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Mon esprit aussitôt commence à se détendre,
Et, de vos vains discours prompt à se détacher,
Ne suit point un auteur qu'il faut toujours chercher.
II est certains esprits dont les sombres pensées
Sont d'un nuage épais toujours embarrassées;
Le jour de la raison ne le saurait percer.
10. Avant donc que d'écrire, apprenez à penser1.
Selon que notre idée est plus ou moins obscure,
L'expression la suit, ou moins nette, ou plus pure 2.
Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement
Et les mots pour le dire arrivent aisément3.
Surtout qu'en vos écrits la langue révérée
Dans vos plus grands excès vous soit toujours sacrée.
En vain vous me frappez d'un son mélodieux,

Si le terme est impropre, ou le tour vicieux, figure
Mon esprit n'admet point un pompeux barbarisme,"
Ni d'un vers ampoulé l'orgueilleux solécisme1.
Sans la langue, en un mot, l'auteur le plus divin
Est toujours, quoi qu'il fasse, un méchant écrivain 5.

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1. On n'apprend pas à penser, mais il faut savoir penser avant d'écrire. Horace dit plus et mieux que Boileau dans ce vers excellent :

Scribendi recte sapere est et principium et fons.

Le mot sapere est pris ici dans toute l'étendue de son sens philoso-
phique; il signifie le discernement du vrai et du faux, du beau et de
son contraire; sapere désigne donc la raison et le goût, qui sont bien
le principe et la source du bien écrire, inséparable du bien penser.
2. Horace, Art poétique, vers 40:

Cui lecta potenter erit res,

Non facundia deseret hunc.

3. Horace, Art poétique, vers 311:

Verbaque provisam rem non invita sequentur.

4. On sait, par expérience, dans nos classes, l'existence du barbarisme et du solécisme, et quel genre d'atteinte l'un ou l'autre de ces deux monstres de grammaire porte à la pureté du langage: le premier offense le vocabulaire, le second la syntaxe.

5. La contradiction qu'on a cru remarquer dans ces deux vers serait réelle, puisqu'on ne peut pas être, au sens propre, tout ensemble un auteur divin et un méchant écrivain, s'il n'y avait pas là quelque allusion satirique. Boileau attaque ici indirectement Desmaretz de Saint-Sorlin, auteur du Clovis, poëme fort mal écrit et divin, en ce sens que ce poëte visionnaire s'imaginait en avoir écrit les derniers chants sous la dictée de Dieu même. Le vers qui suit: Travaillez à loisir, quelque ordre qui vous presse, étant une allusion à Scudéry, qui disait toujours, pour excuser sa précipitation: « J'ai ordre de finir, on saisit facilement l'enchaînement des idées, puisque rien n'est plus naturel que de passer de Desmaretz à Scudéry.

/2 Travaillez à loisir, quelque ordre qui vous presse,
Et ne vous piquez point d'une folle vitesse:
Un style si rapide, et qui court en rimant,

duty

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Marque moins trop d'esprit que peu de jugement.qual to find

1

Dans un pré plein de fleurs lentement se promène,
Qu'un torrent débordé qui, d'un cours orageux,
Roule, plein de gravier, sur un terrain fangeux d
3.litez-vous lentement; et sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage;
Polissez-le sans cesse et le repolissez ;
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez 3.

in Boileau

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C'est peu qu'en un ouvrage où les fautes fourmillent
Des traits d'esprits semés de temps en temps pétillent
Il faut que chaque chose y soit mise en son lieu;
Que le début, la fin, répondent au milieu,
Que d'un art délicat les pièces assorties

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polish

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N'y forment qu'un seul tout de diverses parties;
Que jamais du sujet le discours s'écartant dis

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1. Cette belle image est indiquée dans le vers d'Horace, livre I, satire iv, vers 11, parlant de Lucilius:

Quum flueret lutulentus, erat quod tollere velles.

2. Horace :

Festina lente.

3. Horace, Art poétique, vers 201:

Vos. O

Pompilius sanguis, carmen reprehendite quod
Multa dies et multa litura coercuit, atque
Præsectum decies non castigavit ad unguem.

4. Horace, livre II, épître 1, vers 73 :

Inter quae verbum emicuit si forte decorum, et
Si versus paulo concinnior unus et alter;
Injuste totum ducit venditque poema.

5. Horace, Art poétique, vers 152 :

Primo ne medium, medio ne discrepet imum.

6. Horace, Art poétique, vers 23:

Denique sit quodvis simplex duntaxat et unum

Ce précepte d'ensemble dans le tout et de proportion dans les parties, dit M. Andrieux, est fondé sur la raison, et enseigné par tous les maitres de l'art. Il s'applique à tous les ouvrages, de quelque gen e qu'ils soient. »

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N'aille chercher trop loin quelque mot éclatant'.
Craignez-vous pour vos vers la censure publique,
15 Soyez vous à vous-même un sévère critique:
L'ignorance toujours est prête à s'admirer.

Faites-vous des amis prompts à vous censurer;
Qu'ils soient de vos écrits les confidents sincères
Et de tous vos défauts les zélés adversaires :
Dépouillez devant eux l'arrogance d'auteur.
Mais sachez de l'amifdiscerner le flatteur3:

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Tel vous semble applaudir qui vous raille et vous joue.

