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Avec notre finesse et notre esprit moqueur,

Ferait croire, après tout, que nous manquons de cœur ; Que c'était une triste et honteuse misère

Que cette solitude à l'entour de Molière,

Et qu'il est pourtant temps, comme dit la chansc
De sortir de ce siècle ou d'en avoir raison.....
Ah! j'oserais parler, si je croyais bien dire.
J'oserais ramasser le fouet de la satire,

Et l'habiller de noir, cet homme aux rubans verls1,
Qui se fâchait jadis pour quelques mauvais vers.
S'il rentrait aujourd'hui dans Paris, la grand'ville 2,
Il y trouverait mieux, pour émouvoir sa bile,
Qu'une méchante femme et qu'un méchant sonnet 3;
Nous avons autre chose à mettre au cabinet.

O notre maître à tous! si ta tombe est fermée,
Laisse-moi dans ta cendre, un instant ranimée,
Trouver une étincelle, et je vais t'imiter!
Apprends-moi de quel ton, dans ta bouche hardic,
Parlait la vérité, ta seule passion,

Et pour me faire entendre, à défaut du génie.

J'en aurai le courage et l'indignation *!

(Poésies nouvelles. Une soirée perdue. Charpentier, éditeur.)

1. C'est ainsi que Célimène désignait Alceste dans la lettre lue an Ve acte, scène 4e, du Misanthrope.

2. Voyez la « vieille chanson» que dit Alceste (1, 2).

3. Celimène; et le sonnet d'Oronte, « bon à mettre au cabinet » (I, 2). 4. Un autre jour il esquisse, par une sorte de prétérition improvisée, une vive satire de son temps, en se justifiant du silence et de la « paresse >> qu'on lui reprochait, sur l'exemple d'un autre « fainéant », « esprit mâle et Lautain, Mathurin Régnier,

De l'immortel Molière, immortel devancier....

Ce cœur sans peur, sans gêne et sans inquietudo,
Qui vécut et mourut dans un si brave ennui,
S'il se taisait jadis, qu'eût-il fait aujourd'hui ?..
Franchise du vieux temps, muse de la patrie,
Où sont ta verte allure et ta sauvagerie
Comme ils tressailleraient, les paternels tombeaux,
Si ta voix douce et rude en frappait les échos!...
Et quel plaisir de voir, sans masque ni lisières,
Courir en souriant tes beaux vers ingénus.
Tantôt légers, tantôt boiteux, toujours pieds nus!
Gaité, génie heureux, qui fut jadi le nôtre,
Rire dont on riait d'un bout du monde à l'autre,
Esprit de nos aïeux, qui te réjouissais
Dans l'éternel bon sens, lequel est né français.
Fleurs de notre pays, qu'êtes-vous devenues?
L'aigle s'est-il lassé de planer dans les nues?...

(Poésies nouvelles. Sur la Parcesc.

TH. GAUTIER

1811-1872

Romancier, narrateur et peintre de voyages, critique d'art, critique dramatique, Théophile GAUTIER, de Tarbes, a pris une des premières places, après les maîtres, dans l'école romantique qu'il a défendue par sa propagande et enrichie par ses livres. Son caractère propre, celui qui fera vivre la partie la plus originale de son œuvre, ses tableaux de voyages, est un art achevé de peindre et de graver avec des mots. Il l'a pratiqué dans sa poésie comme dans sa prose. C'est un artiste (il avait passé par l'atelier d'un peintre) qui, en prenant une plume, a gardé de la main gauche la palette qu'il y trempe, et, à l'occasion, laisse l'une et l'autre pour le burin. Sa poésie de coloriste et de ciseleur est toute plastique; son inspiration un peu courte (à part la Comédie de la Mort) est à l'aise dans un cadre réduit, et le dernier de ses recueils la resserre encore dans de petites pièces en strophes de quatre petits vers, qui suffisent à peindre ses Emaux et à sculpter le profil de ses Camées. Toute pensée y est image. Ami de la nature, comme tout le siècle, il en goûte, en décrit ou en peint avec le dilettantisme d'un amateur les mille détails qu'elle offre à un œil curieux, plutôt qu'il n'en chante avec la passion d'un amant ou l'enthousiasme d'un lyrique les grandeurs ou les splendeurs. Les larges horizons, le golfe de Naples ou les Alpes, ne lui sont pas nécessaires comme à Lamartine ou à V. de Laprade; il n'a que faire du Gange, du Nil, des Cordillères ou des pampas, chers à Leconte de Lisle. Il regarde pendant la pluie

