres secondaires, tels que l'idylle, l'élégie, la chanson, la satire et de petits genres, comme le sonnet, l'épigramme, le rondeau, le vaudeville. L'un des trois grands genres, le genre lyrique, y occupe une place digne du sujet. Il est à remarquer que, ni dans ce chant, ni dans le suivant, Boileau ne traite du genre didactique; il se contente d'en créer un nouveau modèle. Marmontel a fort bien jugé les définitions de Boileau, en disant: « Qu'elles sont elles-mêmes des modèles du style, du ton, du coloris qui convient à leur objet. Le poëte aurait dû, dans ce second chant, parler de l'apologue; c'est une grave omission qui ne se justifie pas.

2. Ce début si orné, si gracieux, si poétique, n'a pas échappé à la critique des grammairiens, qui prétendent que les deux termes comparés ne s'unissent pas régulièrement, et qu'il faudrait non pas répéter telle, mais dire semblable à une bergère, l'idylle, etc.; ou, en d'autres termes, faire de la prose. Boileau a mieux aimé être poëte, et il a suivi la syntaxe elliptique de Malherbe dans l'ode à Henri IV:

Tel qu'à vagues épandues

Marche un fleuve impétueux, etc.
Tel et plus épouvantable

S'en allait ce conquérant.

On quatrain de l'ode burlesque de Scarron, Héro et Léandre, a pu fournir à Boileau l'image qui donne tant de charme à ces vers:

Avec l'émail de nos prairies,
Quand on le sait bien façonner,
On peut aussi bien couronner
Qu'avec l'or et les pierreries.

Si on ajoute à ce rapprochement ces vers de Segrais

Telle que se fait voir, de fleurs couvrant sa tête,

Une blonde bergère, un beau jour d'une fête,

on aura une juste idée de l'art de Boileau dans l'imitation, qu'il sait rendre originale.

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Elevant jusqu'au ciel son vol ambitieux,

Entretient dans ses vers commerce avec les dieux.

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Aux athlètes dans Pise elle ouvre la barrière,

Chante un vainqueur poudreux au bout de la carrière,
Mène Achille sanglant aux bords du Simoïs,

Ou fait fléchir l'Escaut sous le joug de Louis'.

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Tantôt, comme une abeille ardente à son ouvrage,
Elle s'en valde fleurs dépouiller le rivage:
Elle peint les festins, les danses et les ris;
Vante un baiser cueilli sur les lèvres d'Iris,
Qui mollement résiste, et par un doux caprice,
Quelquefois le refuse, afin qu'on le ravisse 2.
Son style impétueux souvent marche au hasard :
Chez elle un beau désordre est un effet de l'art 3.
Loin.ces rimeurs craintifs dont l'esprit flegmatique
Garde dans ses fureurs un ordre didactique;
Qui, chantant d'un héros les progrès éclatants,
Maigres historiens, suivront l'ordre des temps.
Ils n'osent un moment perdre un sujet de vue :
Pour prendre Dôle, il faut que Lille soit rendue;
Et que leur vers, exact ainsi que Mézerai,
Ait fait déjà tomber les remparts de Courtrai.
Apollon de son feu leur fut toujours avare.

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teurs qui blâment Boileau d'avoir attribué l'énergie à l'élégie. En effet, il serait bien coupable. Son tort est moins grave sans être excusable; énergie se rapporte seulement à éclat, et il faut entendre non moins d'énergie que d'éclat. Il est fâcheux que cette explication soit nécessaire, et non moins fâcheux qu'on en ait cherché d'autres. Par malheur encore, on a tenté des corrections, et Le Brun proposait :

L'ode avec plus d'éclat, de flamme, d'énergie.

Son offre n'a pas été accueillie.

1. Horace, Art poétique, vers 83:

Musa dedit fidibus Divos puerosque Deorum.,

Et pugilem victorem, et equum certamine primum,

Et juvenum curas, et libera vina referre.

2. Ilorace, livre II, ode xi:

Dum flagrantia detorquet ad oscula
Cervicem, aut facili sævitia negat
Quæ poscente magis gaudeat eripi.

3. Boileau a parfaitement raison; mais il faut ajouter, pour le biel. comprendre, qu'un beau désordre n'est jamais qu'un désordre apparent, et que sa beauté réelle résulte d'un ordre supérieur que la réflexion découvre. Cela est vrai de Pindare et de tout beau désordre, en quelque genre que ce soit.

4. Le mérite de Mézerai n'est pas précisément l'exactitude, mais la sincérité. A ce moment Mézerai était, sans comparaison, le meilleur

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On dit, à ce propos, qu'un jour ce dieu bizarre,
Voulant pousser à bout tous les rimeurs françois.
Inventa du sonnet les rigoureuses lois 2,

Voulut qu'en deux quatrains de mesure pareille
La rime avec deux sons frappât huit fois l'oreille,
Et qu'ensuite six vers, artistement rangés,
Fussent en deux tercets par le sens partagés.
Surtout de ce poëmefil bannit la licence.
Lui-même en mesura le nombre et la cadence,
Défendit qu'un vers faible y pût jamais entrer,
Ni qu'un mot déjà mis osât s'y remontrer.
Du reste il l'enrichit d'une beauté suprême :
Un sonnet sans défauts vaut seul un long poëme 4.
Mais en vain mille auteurs y pensent arriver,
Et cet heureux phénix est encore à trouver.
A peine dans Gombaud, Maynard et Malieville 5

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de nos historiens, et aujourd'hui encore il n'est pas des moindres. Son indépendance lui fit enlever le titre et les fonctions d'historiographe. Né en 1610, à Rye, village de Normandie, près d'Argentan, il mourut à Paris en 1683. Il succéda à Voiture comme académicien, et à Conrart comme secrétaire perpétuel de l'Académie. Pendant la Fronde, il écrivit quelques pamphlets vigoureux contre Mazarin.

1. Ce petit épisode, amené là par le nom d'Apollon, jeté comme par hasard, est un jeu d'esprit qui a dû coûter bien des efforts à son auteur. Les règles du sonnet y sont exprimées dans un langage poétique avec une précision rigoureuse. Toutefois, la transition, à ce propos, est un peu brusque. En effet, à propos de quoi? On peut se faire cette question, et il n'est pas facile d'y répondre. Les transitions étaient sans doute ici bien difficiles; mais il faut avouer qu'elles sont en général assez monotones.

D'un ton un peu plus haut, mais pourtant sans audace,
La plaintive élégie...

L'ode, avec plus d'éclat, et non moins d'énergie...
L'épigramme, plus libre en son cours plus borné ..

2. Nous retrouvons ici la rime, devenue irrégulière, de françois et de lois. L'invenieur humain du sonnet est Girard de Bourneuil, trouvère limousin du XIII° siècle, mort en 1278. Les Italiens ont fait fleurir ce petit poëme, d'origine française, qui nous est revenu au XVI siècle. Sa vogue a continué jusqu'au temps de Boileau; délaissé au XVIII siècle, il a eu de nos jours une espèce de renaissance. Toutefois T'heureux phénix est encore à trouver.

3. Il s'agit de licence métrique; Malherbe et ses disciples appelaient licencieux les sonnets où quelqu'une des règles était enfreinte. 4. Il reste toujours aux sonnets, même imparfaits, sur certains longs poëmes, un avantage: c'est d'être courts.

5. Ces trois poëtes ne sont pas sans mérite. Gombaud (1576-1666) fut un des premiers membres de l'Académie. Il paya un large tribut au goût maniéré des Italiens. Outre un grand nombre de sonnets et de madrigaux, il a composé une pièce pastorale qui cache, sous le

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