Aimez qu'on vous conseille, et non pas qu'on vous loue*.
Un flatteur aussitôt cherche à se récrier

:

Chaque vers qu'il entend le fait extasier.

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Tout est charmant, divin; aucun mot ne le blesse ;
atal trépigne de joie, il pleure de tendresse ;

Il vous comble partout d'éloges fastueux.
La vérité n'a point cet air impétueux.

Un sage ami, toujours rigoureux, inflexible,
Sur vos fautes jamais ne vous laisse paisible
Il ne pardonne point les endroits négligés,
Il renvoie en leur lieu les vers mal arrangés,

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1. Ce précepte doit être toujours présent à l'esprit des jeunes gens composent, car ils sont trop souvent tentés d'introduire, de gré ou de force, et toujours avec précipitation, les expressions qui les ont frappés; et ils sacrifient, à ce désir de briller, la suite des idées et l'analogie des expressions, sans lesquelles il n'y a pas de bon style. 2. Horace, livre II, épître u, vers 109 :

At qui legitimuin cupiet fecisse poema,

Cum tabulis aniinum censoris sumet honesti.

3. Horace, Art poétique, vers 421 :

Noscere....

Sciet inter

Le septième des traités moraux de Plutarque enseigne comment on pourra discerner le flatteur d'avec l'ami. On voit que Boileau a lu au moins le titre de ce traité; mais, pour les détails, il imite Horace.

4. Un poëte contemporain, M. A. Pommier. a dit ingénument et plaisamment son avis sur ce précepte :

En dépit de Boileau moi j'aime, je l'avoue,

Fort peu qu'on me conseille et beaucoup qu'on me loue.

5. Horace, Art poétique, vers 428 :

Clamabit enim pulchre, bene, recte!
Pallescet super his; etiam stillabit amicis
Ex oculis rorem; saliet, tundet pede terram.

6. Horace, Art poétique, vers 433:

Derisor vero plus laudatore movetur.

Il réprime des mots l'ambitieuse emphase;
Ici le sens le choque, et plus loin c'est la phrase.
Votre construction semble un peu s'obscurcir :
Ce terme est équivoque, il le faut éclaircir1.
C'est ainsi que vous parle un ami véritable.
b Mais souvent sur ses vers un auteur intraitable
A les protéger tous se croit intéressé,

Et d'abord prend en main le droit de l'offensé.
«De ce vers, direz-vous, l'expression est basse.
Ah! monsieur, pour ce vers je vous demande grâce,
Répondra-t-il d'abord. - Ce mot me semble froid;
Je le retrancherais. C'est le plus bel endroit!
Ce tour ne me plaît pas. Tout le monde l'admire. >
Ainsi toujours constant à ne se point dédire, retract
Qu'un mot dans son ouvrage ait paru vous blesser,
C'est un titre chez lui pour ne point l'effacer.
Cependant, à l'entendre, il chérit la critique":
Vous avez sur ses vers un pouvoir despotique.
Mais tout ce beau discours dont il vient vous flatter,
N'est rien qu'un piége adroit pour vous les réciter3.
Aussitôt il vous quitte; et, content de sa muse,
S'en va chercher ailleurs quelque fat qu'il abuse :
Car souvent il en trouve. Ainsi qu'en sots auteurs,
Notre siècle est fertile en sots admirateurs;
Et, sans ceux que fournit la ville et la province,

1. Пlorace, Art poétique, vers 445:

Vir bonus et prudens versus reprehendet inertee,
Culpabit duros, incomptis allinet atrum

Transverso calamo signum, ambitiosa recidet
Ornamenta, parum claris lucen dare coget,

Arguet ambigue dictum, mutanda notabit.

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Le même poëte exprime à peu près les mêmes idées dans la seconde épître du deuxième livre, qu'il faut lire comme complément néces saire de son Art poétique:

Audebit quæcumque parum splendoris habebunt

Et sine pondere erunt, et honore indigna ferentur,
Verba movere loco, quamvis invita recedant...
Luxuriantia compescet; nimis aspera sano
Lævabit cultu, virtute carentia tollet.

2. Perse, satire 1, vers 55:

Et verum, inquis, amo; verum mihi dicite de me

3. Ce piége est le pire des traquenards, de l'avis de tous ceux qui › sont tombés. Le bon Regnier en fit l'épreuve le jour où il rencontra cet importun, qui lui dit de sa voix la plus douce:

Monsieur, je fais des livres,

On les vend au Palais, et les doctes du temps
A les lire occupés n'ont autre passe-temps.

Tres

famence!

Il en est chez le duc. il en est chez le prince.
L'ouvrage le plus plat a, chez les courtisans,
De tout temps rencontré de zélés partisans,
Et pour finir enfin par un trait de satire,

Un sot trouve toujours un plus sot qui l'admire1.}

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1. Si l'on en croit la Fontaine, livre II, fable xiv, il en est de la poltronnerie comme de la sottise:

Il n'est, je le vois bien, si poltron sur la terre
Qui ne puisse trouver un plus poltron que soi.

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