LE POÈTE A SES DÉTRACTEURS J'exècre les railleurs: Un bon mot n'a jamais rendu les gens meilleurs. Grâce à Dieu j'ai gardé la vertu de la haine. Sur mes froides hauteurs si nul ne vient m'entendre, Moi-même en ces hauts lieux dont j'ai subi les charmes Des traits que m'ont fournis les rochers et les bois; Par eux, par le contact de leur grandeur paisible, Je tiens quelque fierté de ce désert mon maître: (Poèmes civiques, 1.— 1, Pro aris et focis.— Librairie 1. Le mot est de Boileau, Epître VII, à Racine. AUTRAN 1812-1877 Joseph AUTRAN, de Marseille, né en 1812 comme M. de Laprade, son ami, entra à l'Academie française en 1868. A part son heureuse tragédie de la Fille d'Eschyle (1848), trois mots peuvent résumer son œuvre poétique: matelots, paysans et soldats, héros des Poèmes de la Mer (1852), de Laboureurs et Soldats (1854, réimprimés sous le titre de la Flûte et le Tambour, avec addition de Milianah et de Roulements de Tambour), et de la Vie rurale (1856). Son originalite propre est d'avoir le premier consacré un poème à la mer, son debut, publié avec le titre « ambitieux, dit-il, sous son apparente simplicité » de la Mer, en 1835, enrichi depuis et devenu les Poèmes de la Mer. Enfant de Marseille, il a d'abord vu et chanté les horizons et la vie maritimes; mais enfant d'un siècle littéraire qui a la passion de la nature, il la cherche, la goûte et la respire dans les campagnes de la Provence comme aux bords de la Méditerranée. Si la Provence rustique est près de lui, l'Afrique guerriere n'est pas loin; Marseille, son séjour et son centre, reçoit vite les echos d'Alger. Autran, enfant de la Révolution, aime à voir le soldat dans le paysan : Frère de Jeanne d'Arc, de Hoche et de Marceau, (La Vie rurale, I, 3.) et à le saluer sur le quai de la Joliette au retour de Milianah: de là sa veine de poésie militaire. Ainsi se forme et se lie le faisceau de son œuvre, œuvre d'inspiration sincère, œuvre de bonne foi. LE MONDE SOUS-MARIN Qui de vous n'a perdu souvent de longues heures Des joyaux qui seraient l'orgueil de cent palais: Met un siècle à polir rien qu'en les charriant. Ne sont que des cailloux pourtant, que d'humbles pierres Après ce long ruban d'humides pierreries S'étendent des gazons frais et verts, des prairies Telles que le rayon d'un printemps généreux 1. La mer avait eu son peintre, Joseph Vernet; elle n'avait pas eu son poète. C'est elle qui porte Ulysse, Enée et Vasco de Gama; c'est sur ses bords que pleurent Achille et Polypheme, que se tue Ajax, que s'assied l'Aveugle de Chénier, et que chante Lamartine à Ischia. Mais il semble que la poésie n'eût pas osé s'aventurer seule dans ses espaces, sans héros à y promener, et que sur elle pesât encore l'anathème d'Horace : Illi robur..., quand Autran, qui l'aimait comme une patrie, l'embrassa tout entière dans ses Poèmes de la mer. Dans le premier livre il n'a de limites que l'Océan. Il allume les phares sur ses côtes, le feu des épaves sur ses grèves, et, comme V. Hugo, il plonge ses regards et sa pensée dans l'abime pour y voir et y entendre pleurer les naufragés : < Plaignez-nous! le destin fut pour nous bien amer: Vingt fofs de l'ur à l'autre pôle, Usé dans la tempête et ses jours et ses nuits, < Avoir livré bataille à tous les éléments; Etre morts dans la glace, être morts dans le feu, « Heureux, bienheureux ceux que la mort a surpris Ceux-là, sur leur tombeau, quand revient le printem; s. Ceux-là, dans un sommeil qui n'est pas sans douceurs, Qui viennent prier sur leurs tombes.... Plaignez-nous! plaignez-nous! c'est là que nous do.rons De débris de tous les rivages, Au fond de cet abîme où s'élève en monceaux Plaignez-nous ! plaignez-nous! ô nos frères vivants, CALME DU SOIR Ce soir, le flot dormant, qu'aucun vent ne soulève, Au doux foyer de la famille; Dans la saison d'hiver, vous qui venez, le soir, (Les Poèmes de la Mer, I. 18, Les Naufragés.) Cf. VICTOR HUGO, Oceano Nox. (Les Rayons et les Ombres, XLII): Saint-Valery-sur-Somme. Oh! combien de marins, combien de capitaines, Nul ne sait votre sort, pauvres têtes perdues! Heurtant de vos fronts morts des écueils inconnus. On demande : -- Où sont-ils? sont-ils rois dans quelque Le corps se perd dans l'eau, le nom dans la mémoire; Bientôt des yeux de tous votre ombre est disparue De leur foyer et de leur cœur. Et quand la tombe enfin a fermé leur paupière, Rien ne sait plus vos noms. pas même une humble pierr Pas même un saule vert qui s'effeuille à l'automne, Que chante un mendiant à l'angle d'un vieux pont.... monte jusqu'aux mers polaires : Formidables déserts! solitudes sans borne! La neige ceint partout les pics étincelants: (Ibid., I. 12, Voyage au Pôle arctique.) Dans le deuxième livre il ne dépasse pas la Méditerranée, où il rencontre les Tritons, la trirème d'Ulysse, les baigneuses de Castellamare et de Sorrente. Le troisième livre le fixe sur les côtes de Provence. Il s'arrête dans les Un murmure douteux, qui meurt ou se prolonge, Est-il rien de plus doux que ce recueillement? S'élève c'est la voix mélancolique et tendre, : C'est le chant qu'un pêcheur à l'écho fait entendre. Pendant qu'un chaud soleil séchera ses filets. (Les Poèmes de la mer, III. — 21, Les Pécheurs. Calmann Lévy, éditeur.) LES FANEURS Les voyez-vous là-bas, au bord de la rivière, Sous le feu du soleil, sans trêve ni relâche, Ils veulent qu'à la nuit tous leurs prés soient tondus. criques, dans les anses connues de son enfance, monte à Notre-Dame de la Garde, écoute le chant des Alcyons, et salue Lamartine dans une villa de la plage du Prado. L'inspiration s'éparpille un peu dans des pièces de formes et de mètres très variés; les vastes horiz ns maritimes ne s'y déroulent pas dans l'ampleur de larges périodes alexandrines, comme les immensités célestes dans celles de Lainartine (Les Etoiles, l'Infini dans les cieux); la mélancolie, Pensive et recueillie Aux bords silencieux des mers, n'y rêve pas comme dans Ischia ou le Golfe de Baia. Autran a de l'âme ; il sent et il voit: la puissance et la souplesse du style lui manquent. |