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glaive pour l'homme libre, la hache pour l'esclave; pour l'homme libre le précipice, pour l'esclave le gibet et la

croix 1.

Malgré ces distinctions que la fierté romaine réclamait en faveur du citoyen, même coupable, la loi, par cela seul qu'elle demandait compte à l'esclave de ses actions, le reconnaissait comme un homme. Elle le frappait, coupable, dans sa personne; elle devait le protéger communément dans ses rapports avec les étrangers; et, si elle lui marchandait encore sa protection, si d'abord elle négligea les simples outrages, au moins prit-elle soin de sa vie. La loi Cornelia ne faisait aucune distinction de personnes : on l'appliquait à tous les meurtres 2. Mais on ne l'ap

pliquait pas à tous les meurtriers; elle ne regardait pas les maîtres; et cela tenait au système général de la législation sur leurs rapports avec leurs serviteurs. L'esclave est tout entier au maître : le maître a sur lui le droit que la loi romaine lui laissait sur toute propriété en général,

1 L.8 (Ulp.); 1. 10 (Macer), D., XLVIII, XIX. « Et nomen ipsum cru<< cis, absit non modo a corpore civium romanorum, sed etiam a cogita «tione, oculis, auribus. » (Cic. Pro Rabir. 5.) Cf. Vał. Max. II, VII, 12, à propos des transfuges romains mis en croix par le premier Scipion, après la soumission de Carthage; et Horace (Ep. I, xvi, 48). Il y avait un lieu particulier pour les supplices des esclaves. (Servilibus pœnis sepositam, Tac. Ann. XV, 60.)

2 « Et qui hominem occiderit, punitur, non habita differentia cujus <«< conditionis hominem interemit.» (L. 1, § 2 (Marcien), D., XLVIII, viii, Ad leg. Cornel. de sic.) L'action intentée d'abord par le maître, selon la loi Aquilia, pour la réparation du dommage, ne faisait point préjudice à l'action résultant de la loi Cornelia. (L. 23, § 9 (Ulp.), D., IX, 11, Ad leg. Aquil. Cf. Instit. IV, 111, 11.)

droit d'user et d'abuser, jus utendi, abutendi. Il a un droit absolu sur son travail, un droit absolu sur tout son être, droit de vie et de mort; et ce droit ne semblait pas seulement s'appuyer sur l'usage constant des ancêtres, mais sur la coutume presque universelle des peuples : c'est ce que le jurisconsulte rappelait encore au moment où il fut aboli1.

La loi, pendant bien longtemps, ne touchait donc à l'autorité des maîtres que pour la sanctionner et l'affermir; elle s'abstenait de pénétrer dans la famille, où elle reconnaissait l'empire d'une autre loi. Quel était cet empire du maître, et quel usage faisait-il de cette puissance qui lui était laissée? Dans le silence forcé de la loi, il le faut demander à l'histoire et à toutes les peintures qui nous sont restées de la vie intérieure du citoyen.

1 In potestate dominorum sunt servi : quæ quidem potestas juris gentium est. Nam apud omnes peræque gentes animadvertere pos«sumus, dominis in servos vitæ necisque potestatem fuisse.» (L. 1 (Gaius), D., I, vi, De his qui sui jur.)

CHAPITRE VI.

DE LA CONDITION DEs esclaves DANS LA FAMILLE.

L'esclave n'a jamais été maltraité systématiquement, si ce n'est peut-être chez ces peuples qui, établis par la conquête, se crurent assez forts pour braver la haine des races asservies, et les contenir dans l'obéissance par la terreur. Rome n'avait point commencé comme Sparte, et quoique aussi guerrière et aussi sûre de la force de son organisation, elle n'entra point dans cette politique. L'esclave n'était plus chez elle un ennemi public, mais la propriété du citoyen; et l'on dut, en général, le ménager, comme on fait de sa propre chose. Tels furent en effet les principes qui dominèrent les rapports du maître avec l'esclave, à tous les degrés de l'esclavage; et c'est sur ce fondement que les agronomes, dans ce vaste champ laissé à l'arbitraire du maître par le silence de la loi, ont établi les règles qu'ils proposaient à l'administration d'un domaine rustique.