Il regarde

Comme les larges gouttes
Glissent de feuille en feuille et passent à travers
La tourelle fleurie et les frais arceaux verts.

(Poésies complètes, t. Ier, Pluie.)

Le puceron qui grimpe et se pend au brin d'herbe...
La chenille trainant ses anneaux veloutés....
La limace baveuse argentant le sentier...

Moins que cela encore, un fil d'araignée perlé de rosée l'arrête la loupe en main. Il excelle à marier les effets pittoresques des œuvres de l'art humain à ceux des œuvres de la nature. Comme Victor Hugo, il aime les « vitraux diaprés », les dentelures des toits gothiques, les pignons et les ogives; comme lui, il va voir les «< soleils couchants» dorer Notre-Dame et se refléter dans la Seine: mais un pan de mur » dans le Marais lui suffit. Il sait aussi d'ailleurs, comme ses frères en poésie, rêver sur le sentier où a passé un ami perdu: mais ses yeux distraient toujours son âme, et c'est l'àme qui immortalisera le « Souvenir » d'Alfred de Musset et la < Tristesse d'Olympio » de Victor Hugo.

LE POT DE FLEURS

Parfois un enfant trouve une petite graine,
Et tout d'abord, charmé de ses vives couleurs,

Pour la planter il prend un pot de porcelaine
Orné de dragons bleus et de bizarres fleurs.
Il s'en va. La racine en couleuvres s'allonge,
Sort de terre, fleurit et devient arbrisseau;
Chaque jour, plus avant, son pied chevelu plonge,
Tant qu'il fasse éclater le ventre du vaisseau.
L'enfant revient; surpris, il voit la plante grasse
Sur les débris du pot brandir ses verts poignards;
Il la veut arracher, mais la tige est tenace;

Il s'obstine, et ses doigts s'ensanglantent aux dards.
Ainsi germa l'amour dans mon âme surprise;
Je croyais ne semer qu'une fleur de printemps;
C'est un grand aloès dont la racine brise
Le pot de porcelaine aux dessins éclatants 1.

(Poésies complètes, t. 1. Charpentier, éditeur.)

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LES COLOMBES

Sur le coteau, là-bas où sont les tombes,
Un beau palmier, comme un panache vert,
Dresse sa tête, où le soir les colombes
Viennent nicher et se mettre à couvert.

Mais le matin elles quittent les branches :
Comme un collier qui s'égrène, on les voit
S'éparpiller dans l'air bleu, toutes blanches,
Et se poser plus loin sur quelque toit.

Mon âme est l'arbre où tous les soirs, comme elles,
De blancs essaims de folles visions

Tombent des cieux en palpitant des ailes,

Pour s'envoler dès les premiers rayons.

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1. Chez Th. Gautier toute pensée est image, disions-nous. Cet exemple

et le suivant suffiront pour le montrer.

D'un âge qui n'est plus précieuses reliques,

Leurs dômes dans l'azur tracent un noir contour.

Et la lune paraît, de ses rayons obliques
Argentant à demi l'aiguille de la tour,

Et les derniers rameaux des pins mélancoliques
Dont l'ombre se balance et s'étend alentour.

Alors les vibrations de la cloche qui tinte
D'un monde aérien semblent la voix éteinte
Qui par le vent portée en ce monde parvient;
Et le poète, assis près des fleurs sur la grève,
Ecoute ces accents fugitifs comme un rêve,
Lève les yeux au ciel, et triste se souvient1.

(Ibid. Charpentier, éditeur.

