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SONNET

Helas! si tu prens garde aux erreurs que j'ay faites,
Je l'advouë, ô Seigneur! mon martyre est bien doux,
Mais, si le sang de Christ a satisfait pour nous,
Tu decoches sur moi trop d'ardentes sagettes '.

Que me demandes-tu? mes œuvres imparfaites,
Au lieu de t'adoucir, aigriront ton courroux;
Soy-moy donc pitoyable, ô Dieu ! pere de tous,
Car où pourray-je aller si plus tu me rejettes?

2

D'esprit triste et confus, de misere accablé,
En horreur à moy-mesme, angoisseux 2 et troublé,
Je me jette à tes piés; soy-moy doux et propice!

Ne tourne point les yeux sur mes actes pervers,
Ou, si tu les veux voir, voy-les teints et couvers
Du beau sang de ton fils, ma grace et ma justice.
(Poésies chrestiennes 3, sonnet XI. Éd. A. Michiels,
p. 506).

1. Sagitta, flèche.

2. Angoisse (Etymol.: angustus, angustiæ, de ango, dry, serrer): 1o resserrement douloureux de la gorge; 2° douleur qui étreint. BossUET emploie encore angoisser.

3. Les Poésies chrestiennes de Desportes sont, ou des paraphrases des psaumes, ou des imitations d'originaux divers, ou des inspirations personnelles, prières, complaintes, etc. Les psaumes sont heureux aux poètes; ils élèvent et soutiennent le ton de Desportes, comme celui de Malherbe et de J.-B. Rousseau. Ecoutons-le :

Delivre-moy, Seigneur de la mort éternelle,
Et regarde en pitié mon ame criminelle,
Languissante, estonnée et tremblante d'effroy,
Cache-la sous ton aile au jour espouvantable,
Quand la terre et les cieux s'enfuiront devant toy
En te voyant si grand, si saint, si redoutable.

Les anges fremiront au regard de ta face;
Helas! où pourront donc les meschans trouverpla: et
Où se pourront cacher ceux qui sont reprouvez!
Où faudra-t-il, Seigneur, que lors je me retire,
Si les justes seront à grand peine sauvez,
Miserable pécheur, pour apaiser ton ire?

Que diray-je? ô chétif! que me faudra-t-il faire?
Je ne trouveray rien qui ne me soit contraire,
Je verray mon peché s'elever contre moy.....

(E. Michiels, p. 498.)

BERTAUT

1552-1611

JEAN BERTAUT, de Caen, entra dans les ordres, fut précepteur du duc d'Angoulême, secrétaire et lecteur ordinaire de Henri III, passa les mauvais temps de la Ligue à l'abbaye de Bourgueil, en Anjou, auprès du cardinal de Bourbon, contribua à la conversion de Henri IV et reçut de lui (1594) l'abbaye d'Aulnay, en Normandie, qu'eut plus tard son compatriote Daniel Huet, puis (1606) l'évêché de Séez. Il avait été témoin oculaire de l'assassinat de son premier bienfaiteur royal, il mena à Saint-Denis le corps du second, auquel il ne survécut qu'un an.

Bertaut, jeune encore, fut introduit par Desportes auprès de Ron sard, et comme son patron, fit d'abord des poesies galantes d'un style trop sage », dit le maître, au rapport de Regnier (Satire V, à Bertaut); comme lui et plus que lui il fit ensuite des poésies religieuses qui restent son véritable titre. Depuis le vers de Boileau son nom est inséparable de celui de Desportes. Mais de l'un à l'autre la langue poétique a fait un pas : Bertaut est plus voisin de son compatriote Malherbe. Il n'avait pas eu dans sa première veine les élans de Ronsard, malgré les nobles aspirations qu'il exprimait en beaux vers:

J'aime mieux en soucis et pensers élevés

Estre un aigle abattu d'un grand coup de tonnerre,
Qu'un cygne vieillissant es jardins cultivés.

