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peuples inscrits, à la première époque, en qualité d'alliés, comptaient, à la seconde, comme citoyens, ce serait une différence de près de moitié. Sans doute ni l'un ni l'autre de ces nombres ne nous donne toute la population libre de l'Italie aux deux époques. De même que le dénombrement dont parle Polybe n'a pu envelopper toute la masse des tribus italiennes, de même ici, et à plus forte raison, faut-il leur faire une large place en dehors de la cité; car ce droit, comme Niebuhr l'avait déjà remarqué, offert à l'Italie en masse, n'était donné qu'individuellement à ses membres, et beaucoup, loin de le demander, le repoussèrent d'abord: témoin les populations samnites et lucaniennes, qui continuèrent la guerre sociale jusque dans la guerre civile, dédaignant les délais qu'on leur laissait pour se réunir1. Il y a donc dans ce cas, aussi bien que dans l'autre, des causes d'omission, plus fortes même peutêtre; mais pourtant elles ne doivent point aller jusqu'à compenser la différence des deux chiffres du dénombrement, et il faut bien reconnaître que, d'une époque à l'autre, la population libre a considérablement diminué. Elle a diminué dans le cercle des anciens alliés devenus citoyens, elle a diminué parmi ces autres peuples indigènes, demeurés étrangers à la cité, mais soumis aux mêmes influences. Que si, grâce à l'importance que l'Italie a prise dans le monde, et au développement en tout genre de la ville souveraine, la masse totale de la population pouvait être considérée comme à peu près égale à ce qu'elle était

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Voyez une très-bonne note de M. Duruy, Histoire romaine, t. II, p. 213. Il nous paraît, du reste, par un excès contraire, réduire beaucoup trop le nombre des Italiens admis à la cité.

autrefois, le vide que nous venons d'y signaler n'aurait pu se remplir que par les étrangers, les affranchis et les esclaves. Mais les affranchis arrivaient assez ordinairement et assez vite au rang de citoyens; ils se classent donc en partie dans le nombre donné par le recensement. Quant aux esclaves, la famille rustique doit être elle-même en décadence. La réduction attestée dans les produits agricoles suppose une réduction analogue dans le nombre des hommes employés à la culture; et l'accroissement des pâtres n'y fait point compensation. Resteraient donc, pour rétablir l'équilibre, les étrangers attirés en plus grand nombre, par les affaires ou par les plaisirs, vers la capitale du monde romain, et les esclaves accumulés dans les services divers de la famille urbaine, sous l'influence de la richesse et du luxe.

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Ces évaluations sont trop hypothétiques pour que nous cherchions à leur donner, par le calcul, un faux air de précision; mais il nous semble qu'au milieu de tant d'incertitudes, on peut s'arrêter à ces conclusions, savoir: qu'à la diminution du nombre des hommes libres a correspondu, généralement, une augmentation des esclaves, et que ce dernier nombre, plus faible que l'autre au commencement de la seconde guerre punique, l'a maintenant au moins égalé. Sans méconnaître d'ailleurs le mal qui en résulta, Pline compte le grand nombre des esclaves parmi les richesses de l'Italie 1; Tacite, parmi ses dangers, quand il oppose à leur accroissement la diminution progressive de la race ingénue. Rome, sous Tibère, il le constate lui

1 Pline, XXXVII, LXXVII, 1.

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même, commençait à s'en effrayer 1, et Sénèque témoigne que ces craintes préoccupaient vivement l'assemblée des nobles. Un jour on avait proposé ou résolu même, dans le sénat, de donner un vêtement distinct aux esclaves. « On y renonça, dit-il, parce qu'on regarda comme un danger grave que les esclaves pussent nous compter 2. Mais n'oublions pas que, dans ces rapprochements, le parallèle se pose surtout entre les esclaves et les maîtres. La classe plébéienne qui, dans les calculs dont nous nous occupons ici, suffit peut-être à peu près encore pour maintenir la balance égale entre les deux races, faisait, nous le verrons plus tard, dans les crises de l'État, une masse flottante que le sentiment de la misère, la haine des distinctions sociales et une sorte de communauté de position, d'origine même, rapprochaient davantage des classes serviles, au grand péril de la classe supérieure.

