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EPISTRES

DISCOURS AU ROY.

EPISTRE 11.

lestoit presque jour, et le ciel sousriant, Blanchissoit de clairté les peuples d'Orient; L'aurore aux cheveux d'or, au visage de

[roses, Desja, comme a demy descouvroit toutes choses; Et les oyseaux perchez en leur feüilleux séjour, Commençoient, s'esveillant, à se plaindre d'amour : Quand je vis en sursaut une beste effroyable, Chose estrange à conter, toutesfois véritable! Qui plus qu'une hydre affreuse à sept gueules meu[glant,

Dans ce discours allégorique, l'auteur loue Henri le Grand d'avoir dissipé la ligue, et étouffé les guerres civiles qui désoloient le royaume de France. Cette pièce parut dès la première édition, en 1608.

2 Quand je vis en sursaut.] Quand je songeai que je voyois en sursaut, avec frayeur.

3 La ligue.

Avoit les dents d'acier, l'œil horrible et sanglant;
Et pressoit à pas torts une nymphe fuyante
Qui, réduite aux abbois, plus morte que vivante,
Haletante de peine, en son dernier recours,
Du grand Mars des François imploroit le secours,
Embrassoit ses genoux, et l'appellant aux armes,
N'avoit autre discours que celuy de ses larmes.
Ceste nymphe estoit d'age, et ses cheveux meslez,
Flottoient au gré du vent, sur son dos avalez.
Sa robe étoit d'azur, où cent fameuses villes
Eslevoient leurs clochers sur des plaines fertiles
Que Neptune arrosoit de cent fleuves espars,
Qui dispersoient le vivre aux gens de toutes pars.
Les villages espais fourmillaient par la plaine,
De peuple et de bestail la campagne étoit pleine,
Qui, s'employant aux arts, mesloient diversement,
La fertile abondance avecque l'ornement.

Tout y reluisoit d'or, et sur la broderie
Esclattoit le brillant de mainte pierrerie.

La mer aux deux costez cest ouvrage bordoit,
L'Alpe de la main gauche en biais s'espandoit,
Du Rhin jusqu'en Provence; et le mont qui partage

* Une nymphe fuyante.] La France. Malherbe avoit de l'aversion pour les fictions poétiques, et après avoir lu cette pièce, il demanda à Regnier en quel temps cela étoit arrivé, disant qu'il avoit toujours demeuré en France depuis cinquante ans, et qu'il ne s'étoit point aperçu que la France se fût enlevée hors de sa place. Vie de Malherbe, page 14.

Malgré toute l'autorité de Malherbe, cette allégorie ne me semble ni obscure ni déplacée.

5 Henri le Grand.

S'employant.] C'est ainsi qu'on lit dans la première édition, de 1608; dans celles de 1612 et 1613 il y a s'em→ ployoient.

D'avecque l'espagnol le françois héritage',
De Leucate à Bayonne en cornes se haussant,
Monstroit son front pointu de neiges blanchissant.
Le tout étoit formé d'une telle maniere,
Que l'art ingénieux excédoit la matiere.
Sa taille estoit auguste, et son chef couronné,
De cent fleurs de lis d'or estoit environné.
Ce grand prince voyant le soucy qui la greve,
Touché de piété, la prend, et la releve;
Et de feux estouffant ce funeste animal,
La délivra de peur aussi-tost que de mal;
Et purgeant le venim dont elle estoit si pleine,
Rendit en un instant la nymphe toute saine.

Ce prince, ainsi qu'un Mars, en armes glorieux,
De palmes ombrageoit son chef victorieux,
Et sembloit de ses mains au combat animées,
Comme foudre jetter la peur dans les armées.
Ses exploits achievez en ses armes vivoient :
Là les champs de Poictou d'une part s'eslevoient,
Qui superbes sembloient s'honorer en la gloire
D'avoir premiers chanté sa première victoire 10.
Dieppe, de l'autre part, sur la mer s'allongeoit,
Ой
par force il rompoit le camp qui l'assiegeoit,
Et poussant plus avant ses trouppes espanchées,

7 Les Pyrénées.

8 De Leucate.] Toutes les éditions faites pendant la vie de l'auteur portent l'Aucate avec une apostrophe. Leucate, village de France près de Perpignan, sur la Méditerranée.

