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Me faire répéter deux fois l'ordre céleste.

Me préservent les dieux d'en prolonger le cours !
En esclave attentif, ils m'appellent, j'y cours!

Et vous, si vous m'aimez, comme aux plus belles fêtes,
Amis, faites couler des parfums sur vos têtes
Suspendez une offrande aux murs de la prison!........»

C'est ainsi qu'il mourut, si c'était là mourir 1.

(La Mort de Socrate.

Hachette et Cie, éditeurs.)

VICTOR HUGO

Né en 1802

Victor HUGO est né en 1802, à Besançon, d'un officier devenu depuis général et comte de l'Empire. Déjà poète à quinze ans, toujours poète à quatre-vingts ans, il remplit le siècle. Il a créé en France l'école romantique que Byron avait créée et développait en Angleterre; il a, avec Lamartine, renouvelé la poésie lyrique; il a donné à la nouvelle école dramatique, fille de Shakespeare, de Goethe et de Schiller, un code, un manifeste et des œuvres, contestées souvent, mais considérables, et rajeunies, aux jours de la vieillesse du poète, par le succès. Poesie lyrique partout et toujours, depuis les Odes et Ballades (1818-1828) et les Orientales (1819); poésie semi-épique sous le nom de légendes (La Légende des Siècles, 1862 et 1877); poésie intime sous tous les noms (Les Feuilles d'Automne, 1831; Les Chants du Crépuscule, 1835); Les Voix intérieures, 1837; Les Rayons et les Ombres, 1840; Les Contemplations, 1856), « Juvenilia » sous le titre de Chansons de Rues et des Bois (1865); « Senilia », pourrait-on dire si le poète avait jamais vieilli, sous le titre de l'Art d'être Grand-Père (1877); poésie philosophique et religieuse sous les titres de La Pitié supreme (1879), Religion et Religions (1880); poésie nationale (L'Année Terrible, 1872); poesie politique et satirique (Les Châtiments, 1853); poésie encyclopédique sous le nom de Les Quatre Vents de l'Esprit (1881); rien, pour laisser de côté l'auteur de romans en prose, historiques et descriptifs, philosophiques et humanitaires, rien ne lui est étranger dans le domaine de la muse; il a répandu son âme, son cœur, son imagination, ses rêveries et ses enthousiasmes, ses douleurs et ses joies, en des ouvrages de toute nature avec une inépui sable fécondité. Et n'en croyons qu'à demi la classification que nous

Criton (voir PLATON, Criton) lui faisait de le tirer de la prison où il attendit la mort.

1. Ainsi finit le beau fragment antique où Lamartine revêtit d'harmonie poétique et d'éloquence la divine philosophie et le style enchanteur du Phedon de Platon. La sérénité sublime de Socrate y est un peu verbeuse. Il faut en tempérer l'impression par la vue du simple et grand tableau de L. David,que la gravure a popularisé.

venons d'essayer pour noter le caractère dominant de chacun de ses recueils tout est dans tous; des Odes sont patriotiques, des Contemplations sont philosophiques. V. Hugo est tout entier dans tous ses poèmes; il est tout entier dans tous ses drame s,et c'est là leur défaut, depuis l'injouable Cromwell (1827) jusqu'à cette étrange et grandiose évocation de personnages fantômes, qui est le fond de son drame épico-lyrique des Burgraves (1843); y est avec ses violents écarts de goût, ses cliquetis de mots, ses chapelets d'antitheses d'expressions, sur un fond et comme un système antithétique de caractéres et de situations, et aussi avec ses larges et puissants élans d'éloquence, ses éclats de poésie, ses conceptions originales et hardies, jaillies d'une imagination qui substitue trop souvent le poète aux personnages. (Voyez Hernani (1830), Marion Delorme (1831), le Roi s'amuse (1832), Ruy Blas (1838), en vers; Lucrèce Borgia (1833), Marie Tudor (1833), Angelo, tyran de Padoue (1835), en prose.)

