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des médecins pour l'entretien du corps, comme des grammairiens ou des esclaves rapsodes pour l'instruction ou le délassement de l'esprit. La Grèce dut continuer, esclave, ce qu'elle pratiquait, libre, ce que, chez elle, elle avait réservé aux hommes libres exclusivement. Le médecin esclave n'abandonnait point son art, une fois affranchi; plusieurs même arrivèrent, par la confiance des grandes familles, à se faire des fortunes considérables; et ce taux élevé des salaires leur associa des hommes libres de la Grèce ou de Rome, dans l'exercice de leur profession1 mais elle garda toujours comme une tache d'origine, jusque dans les honneurs que l'empire voulut y ajouter 2.

Pour les autres sciences, les Romains, sans les imposer aux esclaves, les dédaignaient pour eux, et il put s'y trouver, avec des étrangers, des hommes de condition servile. Le captif Manilius Antiochus enseigna l'astrologie; Hyginus 3, affranchi de l'empereur (de Trajan sans doute), faisait quelque application de la géométrie à la science militaire dans son livre Gromaticus, seu de castris metandis. Il en fut de même des beaux-arts. Rome, dans ses premiers rapports avec la Grèce, fut frappée de l'éclat que tant de brillants génies et les libres produits de leur

Les empereurs donnaient à leurs médecins un traitement annuel de 250,000 sesterces. Stertinius faisait valoir qu'il se contentait de 500,000 sesterces, quand il pouvait s'en faire 600,000 par différentes maisons, etc. (Voy. Plin. Hist. nat. XXIX, v, 2.)

2 Tibère garda esclave son médecin oculiste : « ILLYRIUS TI.CESARIS «AUG. SER. CELADIAN. MEDICUS OCULARIUS | PIUS PARENTUM SUORUM «VIXIT ANNOS XXX...» (Murat. p. 957, no 5.)

3 Pline, XXXV, LVIII, 1.

travail répandaient autour d'elle. Il y eut un commencement d'émulation dans quelques âmes d'élite. Un membre de l'illustre famille Fabia se fit comme un titre de gloire, pour lui et pour sa race, du surnom de pictor; et quelques patriciens, après lui, laissèrent aussi des témoignages de leur habileté en peinture dans les temples des dieux1. Mais, quand la Grèce fut asservie, on s'accoutuma à considérer ces occupations comme serviles, et toute main honnête s'en éloigna. Les grands prétendirent posséder l'art comme la science, au moyen d'hommes à eux. Ils eurent donc des architectes pour tracer et remanier le plan de leurs villæ, des peintres, des statuaires, des artistes en mosaïque, pour concourir à l'ornement de leurs demeures. Les jurisconsultes y font allusion en parlant des autres affranchis; et, dans un autre ordre de documents, on trouve des inscriptions tumulaires d'architectes affranchis; il y a un statuaire parmi les esclaves d'Auguste, un peintre et quelques artistes secondaires dans le tombeau des esclaves de Livie (61). Mais n'y cherchez pas un seul nom connu, un seul qui ait mérité d'être signalé parmi les anciens. Ces nobles arts n'obéissent point à une main servile; ils veulent une inspiration que la volonté du maître ne donne point: et, si l'empire vit se renouveler une période belle encore, sans avoir l'éclat du grand siècle, c'est parce que Rome avait bien dû s'a

1 «Apud Romanos quoque honos mature buic arti contigit. Siqui• dem cognomina ex ea Pictorum traxerunt Fabii, clarissimæ gentis, princepsque ejus cognominis ipse ædem Salutis pinxit, anno urbis CCCCL... Postea non est spectata honestis manibus. » (Pline, XXXV, -2.) Il signale pourtant quelques exceptions.

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dresser au travail libre et reconnaître, qu'en pareille ma tière, on achète l'œuvre et non pas l'ouvrier.

