Page images
PDF
EPUB

esclaves'. Mais nous ne voyons pas de bien solides preuves à l'appui de ce partage, et, pour une époque où Rome avait encore si peu de relations avec l'étranger, nous serions plutôt tenté de faire aux esclaves la plus large part dans ce chiffre commun. Quoi qu'il en soit, on voit que le rapport de leur nombre à celui des hommes libres serait toujours assez faible, puisqu'il ne s'élève pas, au maximum, à un huitième, et qu'il ne dépasse peut-être pas de beaucoup un seizième.

Ainsi partout l'esclavage est associé au travail libre, et le travail libre domine d'abord: il suffit, dans la ville, aux besoins des classes inférieures, il honore dans les champs les citoyens les plus considérables. Mais la servitude va s'étendre. Elle avait reçu, dès le commencement de la république, une foule de citoyens dégradés par l'usure, ce mal rongeur qui, après avoir dévoré leur patrimoine et leur fortune acquise, gagnait jusqu'à leur corps 2. Elle enveloppa, dans des conditions bien plus dures et sans retour, une masse de populations italiennes, à chaque époque de ces guerres opiniâtres qui soumirent la péninsule à la domination des Romains. Le nombre des esclaves s'était accru à mesure que s'étendait la propriété; il s'était accru par les mêmes moyens et sous l'influence des mêmes causes, et déjà il était assez considérable pour que le trésor cherchât une ressource dans un impôt du

1 M. Dureau de la Malle, Économie politique des Romains, 1. II, ch. 1, t. I, p. 225.

2 Primo se agro paterno avitoque exuisse, deinde fortunis aliis «postremo velut tabem pervenisse ad corpus.» (Tite-Live, II, 23.)

vingtième mis sur les affranchissements 1. Mais ce furent les guerres du dehors qui, entraînant les Romains vers une nouvelle civilisation, leur communiquèrent ce goût du luxe, ces habitudes de loisir, ces besoins plus multipliés d'esclaves, avec tant de facilités pour en accroître le nombre2. Ce nouvel esprit se propage parmi eux dans la période où se développe et se maintient la grandeur de Rome, depuis 200 ans avant J. C. jusqu'au ir siècle de l'ère chrétienne. C'est alors aussi que l'on voit l'esclavage s'étendre et s'organiser sous sa forme la plus complète, alors que se manifeste l'influence qu'il dut exercer sur les classes libres et les classes asservies. C'est donc surtout dans les limites de cette période que nous devons reprendre les questions posées ci-dessus.

1

«Manlius legem novo exemplo ad Sutrium in castris, tributim, de a vicesima eorum qui manumitterentur, tulit.» (Tite-Live, VII, 16.) 2 Aux temps des guerres puniques, Flaminius avait appuyé une loi qui défendait à tout sénateur ou père de sénateur d'avoir un vaisseau de plus de 300 amphores, mesure jugée suffisante au transport de leurs produits rustiques : cette loi, fort goûtée du peuple, irrita vivement les sénateurs. Ils commençaient à ne plus croire, comme tout le monde, que toute sorte de gain était déshonorant pour eux. (TiteLive, XXI, 63.)

CHAPITRE 11.

des sources DE L'ESCLAVAGE À ROME.

Rome tira ses esclaves des mêmes sources que la Grèce, et la jurisprudence les rapportait à deux catégories: on naissait ou on devenait esclave (servi autem nascuntur aut fiunt)'.

On naissait esclave: ce droit des maîtres sur la postérité de leurs serviteurs ne pouvait pas subir de réduction chez un peuple qui environna la propriété d'une sorte de consécration civile, élevant le domaine quiritaire au-dessus du droit commun. Aussi, quand, plus tard, on verra se partager les plus illustres jurisconsultes, « les princes de la cité, sur ce point : l'enfant de la femme esclave est-il un fruit?? ne croyez pas que son état soit mis en litige. Ce n'est pas la nature qui le dispute au maître, mais l'usufruitier; c'est une question de propriété et non de liberté. Tant que l'esclavage fut contenu en des bornes assez étroites par la simplicité des mœurs, la proportion dut être plus égale entre les hommes et les femmes, leur 1 Instit. I, III, 4.