Il n'a pas davantage dans son second âge le ressort et les fiers coups d'aile de Malherbe; mais Malherbe a beau dire de lui, nous raconte Racan, que pour mettre une pointe à la fin de ses stances il faisait les trois premiers vers insupportables : la netteté de son langage, l'harmonie et la plenitude de sa période en font un précurseur du réformateur de notre poésie.

Les œuvres de Bertaut parurent successivement de 1602 à 1623. Elles contiennent des sonnets, des chansons, des élégies, des complaintes, des stances, des hymnes, des discours, des cantiques.

AU ROY

POUR LE CONVIER DE RENTRER DANS PARIS

Venez revoir Paris, cet antique navire
Qu'un orage excité par la fureur du sort
Alloit ensevelir dans les flots de son ire,

Sans vostre heureux secours, son vray phare et son port 1.
Voyez comme le ciel l'en ayant preservée,

Elle brave l'orgueil des vents plus inhumains,

Et trouve moins de joye au bien d'estre sauvée

Que de gloire en l'honneur de l'estre par vos mains.

1. Ce début métaphorique est assurément ce que contiennent de moins bon ces stances.

Non ceste ville auguste, invincible monarque,
Ne sçauroit desormais fleurir qu'à vostre honneur,
Sa grandeur n'estant plus qu'une eternelle marque
Et de vostre clemence, et de vostre bonheur.
Qu'un autre l'ait fondée et ceincte de murailles,
Qu'un autre ait faict l'empire en ses murs resider:
Vous, vous l'avez sauvée au milieu des batailles,
Et sauver une ville est plus que la fonder.

Aussi m'est-il avis que je vois son genie,

Tout couronné de tours et tout ceinct de rempars,
Detestant à vos pieds l'injuste tyrannie

Qui la donnoit en proye à la rage de Mars,

Vous dire incessamment: 0 grand roy qui pardonnes,
Dés que le ciel a mis la vengeance en tes mains,
Il n'appartient qu'à toy de porter les couronnes
Qu'on donnoit aux sauveurs des citoyens Romains.
Le ciel veuille assister la valeur de tes armes,
Toy qui, joignant tousjours la force au jugement,
Sçais si vaillamment vaincre au milieu des alarmes,
Et puis de la victoire user si doucement.

Bien montrent tes effects, prince né pour éteindre
Les flammes qui souloient 1 la France consumer,
Que ny ton ennemy ne peut assez te craindre,
Ny ton sujet loyal ne peut assez t'aimer....

Croissez en ceste gloire: ô l'honneur des bons princes,
Vainquez et pardonnez, le ciel le veut ainsi :
Puis, si tousjours ce mal travaille vos provinces,
Vainquez et punissez, le ciel le veut aussi.

Ne faites point qu'encor nous voyions en vous-mesme,
Pour estre de Cesar trop grand imitateur,

Des effects de clemence et de douceur extresme
Conserver tout le monde et perdre leur auteur.
La clemence est pour ceux que l'aveugle ignorance
Ou la juste douleur dans leur faute a poussés,
Non pour ceux qui, conduits d'une impie esperance,
Arment d'ingrats desseins leurs desirs insensés.
Ayez escrit au cœur, d'un trait ineffaçable,
Que tout vice fleurit sans un prince trop doux,
Et qu'enfin on se rend egalement blasmable,
Ne pardonnant à nul, et pardonnant à tous.

.. Solebant.

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CANTIQUE EN FORME DE CONFESSION

L'ennuy qui rend mes yeux si fertiles en larmes
Durant le cours des maux dont je suis oppressé,
Ce n'est point, ô Seigneur, d'endurer ces alarmes,
Mais de les meriter pour t'avoir offensé.

Ma faute, et non ma peine, est ce qui me tourmente :
J'en soupire la cause, et non pas les effects,

Et batant ma poitrine, à par moy1 je lamente,

Non les maux que j'endure, ains les maux que j'ai faicts.
L'avarice enchantant mon cœur de son breuvage

M'a faict suivre à clos yeux2 la Rapine sa sœur ;
L'avarice a changé mes biens en mon servage,
M'en rendant possedé, plustost3 que possesseur.