Sa langue, à la juger dans l'ensemble de son œuvre immense, a une varieté infinie de tours et de mouvements; son vocabulaire, une incomparable richesse. Son vers prend toutes les allures; ici coupé, brisé, désarticulé, ailleurs il a une ampleur magistrale, une sonorité pleine et retentissante. Partout sa période, souple et docile, déploie dans ses vastes replis les larges développements de sa pensée et les éclatantes draperies de ses images. Elle déborde souvent, roulant l'or, les pierreries, les paillettes et les scories, mais entraînant le lecteur. Nul n'a la rime plus riche, plus imprévue, plus musicale; nul n'a pratiqué avec un art plus fécond, à la fois plus savant et plus aisé, mieux approprié à l'allure de la pensée et à l'élan de l'inspiration, tous les secrets, les ressources, les combinaisons et les contrastes des strophes lyriques, depuis les marées montantes et les décroissances fantaisistes de certaines Orientales, jusqu'aux quatrains courts et serrés des Chansons des Rues et des Bois, en passant par les agencements multiples de strophes monumentales qui ont elargi les moules de deux grands artistes lyriques, Ronsard et Malherbe. Heureux le lecteur s'il n'était pas trop souvent, sinon arrêté, du moins gêné dans son admiration par « les moins pardonnables offenses » au goût qui ne veut pas être violenté même par le génie, et aussi à la langue qui ne veut pas être torturée par des audaces plus aventureuses que triomphantes!

NAPOLÉON II1
I

Mil huit cent onze!-0 temps, où des peuples sans nombre Attendaient, prosternés sous un nuage sombre,

Que le ciel eût dit oui !

1. L'autorisation de reproduction qui nous a été accordée limitant nos emprunts, nous avons cru devoir, au lieu de les morceler en passages écourtés, atteindre en partie les bornes qui nous étaient fixées, par la citation complète d'une des odes magistrales de la poés e française.

Napoléon II, fils unique de Napoléon Ier et de Marie-Louise d'Autriche, naquit à Paris le 20 mars 1811, et reçut à sa naissance le titre de Roi de Rome. Il mourut au palais impérial de Schoenbrunn (Autriche), près de Vienne, en 1832. Voyez Les deux cousins, chanson de BÉRANGER, et le Fils de l'homme, épitre de BARTHÉLEMY et MÉRY.

Sentaient trembler sous eux les états centenaires,
Et regardaient le Louvre entouré de tonnerres,
Comme un Mont-Sinaï!

Courbé comme un cheval qui sent venir son maître,
Ils se disaient entre eux : Quelqu'un de grand va naître!
L'immense empire attend un héritier demain.

Qu'est-ce que le Seigneur va donner à cet homme
Qui, plus grand que César, plus grand même que Rome,
Absorbe dans son sort le sort du genre humain?

Comme ils parlaient, la nue éclatante et profonde
S'entr'ouvrit, et l'on vit se dresser sur le monde
L'homme prédestiné,

Et les peuples béants ne purent que se taire,
Car ses deux bras levés présentaient à la terre
Un enfant nouveau-né!

Au souffle de l'enfant, dôme des Invalides,
Les drapeaux prisonniers sous tes voûtes splendides
Frémirent, comme au vent frémissent les épis,
Et son cri, ce doux cri qu'une nourrice apaise,
Fit, nous l'avons tous vu, bondir et hurler d'aise
Les canons monstrueux à la porte accroupis 2.

Et lui! L'orgueil gonflait sa puissante narine
Ses deux bras, jusqu'alors croisés sur sa poitrine,
S'étaient enfin ouverts!

Et l'enfant, soutenu dans sa main paternelle,
Inondé des éclairs de sa fauve prunelle,
Rayonnait au travers!

Quand il eut bien fait voir l'héritier de ses trônes
Aux vieilles nations comme aux vieilles couronnes,
Éperdu, l'œil fixé sur quiconque était roi,

Comme un aigle arrivé sur une haute cime,
Il cria tout joyeux avec un air sublime:

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1. La plus grande partie de ces drapeaux furent enlevés par les Alliés en 1814. Ceux qui furent soustraits à leurs recherches sont encore déployés sous la voûte de la nef de la chapelle.

2. Voir, dans notre recueil de Prosateurs, Les Invalides, par Chateaubriand (Génie du Christianisme).

Π

Non, l'avenir n'est à personne!
Sire! l'avenir est à Dieu!