2

Vetus fuit quæstio an partus (ancillæ) ad fructuarium pertineret? Sed Bruti sententia obtinuit fructuarium in eo locum non habere. Neque enim in fructu hominis homo esse potest. » L. 68 (Ulp.), D., VII, 1, De usufr. Cf. Gaius, 1. 28, D., XXII, 1, De usuris, reproduit dans les Institutes, II, 1, 37, et Cicéron, De finib. I, 4: « An partus ancillæ sit ne «in fructu habendus disseretur inter principes civitatis P. Scævolam, M. Manilium; ab hisce Brutus dissentiet. »

union plus commune; et les enfants coûtaient moins à élever dans les habitudes à peu près générales de la vie des champs. Les Romains semblaient compter sur ce produit comme sur les autres, chaque printemps : d'où le nom de verna (printanier), donné aux enfants des esclaves'. Quand le domaine du citoyen s'étendit, on trouvait moyen de rendre plus vite les mères au travail, en n'en retenant qu'une pour élever les nourrissons 2. Ainsi alors encore on avait dans ces conditions quelque avantage à la reproduction des esclaves. C'est une source de richesse que le père de famille ne doit pas négliger, et Columelle, comme tous ceux qui ont traité de l'économie rurale, veut qu'on encourage la fécondité des femmes esclaves. Les enfants donnent plus de prix à la mère, comme les agneaux à la brebis. Virgile parle dans les mêmes termes des petits pendus à leurs mamelles,

Geminique sub ubere nati*,

et Horace, quand il cherche ses inspirations au foyer de la famille, range avec complaisance l'essaim des jeunes esclaves parmi les richesses de la maison:

Positosque vernas ditis examen domus

Circum renidentes lares".

Vernæ appellantur ex ancillis civium romanorum vere nati, quod « tempus anni maxime naturalis feturæ est. » (Fest. Fragm. Paul. Diac. Excerpt. xix, p. 373, ed. C. O. Müller.)

Quid! nutrici non missurus quidquam quæ vernas alit.

(Plaut. Mil. gler. III, 1, 698.)

* Colum. I, vIII, 19. - Eneid. V, 285. Cf. Eclog. III, 30. Epod 11, 65. Cf. Sat. II, v1, 66, et Martial, Epigr. III, LVIII, 22

[ocr errors]

Cette origine, la plus chère à la famille, à cette première époque où l'enfant de l'esclave pouvait se jouer avec les fils du maître, dans les simples habitudes de la vie des champs, perdit, comme on l'a vu en Grèce, de son caractère, quand l'esclavage se développa et que les distances s'élargirent entre les deux races. Alors le jeune esclave, conçu et élevé dans cette dégradation de la vie servile, n'apparut souvent qu'avec la double flétrissure de sa naissance et de son éducation. Mais pourtant il put encore arriver qu'heureusement rapproché du père de famille par des relations plus habituelles, il y trouvât un titre à son affection et à ses faveurs: on a l'exemple d'un jeune verna adopté par son maître1. Ce put être aussi comme une marque de distinction parmi cette foule de serviteurs achetés: des esclaves, des affranchis en retenaient le nom sur leur tombeau 2.

On devenait esclave; et, pour parler d'abord des sources intérieures, la volonté du père, l'action du créancier, et la force de la loi pouvaient y concourir, selon les modes divers qui leur étaient propres. Le père était maître ab solu de la vie qu'il avait donnée à son enfant. Mis au

1

VERNA LOCO F. HABitus. » (Orelli, Inscr. n. 2808.) — Ce nom de verna est donné même à une fille dans les inscriptions 2809 et 2810.

2

« D. M. | M. ULPIO AUG. LIB. | VERNE | AB EPISTULIS | LATINIS | VIBIA THISBE | UXOR | INFÉLICISSIMA.» (Fabretti, Inscr. antiq. p. 296, n. 256. Cf. n. 257, et p. 41, n. 224, et Orelli, Inscr. n. 2789.) Dans une autre inscription (2812), des esclaves achetés (emptitii) élèvent un tombeau à un verna. Relevons une exagération évidente dans cette assertion de Cornélius Népos, que, parmi les nombreux esclaves d'Atticus, il n'y en avait pas un qui ne fût né chez lui: neque tamen horum «quemquam nisi domi natum. » (Vit. P. Att. 13.)

« PreviousContinue »