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LIVRE III.

THÉORIE DU DROIT CONCERNANT LES BIENS.

$ 82.

Aperçu général.

D'après la classification générale des droits selon leur objet, exposée plus haut, § 48, il existe certains droits portant sur des objets extérieurs qui sont dans nos biens, dans notre patrimoine, bona nostra, res nostræ. Les principes qui les concernent, forment par leur ensemble, le droit concernant les biens'. Mais, comme ces objets sont ou des choses déterminées, ou des actions et prestations déterminées, le droit concernant les biens se divise naturellement en deux parties principales, le droit des choses et le droit des obligations.

• Les Allemands ont pour désigner les biens, la fortune, le patrimoine, un mot très-expressif: Vermögen, dont le sens primitif est puissance, force. Les Romains disaient aussi facultates, nous disons moyens ; mais le mot allemand, par sa composition, est beaucoup plus énergique. (Note du traducteur.)

PREMIÈRE SECTION.

Droit des choses, ou théorie des droits réels.

CHAPITRE PREMIER.

PRINCIPES GÉNÉRAUX TOUCHANT LES CHOSES, LEURS DIVERSES ESPÈCES ET LES DROITS dont elles pEUVENT ÊTRE L'OBJET.

§ 83.

Notion des choses et leur division en corporelles
et incorporelles.

Inst., lib. 1. tit. 1, De rerum divisione et adquirendo earum dominio; -tit. 2, De rebus corporalibus et incorporalibus.

Chose, res, dans le sens que ce mot a ici, désigne tout ce qui existe corporellement dans l'espace, sans être une personne, partant toutes les parties limitées du monde extérieur non libre.

Il s'ensuit naturellement qu'il n'y a que les choses corporelles, res corporales, quæ tangi possunt, qui soient de vraies choses. Telle est aussi, sûrement, la signification originaire du mot res. Cependant les Romains, soit par des abstractions philosophiques, soit par suite d'un besoin réel de la jurisprudence, ont introduit dans leur système juridique l'idée de choses incorporelles, res incorporales, quæ tangi non possunt, sed in jure tantum consistunt. Ils entendent par choses incorporelles tout ce qui n'existe que dans l'entendement, en idée, notamment, au point de vue

Le mot res a encore plusieurs autres significations, les unes plus larges, les autres plus étroites.

juridique, tous les droits, notions de droit et rapports de droit. Ils comparent ces choses incorporelles aux choses proprement dites, parce que celles-là, comme celles-ci, ont une certaine existence à laquelle sont attachées de nombreuses conséquences juridiques. D'un autre côté, ils les distinguent soigneusement des vraies choses, parce que ces rapports de droit, même quand ils ont pour objet des choses corporelles, reposent toujours sur une abstraction juridique, quant à leur existence, à leur essence, à leur étendue et à leur portée. Ils exceptent seulement le droit de propriété ou domaine (dominium); car ils considèrent la propriété comme étant elle-même quelque chose de corporel, et en conséquence, au lieu de nommer le droit, ils nomment simplement l'objet du droit, la chose corporelle elle-même1. Cela est d'ailleurs très-naturel, puisque le droit de propriété ne s'établit que sur des choses corporelles, et se confond réellement au fond avec son objet, la chose corporelle, qui est entièrement et à tous égards soumise à la domination du propriétaire.

Rerum definitionum autem duo sunt genera. Unum earum rerum, quæ sunt, alterum earum rerum, quæ intelliguntur. Esse ea dico, quæ cerni tangive possunt, ut fundum, ædes... Non esse rursus ea dico, quæ tangi demonstrarive non possunt, cerni tamen animo atque intelligi possunt, ut si usucapionem, si tutelam, si gentem, si agnationem definias, quarum rerum nullum subest quasi corpus, est tamen quædam conformatio insignita et impressa intelligentiæ, quam notionem voco. Cic., Top., c. 5.:

Non solum res in stipulatum deduci possunt, sed etiam facta, ut si stipulemur, aliquid fieri, vel non fieri. § 7, I., III, 15, De verborum obligat.

1

Voy. mon Exposé des principes généraux du droit romain sur la propriété, etc., 2e édition, no 6, p. 5-7.

Quædam præterea res corporales sunt, quædam incorporales. Corporales hæ sunt, quæ tangi possunt, veluti fundus, homo, vestis, aurum, argentum, et denique aliæ res innumerabiles. Incorporales sunt, quæ tangi non possunt, qualia sunt ea, quæ in jure consistunt, sicut hereditas, ususfructus, obligationes quoquo modo contractæ. Nec ad rem pertinet, quod in hereditate res corporales continentur ; nam et fructus, qui ex fundo percipiuntur, corporales sunt, et id, quod ex aliqua obligatione nobis debetur, plerumque corporale est, veluti fundus, homo, pecunia; nam ipsum jus successionis et ipsum jus utendi fruendi, et ipsum jus obligationis incorporale est. GAI., fr. 1, § 1, D., 1, 8, De divis. rer. et qual.

S 84.

Division des choses suivant qu'elles sont dans le commerce ou hors du commerce.

GAL., Comm., liv. II, § 2, seq.

Inst., lib. 11, tit. 1, De rerum divisione.

Dig., lib. 1, tit. 8, De divisione rerum et qualitate.

Ce qui rend les choses proprement dites si importantes pour le droit privé, c'est la propriété qu'elles ont de pouvoir être soumises à la domination légale exclusive, au domaine des hommes, notamment des hommes privés, des particuliers, de faire partie de leurs biens. Il ne faut pas confondre avec cette aptitude des choses, la circonstance purement accidentelle et de fait, qu'une chose a actuellement un maître, ou qu'elle n'en a pas et se trouve en ce moment res nullius.

Toutefois cette propriété n'appartient pas absolument à toutes les choses, elle ne leur appartient pas surtout dans la même mesure. Il y a à cela diverses raisons. C'est en s'en rendant compte qu'on reconnaîtra si ces choses ne peuvent pas absolument appartenir à des hommes, sont res nullius dans ce sens ;

ou bien si seulement elles ne peuvent pas appartenir à un particulier, être res singulorum; ensuite si c'est absolument et pour toujours, ou bien seulement dans les circonstances présentes.

D'abord il y a des choses qui, d'après leur condition physique même, et par conséquent jure gentium, ne peuvent appartenir exclusivement à un homme, parce qu'elles sont soustraites par la nature au pouvoir des hommes, ou que, du moins, elles sont destinées à l'usage commun de tous les hommes. Ces choses sont dites, par cette raison, res communes omnium hominum.

Parmi les autres choses, il y en a quelques-unes, nommées pour cela res divini juris, qui, par leur destination religieuse, sont telles, que personne, ni l'état, ni les particuliers, ne peut en acquérir la propriété, tant que cet obstacle religieux n'est pas levé. Ce sont, suivant les règles du culte païen des Romains, les res sacræ, sanctæ et religiosa.

Les choses qui n'ont pas ce caractère religieux, et qui s'appellent, par conséquent, res humani juris, peuvent toujours sans difficulté appartenir aux hommes, mais ne peuvent pas toujours appartenir à des particuliers, être res singulorum. En effet, souvent elles ont reçu une destination publique, et, tant que dure cette destination, elles appartiennent à la généralité du peuple, à l'état, et sont dites res publicæ. Il faut donc qu'elles perdent cette affectation publique pour redevenir susceptibles de passer dans le domaine des particuliers. Il faut en dire autant des res universitatis, qui n'appartiennent pas à l'état tout entier, mais à une corporation ou communauté, universitas, reconnue par l'état, et qui sont souvent comptées par les Romains au nombre des res publicæ.

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