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chère à la vieille poésie latine, et dont notre poëte a, plus qu'aucun autre, usé et abusé dans ses Annales, dans ses Tragédies, à plus forte raison dans des œuvres de ton plus familier. Aulu-Gelle en a emprunté à ses Satires un exemple des plus étranges, et cela dans un chapitre tout plein d'ailleurs de très-bizarres curiosités. Il est à Athènes, célébrant les saturnales avec de jeunes disciples des écoles. On se propose des questions embarrassantes d'interprétation verbale, de grammaire, de logique, etc., pour la solution desquelles un prix est proposé. Or la première difficulté mise au concours est l'explication de vers d'Ennius, uno multifariam verbo implicati. Nous ne sommes pas aujourd'hui bien sûrs du texte, fort tourmenté par la critique, ni par conséquent du sens cherché déjà, à grand'peine, par la petite académie d'Aulu-Gelle.

Le plaisant qui veut tromper autrui, s'il ne trompe pas, se trompe en disant qu'il a trompé. Celui que vous vouliez tromper peut s'apercevoir qu'on le trompe; vous ne le trompez donc point, et c'est le trompeur qui est trompé.

Qui lepide postulat alterum frustrari,

Quom frustra 'st, frustra illum dicit frustra esse,
Nam sese frustrari quem frustras sentit,

Qui frustratur frustra 'st, si ille non est frustra.

Ces jeux de paroles ne déplaisaient pas, ce semble, au goût encore si peu formé du public romain, et Plaute ne les lui ménageait pas plus qu'Ennius dans des passages tels que ceux-ci, également pleins de ces complications verbales dont a parlé Aulu-Gelle :

On a beau veiller pour n'être pas pris en défaut, la vigilance n'est pas encore assez éveillée; et le plus vigilant, qui croit avoir veillé à tout, est dupé lui-même 3.

Qui cavet ne decipiatur, vix cavet, cum etiam cavet,
Etiam quum cavisse ratus, sæpe is cautor captus est*.

1. Noct. attic. XVIII, 2.

2. Nam qui se dans le texte de M. Vahlen.

3. Trad. de M. Naudet. -4. Captiv. II, II, 5.

Les mieux appris désapprennent, quand on veut leur apprendre ce qu'ils ont appris de reste 1.

Memorem immemorem facit, qui monet quod memor meminit".

Plus tard, grâce au progrès naturel d'un goût meilleur, Térence, usant plus discrètement de l'allittération, se contentait, par exemple, d'opposer l'un à l'autre, dans deux mots presque entièrement pareils, l'extravagance et l'a

mour:

Nam inceptio est amentium, haud amantium.

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Nous pouvons, à meilleur titre, rapprocher de Plaute et de Térence Ennius, qui a d'ailleurs fait comme eux des comédies, et que Volcatius Sedigitus a compris dans la liste des auteurs principaux de la Fabula palliata, au dixième rang, il est vrai, et par déférence pour son antiquité. Des fragments de ses Satires, le plus véritablement satirique est ce tableau du parasite et de son patron, dont Plaute n'eût pas désavoué l'énergie comique, et que Térence a comme traduit ".

Quand il te voit venir baigné, parfumé, tout joyeux, libre de tous soucis, avec des dents si bien plantées et une main si agile, le corps dégagé, la tête haute, tout prêt à t'élancer, comme un loup, pour engloutir le bien d'autrui, dis-moi que peut penser le maître de la maison? Il cherche d'un air triste à sauver son diner, et toi tu le dévores en riant.

1. Trad. de M Naudet.-2. Pseudol. IV, 1,30.-3. Andr. I, iv, 13. 4. Ambracia, Cupuncula, Pancratiasta, selon M. Vahlen; Cupun cula, Pancratiastes, selon M. O. Ribbeck (Comic. lat. reliq.), qui voit dans Ambracia une fabula prætexta. Térence loue les comédies d'Ennius dans le prologue de l'Andrienne, v. 18.

5. A. Gell. Noct. attic. XV, 24.

6. Donat. in Phorm. II, II, 25:

Tene asymbolum venire unctum atque lautum e balneis,
Ociosum ab animo, cum ille et cura et sumptu absumitur.
Dum tibi sit quod placet, ille ringitur, tu rideas,

Prior bibas, prior decumbas....

Tu reviens du bain, lavé, parfumé, l'esprit libre, sans avoir rien à payer, andis qu'il se consume en soins et en dépenses. Il est triste et rechigné, et oi tu as tout à souhait, tu ris, le premier à boire, le premier à te mettre à able....

Quippe sine cura lætus lautus quum advenis,
Insertis malis', expedito brachio

Alacer, celsus, lupino exspectans impetu,
Mox quum alterius abligurias bona,

Quid censes domino esse animi? Proh divum fidem!
Ille tristis cibum dum servat, tu ridens voras.

