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CHAPITRE II.

THÉORIE DE LA PROPRIÉTÉ.

I.

Introduction générale.

S 87.

Ce que c'est que la propriété; ce qu'elle comprend naturellement et régulièrement.

La propriété est le droit réel qu'a sur la chose corporelle qui lui est propre, un homme qui prend de là le nom de propriétaire. Ce droit soumet cette chose à sa domination si complétement que, en règle générale et dans le doute, elle dépend entièrement de la volonté du propriétaire; partant celui-ci est autorisé exclusivement à en disposer de toute manière.

En conséquence, la propriété est aussi désignée par excellence, comme le droit de domination sur une chose, le dominium, et le propriétaire comme le dominus, le maître de la chose.

Cette définition n'est point en contradiction avec les restrictions que la propriété peut souffrir, à plusieurs égards, par suite de rapports particuliers et pour divers motifs, lorsqu'un ou plusieurs droits sur la chose sont enlevés au propriétaire, détachés de la propriété et souvent même transportés à d'autres; car cet état incomplet de la propriété, par l'absence de quelques-uns des droits élémentaires qui la constituent, se présente toujours comme exception à la règle. Il peut sans doute exister; mais, parce qu'il n'est qu'un écart de la règle, la présomption est contre lui; tandis au contraire,

que,

l'état illimité de la propriété, étant la règle, a pour lui la présomption. C'est un principe dont les conséquences importantes se montreront plus

loin.

La cause de ces limitations apportées à la propriété peut varier beaucoup. Elle peut se rencontrer dans des dispositions générales de la loi, qui, une fois pour toutes, par de hautes considérations, mettent des bornes à certains modes d'exercice de la propriété, de la propriété immobilière surtout, afin de maintenir les bons rapports de voisinage, ou de favoriser l'agriculture, ou par des raisons tirées de la police des bâtiments. Mais ces limitations sont bien plus souvent fondées sur des rapports particuliers et individuels; car le propriétaire, en vertu de son droit de disposer de la chose, est libre de détacher certaines parties intégrantes de sa propriété pour les transporter à d'autres.

D'après l'idée naturelle de la propriété, telle que nous l'avons exposée, une énumération plus spéciale des divers droits réels qui y sont renfermés ne semble pas nécessaire; en effet, tant qu'une exception particulière ne peut être prouvée, la propriété comprend toutes les manières possibles d'agir sur la chose, tous les droits possibles, et cela avec un caractère exclusif. Néanmoins, soit pour faciliter l'analyse de la matière, soit par d'autres motifs, on cherche ordinairement à ramener tous les droits élémentaires qui constituent la propriété à trois classes principales, qui, il est vrai, rentrent, à plusieurs égards, les unes dans les autres.

1o Le droit de jouissance, c'est-à-dire de faire servir la chose à tous les usages possibles, d'en recueillir tous les fruits ou produits, jus utendi et fruendi.

2o Le droit de libre disposition, ce que les modernes appellent jus disponendi', c'est-à-dire le droit qu'a le propriétaire non-seulement d'agir physiquement sur la chose à sa volonté, d'en changer la forme extérieure, mais encore d'en disposer juridiquement, en changeant le rapport de droit qui la concerne, notamment en renonçant, en tout ou en partie, à sa propriété sur cette chose, en l'aliénant.

3o Le droit à la possession, c'est-à-dire à la détention corporelle paisible de la chose, comme moyen physique nécessaire pour pouvoir exercer complétement la propriété.

$ 88.

La possession en particulier.

Dig., lib. XLI, tit. 2, De adquirenda vel amittenda possessione.
Cod., lib. vi, tit. 32, De adquirenda et retinenda possessione.

Posséder une chose, possidere, tenere, c'est, en général, tenir sous notre puissance une chose corporelle, de manière qu'elle soit entièrement soumise à notre domination physique.

On comprend que cet état de détention corporelle, de possession naturelle ne peut commencer que par un fait extérieur, propre à fonder d'une manière durable cette possibilité d'agir physiquement et exclusivement sur la chose, à sa volonté. Possessio corpore sive facto adquiritur. Par la même raison, cet état

Les Romains disaient jus abutendi, droit de faire un usage définitif, qui n'est pas, comme l'usage et la jouissance qu'expriment les mots uti et frui, susceptible de se renouveler, de se répéter.

(Note du traducteur.)

Le propriétaire peut aussi abdiquer sa propriété simplement, sans

se donner un successeur, sans aliéner.

(Note du traducteur.)

de possession ne dure qu'aussi longtemps que quelque changement de fait ne vient point mettre le possesseur dans une position où il lui devient physiquement impossible d'agir désormais exclusivement sur la chose, à son gré, par lui-même ou par d'autres. Possessio corpore sive facto contrario, in contrarium. acto amittitur.

Comme la possession est un moyen extérieur nécessaire à l'exercice de la propriété, elle tombe dans la sphère du droit et a un sens juridique, quoiqu'en elle-même, et d'après son essence originaire, elle soit un simple fait. C'est aussi une conséquence de l'idée de la propriété exposée plus haut, que le propriétaire, comme tel, en règle générale, tant que, par exception, quelques motifs particuliers ne s'y opposent point, peut exiger la possession paisible de la chose, et la défendre par les voies de droit contre tout trouble. Sous ce rapport, la possession est à la propriété, comme l'élément matériel est à l'élément légal, comme l'exercice du droit et la possibilité physique de cet exercice sont au droit luimême 1.

Maintenant, de même que le propriétaire ne possède pas nécessairement toujours sa chose, et même n'a pas toujours le droit d'en exiger la possession, de même, réciproquement, on peut posséder une chose sans en être propriétaire, on peut posséder la chose d'autrui.

Cela peut arriver tantôt avec droit, tantôt sans droit, et le but du possesseur peut varier beau

coup.

On peut dire que c'est le fait dans lequel le droit vient se réaliser. Voy, mon Exposé des principes généraux du droit romain sur la propriété, etc., 2e édit., no 7, p. 8-10. (Note du traducteur.)

Ainsi le possesseur réunit souvent à la détention naturelle de la chose l'intention de s'en attribuer en même temps la propriété, il veut exercer formellement le droit de propriété sur cette chose. Alors sa possession prend, par cette intention, un certain caractère juridique tout particulier; car le droit romain rattache à un semblable exercice de fait de la propriété, abstraction faite de la question de savoir si le droit de propriété appartient véritablement ou non à celui qui l'exerce, certaines conséquences de droit, certains effets favorables au possesseur. C'est pourquoi on nomme une pareille possession, possession juridique, par opposition à la possession non juridique, c'est-à-dire aux cas où l'on a une chose corporellement en son pouvoir, mais sans l'intention de s'attribuer le droit de propriété.

Les Romains nomment, dans un sens large, toute possession possessio; mais, dans un sens étroit, rigoureux, technique, ils désignent, par l'expression possessio et possidere, seulement cette espèce de possession que nous appelons juridique : ils désignent la possession non juridique par les expressions habere, tenere rem, ou naturaliter possidere, naturalis possessio.

D'après l'explication qui précède, ce qui convertit la possession de fait en une possession de droit, en une possession proprement dite, c'est une certaine intention, savoir l'intention de s'attribuer le droit de propriété sur la chose, l'animus (sibi) possidendi, appelé aussi simplement animus. Cela explique pourquoi l'on dit en droit romain: possessio corpore facto) et animo adquiritur. Et comme cette intention, qui a existé jusqu'à cet instant, peut ensuite cesser d'exister, à cette maxime se rattache immédiatement cette autre maxime : pos

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