1 SONNET Helas! si tu prens garde aux erreurs que j'ay faites, Que me demandes-tu? mes œuvres imparfaites, 2 D'esprit triste et confus, de misere accablé, Ne tourne point les yeux sur mes actes pervers, 1. Sagitta, flèche. 2. Angoisse (Etymol.: angustus, angustiæ, de ango, dry, serrer): 1o resserrement douloureux de la gorge; 2° douleur qui étreint. BossUET emploie encore angoisser. 3. Les Poésies chrestiennes de Desportes sont, ou des paraphrases des psaumes, ou des imitations d'originaux divers, ou des inspirations personnelles, prières, complaintes, etc. Les psaumes sont heureux aux poètes; ils élèvent et soutiennent le ton de Desportes, comme celui de Malherbe et de J.-B. Rousseau. Ecoutons-le : Delivre-moy, Seigneur de la mort éternelle, Les anges fremiront au regard de ta face; Que diray-je? ô chétif! que me faudra-t-il faire? (E. Michiels, p. 498.) BERTAUT 1552-1611 JEAN BERTAUT, de Caen, entra dans les ordres, fut précepteur du duc d'Angoulême, secrétaire et lecteur ordinaire de Henri III, passa les mauvais temps de la Ligue à l'abbaye de Bourgueil, en Anjou, auprès du cardinal de Bourbon, contribua à la conversion de Henri IV et reçut de lui (1594) l'abbaye d'Aulnay, en Normandie, qu'eut plus tard son compatriote Daniel Huet, puis (1606) l'évêché de Séez. Il avait été témoin oculaire de l'assassinat de son premier bienfaiteur royal, il mena à Saint-Denis le corps du second, auquel il ne survécut qu'un an. Bertaut, jeune encore, fut introduit par Desportes auprès de Ron sard, et comme son patron, fit d'abord des poesies galantes d'un style trop sage », dit le maître, au rapport de Regnier (Satire V, à Bertaut); comme lui et plus que lui il fit ensuite des poésies religieuses qui restent son véritable titre. Depuis le vers de Boileau son nom est inséparable de celui de Desportes. Mais de l'un à l'autre la langue poétique a fait un pas : Bertaut est plus voisin de son compatriote Malherbe. Il n'avait pas eu dans sa première veine les élans de Ronsard, malgré les nobles aspirations qu'il exprimait en beaux vers: J'aime mieux en soucis et pensers élevés Estre un aigle abattu d'un grand coup de tonnerre, Il n'a pas davantage dans son second âge le ressort et les fiers coups d'aile de Malherbe; mais Malherbe a beau dire de lui, nous raconte Racan, que pour mettre une pointe à la fin de ses stances il faisait les trois premiers vers insupportables : la netteté de son langage, l'harmonie et la plenitude de sa période en font un précurseur du réformateur de notre poésie. Les œuvres de Bertaut parurent successivement de 1602 à 1623. Elles contiennent des sonnets, des chansons, des élégies, des complaintes, des stances, des hymnes, des discours, des cantiques. AU ROY POUR LE CONVIER DE RENTRER DANS PARIS Venez revoir Paris, cet antique navire Sans vostre heureux secours, son vray phare et son port 1. Elle brave l'orgueil des vents plus inhumains, Et trouve moins de joye au bien d'estre sauvée Que de gloire en l'honneur de l'estre par vos mains. 1. Ce début métaphorique est assurément ce que contiennent de moins bon ces stances. Non ceste ville auguste, invincible monarque, Aussi m'est-il avis que je vois son genie, Tout couronné de tours et tout ceinct de rempars, Qui la donnoit en proye à la rage de Mars, Vous dire incessamment: 0 grand roy qui pardonnes, Bien montrent tes effects, prince né pour éteindre Croissez en ceste gloire: ô l'honneur des bons princes, Ne faites point qu'encor nous voyions en vous-mesme, Des effects de clemence et de douceur extresme .. Solebant. CANTIQUE EN FORME DE CONFESSION L'ennuy qui rend mes yeux si fertiles en larmes Ma faute, et non ma peine, est ce qui me tourmente : Et batant ma poitrine, à par moy1 je lamente, Non les maux que j'endure, ains les maux que j'ai faicts. M'a faict suivre à clos yeux2 la Rapine sa sœur ; J'ay veu souffrir le pauvre et vers son indigence Et n'ay point d'un seul mot son bon droict defendu. Mais en vain, ô Seigneur, mes forfaicts je te conte, Aussi (las!) n'est-ce pas à fin que tu les sçaches CHANSON Les cieux inexorables Me sont si rigoureux Que les plus miserables Se comparans à moy se trouveroient heureux... 1. Sic. REGNIER écrit: Je disois à part moi: las! mon Dieu, qu'est ceci? 2. Les yeux fermés. 3. Sic. D'ailleurs plutôt est venu de plus tôt, qui est l'orthographe premiere dans les deux sens. — Tôt, tost, vient de tostus, brûlé, par allusión a la rapidité de la flamme (LITTRÉ). CATULLE dit, Thet. et Pel. 842: Flammea prævortet celeris vestigia flammæ. 4. De ramentevoir (re, à, ment — mens, tis, avoir), rappeler. Voltaire l'emploie encore, par imitation archaïque. Mon lict est de mes larmes Et ne peuvent ses charmes, Lors mesme que je dors, endormir mes ennuis. Car mesme son mensonge Exprime de mes maux la triste vérité... Toute paix, toute joye A prins de moy congé, Laissant mon ame en proye A cent mille soucis dont mon cœur est rongé. La constance et la foy, Dedans les cœurs humains sont esteintes pour moy1. L'ingratitude paye La calomnie essaye A rendre mes tourmens indignes de pitié. En un cruel orage On me laisse perir, Et, courant au naufrage, Je voy chacun me plaindre et nul me secourir Bref, il n'est sur la terre Qui me faisant la guerre N'experimente en moy ce que peut la douleur 2. 1. SAINTE-BEUVE a signalé comme une qualité propre à Bertaut «< une certaine note plaintive, dans laquelle l'amour et là religion se rejoignent et peuvent trouver tour à tour leur vague expression touchante. » Ces caracteres ne sont-ils pas, avec beaucoup d'autres, ceux de Lamartine, et n'y a-t-il pas parenté entre les vers de Bertaut et bien des passages de Lamartine, par exemple, ceux-ci, du Vallon (premières Médit., IV): Tes jours, sombres et courts comme les jours d'automne, Et seule, tu descends le sentier des tombeaux. Seulement la nature, qui, peinte si souvent avec des traits charmants dans les poètes du xvie siècle, était la compagne, et comme le cadre de la joie et de l'amour heureux, n'était pas encore la consolation et le refuge de l'amour malheureux, et Bertaut n'eût pas ajouté comme Lamartine: Mais la nature est là qui t'invite et qui t'aime; 2. Dans un tout autre ordre d'idées, Quintilien a employé la même forme de langage; il dit de Ciceron: Dono quodam providentiæ genitus, in quo totas vires suas eloquentia experiretur (X, 1). |