Avec notre finesse et notre esprit moqueur, Ferait croire, après tout, que nous manquons de cœur ; Que c'était une triste et honteuse misère Que cette solitude à l'entour de Molière, Et qu'il est pourtant temps, comme dit la chansc Et l'habiller de noir, cet homme aux rubans verls1, O notre maître à tous! si ta tombe est fermée, Et pour me faire entendre, à défaut du génie. J'en aurai le courage et l'indignation *! (Poésies nouvelles. Une soirée perdue. Charpentier, éditeur.) 1. C'est ainsi que Célimène désignait Alceste dans la lettre lue an Ve acte, scène 4e, du Misanthrope. 2. Voyez la « vieille chanson» que dit Alceste (1, 2). 3. Celimène; et le sonnet d'Oronte, « bon à mettre au cabinet » (I, 2). 4. Un autre jour il esquisse, par une sorte de prétérition improvisée, une vive satire de son temps, en se justifiant du silence et de la « paresse >> qu'on lui reprochait, sur l'exemple d'un autre « fainéant », « esprit mâle et Lautain, Mathurin Régnier, De l'immortel Molière, immortel devancier.... Ce cœur sans peur, sans gêne et sans inquietudo, (Poésies nouvelles. Sur la Parcesc. TH. GAUTIER 1811-1872 Romancier, narrateur et peintre de voyages, critique d'art, critique dramatique, Théophile GAUTIER, de Tarbes, a pris une des premières places, après les maîtres, dans l'école romantique qu'il a défendue par sa propagande et enrichie par ses livres. Son caractère propre, celui qui fera vivre la partie la plus originale de son œuvre, ses tableaux de voyages, est un art achevé de peindre et de graver avec des mots. Il l'a pratiqué dans sa poésie comme dans sa prose. C'est un artiste (il avait passé par l'atelier d'un peintre) qui, en prenant une plume, a gardé de la main gauche la palette qu'il y trempe, et, à l'occasion, laisse l'une et l'autre pour le burin. Sa poésie de coloriste et de ciseleur est toute plastique; son inspiration un peu courte (à part la Comédie de la Mort) est à l'aise dans un cadre réduit, et le dernier de ses recueils la resserre encore dans de petites pièces en strophes de quatre petits vers, qui suffisent à peindre ses Emaux et à sculpter le profil de ses Camées. Toute pensée y est image. Ami de la nature, comme tout le siècle, il en goûte, en décrit ou en peint avec le dilettantisme d'un amateur les mille détails qu'elle offre à un œil curieux, plutôt qu'il n'en chante avec la passion d'un amant ou l'enthousiasme d'un lyrique les grandeurs ou les splendeurs. Les larges horizons, le golfe de Naples ou les Alpes, ne lui sont pas nécessaires comme à Lamartine ou à V. de Laprade; il n'a que faire du Gange, du Nil, des Cordillères ou des pampas, chers à Leconte de Lisle. Il regarde pendant la pluie Il regarde Comme les larges gouttes (Poésies complètes, t. Ier, Pluie.) Le puceron qui grimpe et se pend au brin d'herbe... Moins que cela encore, un fil d'araignée perlé de rosée l'arrête la loupe en main. Il excelle à marier les effets pittoresques des œuvres de l'art humain à ceux des œuvres de la nature. Comme Victor Hugo, il aime les « vitraux diaprés », les dentelures des toits gothiques, les pignons et les ogives; comme lui, il va voir les «< soleils couchants» dorer Notre-Dame et se refléter dans la Seine: mais un pan de mur » dans le Marais lui suffit. Il sait aussi d'ailleurs, comme ses frères en poésie, rêver sur le sentier où a passé un ami perdu: mais ses yeux distraient toujours son âme, et c'est l'àme qui immortalisera le « Souvenir » d'Alfred de Musset et la < Tristesse d'Olympio » de Victor Hugo. LE POT DE FLEURS Parfois un enfant trouve une petite graine, Pour la planter il prend un pot de porcelaine Il s'obstine, et ses doigts s'ensanglantent aux dards. (Poésies complètes, t. 1. Charpentier, éditeur.) LES COLOMBES Sur le coteau, là-bas où sont les tombes, Mais le matin elles quittent les branches : Mon âme est l'arbre où tous les soirs, comme elles, Tombent des cieux en palpitant des ailes, Pour s'envoler dès les premiers rayons. 1. Chez Th. Gautier toute pensée est image, disions-nous. Cet exemple et le suivant suffiront pour le montrer. D'un âge qui n'est plus précieuses reliques, Leurs dômes dans l'azur tracent un noir contour. Et la lune paraît, de ses rayons obliques Et les derniers rameaux des pins mélancoliques Alors les vibrations de la cloche qui tinte (Ibid. Charpentier, éditeur. 1. Se souvient, de quoi ? d'un ami perdu? de ses jours de jeunesse et de foi? des siècles de foi que regrettait Rolla? L'expression est vague, comme la rêverie du poète, provoquée par l'ensemble des sensations que produisent le soir, la lune, là cloche, la grève et la mer, et qui, l'attendrissant, se transforment en sentiment. Les impressions physiques deviennent des impressions morales. Souvent la poésie n'est pas autre chose. En voilà un exemple. Les poètes de ce siècle ont remis en honneur le sonnet, oublié au XVIIIe. Nous détachons du Livre des Sonnels (quatorze dizains de sonnets choisis dans les quatre derniers siècles, où le xvine ne figure que par un sonnet de Voltaire, et un de J.-B. Rousseau), publié par A. Lemerre (1875), les deux sonnets contemporains que voici, deux modèles. Les deux Cortèges. Deux cortèges se sont rencontres à l'église. Une femme le suit, presque folle, étouffant L'autre, c'est un baptême. Au bras qui le défend Un nourrisson bégaye une note indécise: La mère, lui tendant le doux sein qu'il épuise, On baptise, on absout, et le temple se vide. Le Berceau. (SOULARY. Quel temple pour son fils elle a rêvé neuf mois! Fi de l'osier flexible, ou bien du simple bois ! (Eng. MANUEL MOYEN AGE Quand je vais poursuivant mes courses poétiques, 1. Cette fois l'imagination fait tous les frais: la rêverie ne va pas jusqu'à la mélancolie. 2. Ombreux signifie: 1° qui produit de l'ombre, comme ici; 20 couvert d'ombre: «vallée ombreuse» (V. Hugo, Feuill. d'aut., XXXVII.) |