Ainsi, quand on embrasse tout ce mouvement de la civilisation en Italie, on voit que l'esclavage fut toujours exclu des arts où Rome porta la force de son génie, et qui marquent sa place à côté de la Grèce, quelquefois même au-dessus d'elle, dans le développement de l'esprit humain droit, éloquence, histoire. Il apparut en philosophie par accident; et, à part la comédie et la fable, pour les raisons que nous avons dites et sous les réserves que nous avons faites, il ne figure pas davantage dans le domaine de la poésie. Accueilli, avec la Grèce captive, dans l'enseignement, dans les sciences et dans les arts, il en éloigna les citoyens, il en arrêta l'essor parmi eux; et il fallut que ces genres, si longtemps méprisés, reçussent de Jules César droit de bourgeoisie dans Rome, pour sortir de l'indifférence et de la torpeur où les eût étouffés l'esclavage, pour former enfin quelques disciples, et produire, par un dernier effort, ces monuments de toute sorte, image affaiblie, sans doute, et déjà trop mutilée, de la civilisation antique en Occident (62). Ces faits incontestables confirment donc les conclusions où déjà nous avait mené la Grèce. De même que l'esclavage a moins sauvé les races qu'il ne les a décimées, moins poli que corrompu les mœurs, moins servi que ruiné partout la famille et l'État, de même il a moins aidé que nui au progrès du travail, au développement de l'intelligence. Il y eut du bien, du mal, dans la civilisation ancienne: le mal, nous l'avons montré, revient de droit à l'esclavage, le bien, à la liberté.

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On a, pour l'esclavage à Rome, plus de ressources que pour l'esclavage en Grèce. Nommons en première ligne l'ouvrage assez récent de M. Blair, An inquiry into the state of slavery amongst the Romans, ouvrage qui réunit un assez grand nombre de textes sur l'ensemble de la question. Il faut y joindre les anciens traités relatifs à plusieurs points particuliers: Pignori, De servis, et Popma, De operis servorum, l'un et l'autre sur les fonctions des esclaves; ap. Polénus, suppl. à Grævius, t. III, p. 789 et 1294; Jugler, De nundinatione servorum; les Saturnales de Juste-Lipse, principalement sur les gladiateurs; deux dissertations de Burigny Sur la condition des esclaves à Rome, et Sur les affranchis (Mém. de l'Académie des inscriptions, tomes XXXV et XXXVII); celles de M. Dureau de la Malle, dans son Économie politique des Romains; Creuzer, Programme d'antiquités romaines (en allemand), avec quelques observations supplémentaires dans ses nouveaux opuscules allemands, 4° partie (1836); et plusieurs autres que nous citerons en leur lieu.

NOTE 2, PAGE 12.

Denys d'Halicarnasse (VI, 53) nous montre, dès le commencement de la république, les métiers pratiqués par les étrangers libres, au grand mépris, il est vrai, des citoyens de race noble. Mais, bien qu'il prête ces sentiments au défenseur des plébéiens, à Ménénius Agrippa, il paraît difficile que plu

sieurs de ces familles, déjà comprises dans la plèbe et rangées dans les tribus urbaines, n'aient pas continué de vivre de ce travail. Un peu avant l'institution du tribunat, on voit Rome faire la dédicace d'un temple à Mercure, el instituer, sous son patronage, un collège de marchands. (T. Live, II, 27.) Évidemment cela se faisait pour des citoyens. Denys, qui, contrairement à la tradition de Tite-Live, tradition beaucoup plus vraie, au fond, quoique plus merveilleuse dans la forme, nous montre Rome fondée et organisée, pour ainsi dire, tout d'une pièce, par une colonie d'Albe, attribue à toute la population romaine ce qui n'est vrai que des citoyens primitifs, des patriciens.

NOTE 3, PAGE 41.

On a remarqué que, sur les vingt comédies de Plaute, une seule compte parmi ses personnages une esclave nommée Syra, tandis que, dans les six pièces de Térence, ce nom se retrouve trois fois (Andrienne, Adelphes, Heautontimorumenos), ce qui marquerait un plus fréquent usage d'esclaves syriens à la seconde époque. Toutefois il est question d'esclaves de ce nom ou de ce pays en plusieurs passages de Plaute : dans le Marchand (où cette esclave Syra figure parmi les personnages), dans le Pseudolus (II, 11, 622, etc.), dans le Trinummus (II, Iv, 599), dans le Stichus (III, 1, 427), dans le Curculio (III, 1, 451), dans un fragment d'une pièce perdue, appelée la Valise, Vidularia (Fragm. II, 115). Les Syriens avaient leur réputation comme esclaves dès le temps d'Aristophane. Dans une autre pièce de Plaute, on trouvait le nom de Cilix (Fr. III, 42); dans l'Amphytrion, une jeune esclave appelée Thessala (II, 11, 616). Quant aux Cappadociens, ils avaient à Rome à peu près le même renom que les Paphlagoniens à Athènes. (Voy. Pétrone, Satyr. 69, p. 342, et Cic. in Pison., 1.) Le Pont, au contraire, au jugement de Polybe, était la source la plus abondante en bons esclaves, et Byzance en était le marché. (Polybe, IV, 38.)

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