9 Qui la greve.] Qui l'afflige, l'inquiète; du latin gravare. N'est plus d'usage dans ce sens. L'infinitif grever est encore employé en jurisprudence.

10 Allusion à la bataille de Coutras, gagnée par Henri IV, alors roi de Navarre, sur le duc de Joyeuse, le 20 octobre 1587.

Le matin en chemise il surprit les tranchées 11 ̧
Là Paris délivré de l'espagnole main12,
Se deschargeoit le col de son joug inhumain.
La campagne d'Ivry 13 sur le flanc cizelée,
Favorisoit son prince au fort de la meslée;
Et de tant de ligueurs par sa dextre vaincus,
Au dieu de la bataille appendoit les escus1.
Plus haut estoit Vendosme, et Chartres, et Pontoise,
Et l'Espagnol desfait à Fontaine-Françoise 15,
Où la valeur du foible emportant le plus fort,
Fist voir que la vertu ne craint aucun effort.

Plus bas, dessus le ventre, au naïf contrefaite, Estoit, prés d'Amiens, la honteuse retraite

11 Henri IV, s'étant campé sous le canon de Dieppe avec quatre mille cinq cents hommes, empêcha la prise de cette place, et battit le duc de Mayenne, qui vouloit l'attaquer avec dix-huit mille hommes dans ses retranchements. Ce fut un mardi matin, 20 septembre 1589, six semaines après la mort de Henri III.

12 Le roi d'Espagne s'étant déclaré ouvertement pour la ligue le 8 mars 1590, Henri IV assiégea Paris au mois de mai suivant, el cette ville fut remise au pouvoir de Sa Majesté par le comte de Brissac, qui en étoit gouverneur, le 22 mars 1594.

13 La bataille d'Ivry, près de Mantes, fut gagnée par le roi sur le duc de Mayenne, le 14 mars 1590. Du Bartas a fait un cantique sur la victoire d'Ivry.

14 Au dieu de la bataille appendoit les escus.] Au dieu des batailles consacroit les boucliers.

45 Ville de Bourgogne, près de laquelle Henri IV, avec environ deux cents chevaux, défit quinze mille hommes commandés par le duc de Mayenne et par le connétable de Castille, le 3 juin 1595. Cette victoire acheva de déconcerter la ligue: le duc de Mayenne et le duc de Nemours son frère, qui en étoient les chefs, furent contraints d'avoir recours à la clémence du roi.

Du puissant archiduc 16, qui craignant son pouvoir,
Creut que c'estoit en guerre assez que
de le voir.
Deça, delà, luitoit mainte trouppe rangée,
Mainte grande cité gémissoit assiégée,
Où, si-tôt que le fer l'en rendoit 17 possesseur,

Aux rebelles vaincus il usoit de douceur :

Vertu rare au vainqueur, dont le courage extresme
N'a gloire en la fureur qu'à se vaincre soi-mesme !
Le chesne et le laurier 18 cest ouvrage ombrageoit,
Où le peuple devot sous ses lois se rangeoit ;
Et de vœuz et d'encens, au ciel faisoit priere,
De conserver son prince en sa vigueur entiere.

19

Maint puissant ennemy, domté par sa vertu, Languissoit dans les fers sous ses pieds abbatu, Tout semblable à l'envie, à qui l'estrange rage De l'heur de son voisin enfielle le courage Hideuse, bazanée, et chaude de rancœur Qui ronge ses poulmons, et se masche le cœur. Après quelque priere, en son cœur prononcée,

20

16 La ville d'Amiens ayant été surprise par les Espagnols, Henri IV en forma le siége. L'archiduc d'Autriche parut pour la secourir avec une armée de dix-huit mille hommes de pied et de quatre mille chevaux, mais il fut vigoureusement repoussé; les assiégés capitulèrent, et cette place revint au pouvoir du roi en 1597.

17 L'en rendoit.] Il faut lire ainsi, comme il y a dans la première édition, et non pas s'en rendoit, qui est dans toutes les

autres.

18 La couronne de chêne étoit décernée à celui qui avoit sauvé la vie à ses concitoyens, ob cives servatos.

19 Enfielle le courage. Remplit le cœur de fiel et d'amer

tume.

20 Rancœur. Vengeance. Inusité aujourd'hui. Rancune l'a remplacé incomplétement.

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