J'ay veu souffrir le pauvre et vers son indigence
Mon secours au besoin ne s'est point estendu,
J'ai veu la calomnie opprimer l'innocence,

Et n'ay point d'un seul mot son bon droict defendu.

Mais en vain, ô Seigneur, mes forfaicts je te conte,
Tu les sçais, et leur nombre ainsi cogneu de toy,
Pensant à ta bonté, me fait rougir de honte,
Pensant à ta rigueur, me fait pallir d'effroy.

Aussi (las!) n'est-ce pas à fin que tu les sçaches
Qu'en me les reprochant d'horreur je me remply:
Mais je te les decouvre à fin que tu les caches,
Et te les ramentoy pour t'en causer l'oubly.

CHANSON

Les cieux inexorables

Me sont si rigoureux

Que les plus miserables

Se comparans à moy se trouveroient heureux...

1. Sic. REGNIER écrit:

Je disois à part moi: las! mon Dieu, qu'est ceci?

2. Les yeux fermés.

3. Sic.

D'ailleurs plutôt est venu de plus tôt, qui est l'orthographe premiere dans les deux sens. — Tôt, tost, vient de tostus, brûlé, par allusión a la rapidité de la flamme (LITTRÉ). CATULLE dit, Thet. et Pel. 842: Flammea prævortet celeris vestigia flammæ.

4. De ramentevoir (re, à, ment — mens, tis, avoir), rappeler. Voltaire l'emploie encore, par imitation archaïque.

Mon lict est de mes larmes
Trempé toutes les nuits,

Et ne peuvent ses charmes,

Lors mesme que je dors, endormir mes ennuis.
Si je fay quelque songe
J'en suis espouvanté,

Car mesme son mensonge

Exprime de mes maux la triste vérité...

Toute paix, toute joye

A prins de moy congé,

Laissant mon ame en proye

A cent mille soucis dont mon cœur est rongé.
La pitié, la justice,

La constance et la foy,
Cedant à l'artifice,

Dedans les cœurs humains sont esteintes pour moy1.

L'ingratitude paye
Ma fidelle amitié,

La calomnie essaye

A rendre mes tourmens indignes de pitié.

En un cruel orage

On me laisse perir,

Et, courant au naufrage,

Je voy chacun me plaindre et nul me secourir

Bref, il n'est sur la terre
Espece de malheur,

Qui me faisant la guerre

N'experimente en moy ce que peut la douleur 2.

1. SAINTE-BEUVE a signalé comme une qualité propre à Bertaut «< une certaine note plaintive, dans laquelle l'amour et là religion se rejoignent et peuvent trouver tour à tour leur vague expression touchante. » Ces caracteres ne sont-ils pas, avec beaucoup d'autres, ceux de Lamartine, et n'y a-t-il pas parenté entre les vers de Bertaut et bien des passages de Lamartine, par exemple, ceux-ci, du Vallon (premières Médit., IV):

Tes jours, sombres et courts comme les jours d'automne,
Déclinent comme l'ombre au penchant des coteaux;
L'amitié te trahit, la pitié t'abandonne,

Et seule, tu descends le sentier des tombeaux.

Seulement la nature, qui, peinte si souvent avec des traits charmants dans les poètes du xvie siècle, était la compagne, et comme le cadre de la joie et de l'amour heureux, n'était pas encore la consolation et le refuge de l'amour malheureux, et Bertaut n'eût pas ajouté comme Lamartine:

Mais la nature est là qui t'invite et qui t'aime;
Plonge-toi dans le sein qu'elle t'ouvre toujours.

2. Dans un tout autre ordre d'idées, Quintilien a employé la même forme de langage; il dit de Ciceron: Dono quodam providentiæ genitus, in quo totas vires suas eloquentia experiretur (X, 1).

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