On ne sait si l'on doit compter parmi les Satires d'Ennius, ou simplement en rapprocher, pour son esprit satirique, un poëme appelé Sota, abréviation de Sotades", par Varron et Festus, qui le citent à l'occasion de certaines raretés philologiques. A leurs témoignages, allégués par M. Vahlen, on en peut ajouter un, qui est vraiment un titre d'honneur. Marc Aurèle écrivait à son maître Fronton: « Le Sota d'Ennius, que tu m'as renvoyé, me paraît écrit sur un papier plus net, d'un format plus agréable et d'un caractère plus élégant qu'auparavant. » Un livre

1. Cf. Plaut. Captiv. I, II, 84:

Cum calceatis dentibus veniam tamen.

2. Cf. Plaut. Ibid. IV, Iv, 4:

Quasi lupus esuriens metui ne in me faceret impetum:

3. Cf. Terent. Eunuch. II, II, 4.:

Patria qui abligurierat bona.

4. De sotadicus selon d'autres, mot qui aurait pu désigner soit le ton de l'ouvrage, soit le mètre. Il y avait des vers qui portaient le nom de sotadiques en mémoire de Sotades qui en avait fait grand usage (Terent. Maur. De Metris). Aulu-Gelle (Noct. attic. VII, 9), et Priscien (X) attribuent à Attius sotadicos libros. Au lieu de Sota on a quelquefois lu Asotus, du grec "Awtos, titre donné plus tard par Cécilius à une de ses comédies. S'il en avait été de même du poëme d'Ennius, l'indication du sujet, fort. digne assurément de la satire, se trouverait dans ce passage de Cicéron (De Finib. II, 8) : » Nolim mihi fingere asotos, ut soletis, qui in mensa vomant, et de conviviis auferantur, crudique postridie se rursus ingurgitent; qui solem, ut aiunt, nec occidentem unquam viderint, nec orientem, qui consumptis patrimoniis egeant. »

5. De Ling. lat. V, 62.

7. «

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6. Vv. Viere, Tonsa, Tangere.

Sota Ennianus, remissus a te, et in charta puriore, et volumine gratiore, et littera festiviore quam antea fuerat videtur. » M. Aurelii et M. C. Frontonis epistolæ, I. IV, epist. 2. Trad. de A Cassan, 1830, t. I, p. 226.

traité avec cette considération de bibliophiles par de tels lecteurs n'était pas une traduction, une imitation des satires mal famées de l'alexandrin Sotades; on doit y voir plutôt, M. Vahlen est lui-même conduit à le penser par estime pour Ennius, un choix des maximes, des préceptes que Sotades avait mêlés à ses violentes et licencieuses invectives.

Telles sont les œuvres de formes variées, mais de caractère généralement philosophique et moral, qui, attestant l'activité poétique, le génie flexible dans sa rudesse d'Ennius, s'encadrent, pour ainsi dire, entre les grandes compositions auxquelles surtout s'attache son nom, ses majestueuses Annales poursuivies pendant toute la durée de sa vie de soldat, de citoyen comme de poëte, les éloquentes tragédies par lesquelles il a marqué chacune de ses années.

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III

ANCIENNE TRAGÉDIE LATINE: ENNIUS, PACUVIUS, ATTIUS.

TRAGICORUM LATINORUM RELIQUIE. Recensuit Otto Ribbeck. Lipsiæ sumptibus et formis B. G. Teubneri, 1852, in-8 de 442 pages.

JOURNAL DES SAVANTS, cahiers de septembre, octobre, novembre 1863, pages 541, 655, 704; février, mai, juillet 1864, pages 112, 307, 425; décembre 1843, page 710.

Pourquoi Rome n'a-t-elle pas eu de tragédie? Pourquoi ne pouvait-elle pas en avoir ? La critique s'est quelquefois posé ces questions et y a même trouvé des réponses. Elle cherchait la tragédie des Romains où elle n'était point, dans ces déclamations de Sénèque, souvent si brillantes, si éloquentes, mais généralement étrangères au véritable esprit de la scène et soupçonnées à bon droit de ne l'avoir point abordée 1. Elle ne remontait même pas jusqu'à cette Médée d'Ovide, ce Thyeste de Varius, égalés par Quintilien 2, non sans quelque prévention sans doute, aux plus belles œuvres du théâtre grec; jusqu'à ces tragédies de Pollion, que Virgile et Horace, non moins

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1. La question a été traitée en dernier lieu et résolue négativemeut dans une savante et spirituelle dissertation de M. Boissier, que le Journal général de l'instruction publique a donnée en 1861, 13, 17, 20 juillet, avec ce titre : Les tragédies de Sénèque ont-elles été représentées ?

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2. Inst. orat. X, 1. Cf. Tacit. Dial. de orat. XII; Martial. Epigr. VIII, 18. - 3. Buc. VIII, 6 sqq.; cf. III, 84.4. Od. II, 1, 9 sqq.; f. Sat. I, x, 42.

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