Or, quel était l'intérêt du maître? Il fallait qu'il tirât le meilleur parti possible de son bien, hommes ou terres; qu'il sût distribuer à ses esclaves, dans la plus juste mesure, les soins et le travail: le travail jusqu'aux limites du possible, les soins dans les limites du nécessaire. L'esclave devait trouver chez lui les choses indispensables à la vie la nourriture, le vêtement, le couvert; il les devait trouver dans une proportion qui répondît aux prin

cipes d'une sage économie : à l'épargne du maître et au bon entretien de la famille, ce qui était encore de son intérêt. La nourriture était donnée, pour le mois, au fermier, aux surveillants, aux bergers, c'est-à-dire aux esclaves commis à la direction des travaux ou à ceux qui, par leurs occupations, pouvaient être retenus longtemps hors de la ferme. C'étaient, on l'a vu, pour le fermier, la fermière et les surveillants, quatre boisseaux de blé (34 litres), pendant l'hiver, et quatre et demi (38 litres), pendant l'été; pour le jeune pâtre, trois boisseaux (25 litres). Quant aux esclaves occupés aux champs, à qui l'on se fiait moins et qui n'avaient point le temps d'apprêter leur repas, elle se donnait par jour et toute préparée. Nous avons parlé aussi de cette ration de pain fixée par Caton, à quatre (livres?), en hiver, à cinq, quand on commence à travailler la vigne, et jusqu'au temps des figues; après quoi, il revient à quatre1. La ration de vin était de même réglée par Caton, selon les différents mois de l'année, dans une progression croissante de une à trois hémines par jour (de olitre, 27 à 0 litre, 80). Elle était uniformément distribuée ainsi en détail; et on ne l'a calculée par mois que pour évaluer la consommation de l'année: huit quadrantals ou amphores par an et par tête (2 hectol., 08); un quadrantal seulement (o hectol., 26), pour les esclaves enchaînés. Mais quel vin? Lisez-en dans Caton la recette : « Vin à l'usage des gens pendant l'hiver. Mettez dans une futaille dix amphores de vin doux, deux amphores de vinaigre bien mordant, et autant de vin cuit, jusqu'à diminution des deux tiers, avec cinquante amphores d'eau douce; re1 Voyez ci-dessus, p. 79.

muez le tout ensemble avec un bâton trois fois par jour, pendant cinq jours consécutifs; après quoi, vous y ajouterez soixante-quatre setiers de vieille eau de mer1... » Plaignons moins l'esclave enchaîné de la parcimonie avec laquelle on lui mesure ce prétendu vin.

Avec le pain et la boisson se donnaient quelques accessoires que la traduction française de Caton réunit sous cette naïve rubrique, Bonne chère des gens: « Vous garderez le plus que vous pourrez d'olives tombées, et même de celles qui auront été cueillies à temps quand vous ne pourrez pas vous promettre d'en tirer beaucoup d'huile; vous leur en donnerez, mais avec épargne, afin que la provision en dure le plus longtemps que faire se pourra. Lorsqu'elle sera épuisée, vous leur donnerez de la saumure avec du vinaigre. Il leur faudra à chacun un setier (o litre, 54) d'huile par mois; mais il suffira d'un boisseau (8 litres, 67) de sel par an, pour chacun 2. » C'est à cette dernière ration de vinaigre et de sel que se réduisait toute la bonne chère de cet esclave du Rudens, dont l'imagination féconde rêvait déjà la royauté :

Sed hic rex cum aceto pransurus est et sale, sine bono pulmento3.

a

Pour le vêtement, même économie: Vous leur donnerez, tous les deux ans, une tunique sans manches, de trois

1 Caton, De re rust. I, civ (cv). 2 Ibid. LVIII (LIX).

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3 Plaute, Rudens, IV, 111, 844. Dans le Stichus (V, IV, 670) il décrit un repas un peu plus varié :

Hoc convivium 'st

Pro opibus nostris satis conmodule, nucibus, fabulis, ficutis,
Olea in tryblio, lupilli conminuto crustulo.

Sat est.

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