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1. Se souvient, de quoi ? d'un ami perdu? de ses jours de jeunesse et de foi? des siècles de foi que regrettait Rolla? L'expression est vague, comme la rêverie du poète, provoquée par l'ensemble des sensations que produisent le soir, la lune, là cloche, la grève et la mer, et qui, l'attendrissant, se transforment en sentiment. Les impressions physiques deviennent des impressions morales. Souvent la poésie n'est pas autre chose. En voilà un exemple.

Les poètes de ce siècle ont remis en honneur le sonnet, oublié au XVIIIe. Nous détachons du Livre des Sonnels (quatorze dizains de sonnets choisis dans les quatre derniers siècles, où le xvine ne figure que par un sonnet de Voltaire, et un de J.-B. Rousseau), publié par A. Lemerre (1875), les deux sonnets contemporains que voici, deux modèles.

Les deux Cortèges.

Deux cortèges se sont rencontres à l'église.
L'un est morne: il conduit la bière d'un enfant;

Une femme le suit, presque folle, étouffant
Dans sa poitrine en feu le sanglot qui la brise.

L'autre, c'est un baptême. Au bras qui le défend

Un nourrisson bégaye une note indécise:

La mère, lui tendant le doux sein qu'il épuise,
L'embrasse tout entier d'un regard triomphant!

On baptise, on absout, et le temple se vide.
Les deux femmes, alors, se croisant sous l'abside.
Echangent un coup d'oeil aussitôt détourné;
Et, merveilleux retour qu'inspire la prière, -
La jeune mère pleure en regardant la bière,
La femme qui pleurait sourit au nouveau-né.

Le Berceau.

(SOULARY.

Quel temple pour son fils elle a rêvé neuf mois!
Comme elle fêtera l'enfant dont Dieu dispose!
Il lui faut un berceau tel que les fils des rois
N'en ont point de pareil, si beaux qu'on les suppose!

Fi de l'osier flexible, ou bien du simple bois !
L'artiste a dessiné la forme qu'elle impose:
Elle y veut inscruter la nacre au bois de rose;
Il serait d'or massif, s'il était à son choix !
Rien ne semble trop cher, dentelle ni guipure,
Pour encadrer de blanc cette tête si pure,
Dans le lit qu'on apprête à son calme sommeil.
Il est venu, le fils dont elle était si fière ?
Il est fait, le berceau, le berceau sans réveil.
Il est de chêne, hélas ! et ce n'est qu'une bière.

(Eng. MANUEL

MOYEN AGE

Quand je vais poursuivant mes courses poétiques,
Je m'arrête surtout aux vieux châteaux gothiques.
J'aime leurs toits d'ardoise aux reflets bleus et gris,
Aux faîtes couronnés d'arbustes rabougris,
Leurs pignons anguleux, leurs tourelles aiguës,
Dans les réseaux de plomb leurs vitres exiguës,
Légendes du vieux temps où les preux et les saints
Se groupent dans l'ogive en fantasques dessins,
Avec ses minarets moresques, la chapelle,
Dont la cloche qui tinte à la prière appelle.
J'aime leurs murs verdis, par l'eau du ciel lavés,
Leurs cours où l'herbe croît à travers les pavés;
Au sommet des donjons leurs girouettes frêles
Que la blanche cigogne effleure de ses ailes;
Leurs ponts-levis tremblants, leurs portails blasonnés,
De monstres, de griffons bizarrement ornés ;
Leurs larges escaliers aux marches colossales,
Leurs corridors sans fin et leurs immenses salles,
Où comme une voix faible erre et gémit le vent,
Où recueilli dans moi je m'égare en rêvant,
Paré de souvenirs d'amour et de féerie,
Le brillant moyen âge et la chevalerie 1.

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1. Cette fois l'imagination fait tous les frais: la rêverie ne va pas jusqu'à la mélancolie.

2. Ombreux signifie: 1° qui produit de l'ombre, comme ici; 20 couvert d'ombre: «vallée ombreuse» (V. Hugo, Feuill. d'aut., XXXVII.)

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