Page images
PDF
EPUB
[graphic][merged small][merged small][merged small]

n quel obscur séjour le ciel m'a-t-il réduit? Mes beaux jours sont voilez d'une effroya[ble nuit ;

Et dans un mêsme intant comme l'herbe Ma jeunesse est sechée.

[fauchée,

Mes discours sont changez en funèbres regrets;
Et mon ame d'ennuis est si fort éperdue,
Qu'ayant perdu ma dame en ces tristes forêts,
Je crie, et ne sçay point ce qu'elle est devenue.

O bois! ô prez, ô monts! qui me fustes jadis,
En l'avril de mes jours, un heureux paradis,
Quand de mille douceurs la faveur de ma dame
Entretenoit mon ame:

Or', que la triste absence, en l'enfer où je suis
D'un piteux souvenir me tourmente et me tuë;
Pour consoler mon mal et flatter mes ennuis,
Hélas, respondez-moi, qu'est-elle devenue?

[ocr errors]

1 Cette pièce, qui contient des regrets sur l'absence d'une

Où sont ces deux beaux yeux? que sont-ils devenus? Où sont tant de beautez, d'Amours et de Vénus Qui regnoient dans sa veuë, ainsi que dans mes Les soucis et les peines?

[veines
Hélas! fille de l'air2, qui sens ainsi que moy
Dans les prisons d'Amour ton ame détenuë,
Compagne de mon mal, assiste mon émoy,
Et responds à mes cris, qu'est-elle devenue?

Je
voy bien en ce lieu, triste et desesperé,
Du naufrage d'amour ce qui m'est demeuré :
Et bien que loin d'icy le destin l'ait guidée,
Je m'en forme l'idée.

Je
La fierté de son ame en la mer toute émeuë:
Tout ce qu'on voit icy vivement me la peint :
Mais il ne me peint pas ce qu'elle est devenuë.

voy dedans ces fleurs les tresors de son teint,

Las! voici bien l'endroit où premier je la vy,
Où mon cœur de ses yeux si doucement ravy,
Rejettant tout respect, découvrit à la belle
Son amitié fidelle.

Je revoy bien le lieu, mais je ne revoy pas
La reyne de mon cœur, qu'en ce lieu j'ai perduë,

maîtresse, parut pour la première fois dans un recueil imprimé en 1611, à Rouen, chez Raphaël du Petit-Val, intitulé le Temple d'Apollon, ou Nouveau recueil des plus excellents vers de ce temps, page 5, qui est la première du recueil. Elle fut ensuite insérée parmi les autres œuvres de Regnier dans l'édition de 1642, avec quelques légers changements. 2 Fille de l'air. L'écho.

O bois! ô prés! ô monts! ses fideles esbats,
Hélas! respondez-moy, qu'est-elle devenue?

Durant que son bel œil ces lieux embellissoit,
L'agreable printemps sous ses pieds florissoit,
Tout rioit aupres d'elle, et la terre parée
Estoit énamourée.

Ores que le malheur nous en a sçeu priver, Mes yeux tousjours moüillez d'une humeur continuë, Ont changé leurs saisons en la saison d'hyver, N'ayant sceu découvrir ce qu'elle est devenuë.

Mais quel lieu fortuné si longtemps la retient? Le soleil qui s'absente, au matin nous revient, Et par un tour réglé sa chevelure blonde

Eclaire tout le monde.

Si-tost que sa lumiere à mes yeux se perdit, Elle est, comme un esclair, pour jamais disparuë; Et quoy que j'aye fait, malheureux et maudit. Je n'ay peu découvrir ce qu'elle est devenuë.

Mais, Dieux! j'ay beau me plaindre, et tousjours sous

[pirer, J'ay beau de mes deux yeux deux fontaines tirer, J'ay beau mourir d'amour et de regret pour elle : Chacun me la récelle.

O bois! ô prez! ô monts! ô vous qui la cachez! Et qui contre mon gré l'avez tant retenuë: Si jamais de pitié vous vous vistes touchez, Hélas! respondez-moi, qu'est-elle devenuë?

3 ( bois!] Édition de 1642, O ciel!

Fut-il jamais mortel si malheureux que moy?
Je lis mon infortune en tout ce que je voy;
Tout figure ma perte, et le ciel et la terre
A l'envy me font guerre.

Le regret du passé cruellement me point,
Et rend l'objet présent ma douleur plus aiguë :
Mais las! mon plus grand mal est de ne sçavoir point,
Entre tant de malheurs, ce qu'elle est devenuë.

Ainsi de toutes parts je me sens assaillir;
Et voyant que l'espoir commence à me faillir,
Ma douleur se rengrège, et mon cruel martyre
S'augmente et devient pire.

Qui

Et si quelque plaisir s'offre devant mes yeux,
pense consoler ma raison abbatuë,

Il m'afflige, et le ciel me seroit odieux,
Si là-haut j'ignorois ce qu'elle est devenuë.

Gesné de tant d'ennuis, je m'estonne comment, Environné d'Amour, et du fascheux tourment Qu'entre tant de regrets son absence me livre, Mon esprit a peu vivre.

Le bien que j'ay perdu me va tiranisant, De mes plaisirs passez mon ame est combattuë; Et ce qui rend mon mal plus aigre et plus cuisant, C'est qu'on ne peut sçavoir ce qu'elle est devenuë.

Et ce cruel penser qui sans cesse me suit, Du trait de sa beauté me pique jour et nuit, Me gravant en l'esprit la miserable histoire D'une si courte gloire.

« PreviousContinue »