A chaque fois que l'heure sonnc,
Tout ici-bas nous dit adieu.
L'avenir l'avenir ! mystère !
Toutes les choses de la terre,
Gloire, fortune militaire,
Couronne éclatante des rois,
Victoires aux ailes embrasées,
Ambitions réalisées,

Ne sont jamais sur nous posées

Que comme l'oiseau sur nos toits1!

Non, si puissant qu'on soit, non, qu'on rie ou qu'on pleure,
Nul ne te fait parler, nul ne peut avant l'heure
Ouvrir ta froide main,

O fantôme muet, ô notre ombre, ô notre hôte,
Spectre toujours masqué qui nous suis côte à côte,
Et qu'on nomme demain!

Oh! demain, c'est la grande chose !
De quoi demain sera-t-il fait?
L'homme aujourd'hui sème la cause,
Demain, Dieu fait mûrir l'effet.
Demain, c'est l'éclair dans la voile,
C'est le nuage sur l'étoile,
C'est un traitre qui se dévoile,
C'est le bélier qui bat les tours,
C'est l'astre qui change de zone,
C'est Paris qui suit Babylone;
Demain, c'est le sapin du trône,
Aujourd'hui, c'en est le velours 2!

Demain, c'est le cheval qui s'abat plein d'écume,
Demain, ô conquérant, c'est Moscou qui s'allume,

1. Nous sommes comme l'oiseau sur la branche qui meurt en chantant du trait dont il est frappé. » (MENOT, prédicateur du xve siècle, mort à Paris en 1519).

2. Qu'est-ce que le trône? Quatre morceaux de bois revêtus d'un morceau de velours. Tout dépend de celui qui s'y assied.» (NAPOLÉON aux députés du Corps législatif, 1er janvier 1814. - (Histoire des deux Restau rations, par Ach. DE VAULABELLE.)

La nuit, comme un flambeau.

C'est votre vieille garde au loin jonchant la plaine.
Demain, c'est Waterloo ! demain, c'est Sainte-Hélène!
Demain, c'est le tombeau !

Vous pouvez entrer dans les villes
Au galop de votre coursier,
Dénouer les guerres civiles
Avec le tranchant de l'acier;
Vous pouvez, ô mon capitaine,
Barrer la Tamise hautaine 1,
Rendre la victoire incertaine
Amoureuse de vos clairons,
Briser toutes portes fermées,
Dépasser toutes renommées,
Donner pour astre à des armées
L'étoile de vos éperons!

Dieu garde la durée et vous laisse l'espace;
Vous pouvez sur la terre avoir toute la place;
Etre aussi grand qu'un front peut l'être sous le ciel;
Sire, vous pouvez prendre, à votre fantaisie,
L'Europe à Charlemagne, à Mahomet l'Asie 2,
Mais tu ne prendras pas demain à l'Éternel!

3

O revers! ô leçon !

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2

Quand l'enfant de cet homme

Eut reçu pour hochet la couronne de Rome;

Lorsqu'on l'eut revêtu d'un nom qui retentit;

Lorsqu'on eut bien montré son front royal qui tremble Au peuple émerveillé qu'on puisse tout ensemble

Etre si grand et si petit;

Quand son père eut pour lui gagné bien des batailles ; Lorsqu'il eut épaissi de vivantes murailles

1. Allusion au blocus continental, décrété de Berlin le 21 novembre 1806. Napoléon interdisait l'entrée des ports de l'Empire français et de ses alliés aux vaisseaux et aux marchandises de l'Angleterre. Il renfermait l'Angleterre dans ses iles, il barrait le fleuve d'où son commerce se répand dans le monde.

2. Ainsi le veut la rime, mais non l'histoire. Bonaparte en Egypte rêvait, dit elle, de rejoindre par la Perse et la vallée du Sind (Indus) TippoSaëb, qui disputait aux Anglais l'empire des Indes. La rés stance de SaintJean-d'Acre, détendue par les Turcs et les Anglais, l'arrêta.

3. Le changement brusque de vous en tu donne l'accent de l'autorité à la voix du poète: il parle au nom du ciel, vates, disaient les Latins.

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