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1 «In urbem jam trepidam ob multitudinem familiarum quæ gliscebat immensum, minore in dies plebe ingenua. » (Tacit. Ann. IV, 27.) 2 Indicta est aliquando a senatu sententia, ut servos a liberis cultus « distingueret deinde apparuit quantum periculum immineret, si • servi nostri numerare nos cœpissent. » (Sén. De clem. I, 24.)

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CHAPITRE IV.

DU PRIX Des esclaveS A ROME.

Ce que nous avons dit, dans les deux chapitres qui précèdent, de la vente et de l'emploi des esclaves, appelle un complément: je veux parler de leur prix, sujet aride, mais sur lequel les recherches connues de M. Dureau de la Malle nous permettront d'être bref.

Le prix des esclaves varia selon le temps; il dut aussi varier selon leur nombre, leur usage, leur mérite et les circonstances diverses exposées ci-dessus : les preuves en sont éparses dans l'histoire et dans les lois.

Nous n'avons point de données sur la valeur des esclaves dans la première période, avant la deuxième guerre punique; et, depuis cette époque, elle dut se rapprocher des prix de la Grèce, par l'influence des rapports établis plus régulièrement entre les deux peuples. C'est ainsi que les douze cents captifs, vendus en Achaïe par Annibal, furent rachetés (probablement ce qu'ils avaient coûté) un talent, ou, par tête, 5 mines (environ 435 fr), prix assez fort autrefois en Grèce, mais devenu commun pour les esclaves, depuis les successeurs d'Alexandre1. Après

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Multitudinis eorum argumentum est, quod Polybius scribit <« centum talentis eam rem Achæis stetisse; quum quingentos denarios « pretium in capita. quod redderetur dominis, statuissent. Mille enim « ducentos ea ratione Achaia habuit. » (T. Live, XXXIV, 50.) On se rappelle que le talent vaut 60 mines ou 6,000 drachmes. Tite-Live

la bataille de Cannes, Annibal, adouci par la victoire ou, peut-être, embarrassé de ses captifs, leur offrait la liberté à des conditions bien meilleures encore. Pour le chevalier, 500 écus au quadrige (388f., si, comme on le doit croire, ils répondent aux deniers); pour le légionnaire, 300 (233), et pour l'esclave 100 (78 fr.): c'était évidemment un prix, même pour l'homme libre, au-dessous de la valeur commune des esclaves. Car Tite-Live dit que le Sénat, dédaignant ces captifs, acheta, pour en faire des soldats, huit mille esclaves, plus cher que les autres ne lui auraient coûté1.

Pour les temps qui suivirent, on a d'abord cette donnée de Plutarque: que jamais Caton n'avait acheté d'esclaves au-dessus de 1,500 drachmes (1304 fr., 16)2, et il parlait d'hommes robustes et propres au travail, capables de mener les bœufs et de panser les chevaux. Mais Plutarque aura sans doute substitué la drachme au denier,

attribuait au denier la valeur de la drachme, quoiqu'il valût moins alors; mais, en admettant que l'on ait donné 100 talents pour les 1,200 captifs, ou 5 mines par tête, on peut encore regarder ce prix comme élevé pour la rançon d'hommes libres.

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1 Tite-Live, XXII, 57 et 58. Pendant les hostilités qui précédèrent la bataille de Cannes, il avait été convenu, entre Fabius et Annibal, dans un cartel d'échange, que le surplus des prisonniers, de part ou d'autre, se reprendrait à raison de 2 livres et demie d'argent par tête Argenti pondo bina et selibras in militem. (Ibid. 23.) Plutarque, en reproduisant ce passage dans la vie de Fabius (7), parle de 250 drachmes, donnant ainsi à la livre d'argent la valeur de la mine grecque. Aulu-Gelle (mais son autorité ne doit pas prévaloir contre le texte de Tite-Live cité plus haut) prétend même qu'après la bataille il se serait contenté de livre et demie d'argent. (VII, 18.)

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