n quel obscur séjour le ciel m'a-t-il réduit? Mes beaux jours sont voilez d'une effroya[ble nuit ; Et dans un mêsme intant comme l'herbe Ma jeunesse est sechée. [fauchée, Mes discours sont changez en funèbres regrets; O bois! ô prez, ô monts! qui me fustes jadis, Or', que la triste absence, en l'enfer où je suis Où sont ces deux beaux yeux? que sont-ils devenus? Où sont tant de beautez, d'Amours et de Vénus Qui regnoient dans sa veuë, ainsi que dans mes Les soucis et les peines? [veines Je Je voy dedans ces fleurs les tresors de son teint, Las! voici bien l'endroit où premier je la vy, Je revoy bien le lieu, mais je ne revoy pas maîtresse, parut pour la première fois dans un recueil imprimé en 1611, à Rouen, chez Raphaël du Petit-Val, intitulé le Temple d'Apollon, ou Nouveau recueil des plus excellents vers de ce temps, page 5, qui est la première du recueil. Elle fut ensuite insérée parmi les autres œuvres de Regnier dans l'édition de 1642, avec quelques légers changements. 2 Fille de l'air. L'écho. O bois! ô prés! ô monts! ses fideles esbats, Durant que son bel œil ces lieux embellissoit, Ores que le malheur nous en a sçeu priver, Mes yeux tousjours moüillez d'une humeur continuë, Ont changé leurs saisons en la saison d'hyver, N'ayant sceu découvrir ce qu'elle est devenuë. Mais quel lieu fortuné si longtemps la retient? Le soleil qui s'absente, au matin nous revient, Et par un tour réglé sa chevelure blonde Eclaire tout le monde. Si-tost que sa lumiere à mes yeux se perdit, Elle est, comme un esclair, pour jamais disparuë; Et quoy que j'aye fait, malheureux et maudit. Je n'ay peu découvrir ce qu'elle est devenuë. Mais, Dieux! j'ay beau me plaindre, et tousjours sous [pirer, J'ay beau de mes deux yeux deux fontaines tirer, J'ay beau mourir d'amour et de regret pour elle : Chacun me la récelle. O bois! ô prez! ô monts! ô vous qui la cachez! Et qui contre mon gré l'avez tant retenuë: Si jamais de pitié vous vous vistes touchez, Hélas! respondez-moi, qu'est-elle devenuë? 3 ( bois!] Édition de 1642, O ciel! Fut-il jamais mortel si malheureux que moy? Le regret du passé cruellement me point, Ainsi de toutes parts je me sens assaillir; Qui Et si quelque plaisir s'offre devant mes yeux, Il m'afflige, et le ciel me seroit odieux, Gesné de tant d'ennuis, je m'estonne comment, Environné d'Amour, et du fascheux tourment Qu'entre tant de regrets son absence me livre, Mon esprit a peu vivre. Le bien que j'ay perdu me va tiranisant, De mes plaisirs passez mon ame est combattuë; Et ce qui rend mon mal plus aigre et plus cuisant, C'est qu'on ne peut sçavoir ce qu'elle est devenuë. Et ce cruel penser qui sans cesse me suit, Du trait de sa beauté me pique jour et nuit, Me gravant en l'esprit la miserable histoire D'une si courte gloire. |