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dans nos textes, quelquefois on désigne comme la personne investie du droit, une certaine chose, un certain bien, par exemple un immeuble dans l'expression servitus quæ prædio debetur, ou même tout un ensemble de biens, par exemple, l'ærarium ou le fiscus exprimant l'ensemble des biens de l'état. Ces choses ou cet ensemble de biens ne sont désignés comme des personnes que par ce motif et en ce sens qu'ils représentent une personne physique ou juridique existante en dehors. Si la chose est ici nommée directement comme le sujet du droit, cela tient soit à un simple usage de langage juridique, soit à ce que certains droits sont très-étroitement limités à certaine chose déterminée, quant à leur acquisition, à leur existence, à leur durée, à leur exercice. Mais ce qui démontre que, dans tous les cas, ce n'est pas aux choses, mais aux personnes qu'elles représentent, par conséquent à des hommes, que le droit appartient, c'est que ce droit, malgré l'existence de ces choses, ne pourrait pas se concevoir, ou subsister véritablement, efficacement, sans des hommes à l'avantage desquels il est en définitive destiné. D'ailleurs la manière de voir opposée, si elle était poussée dans toutes ses conséquences, conduirait à des résultats qui seraient en contradiction manifeste avec l'esprit de tout droit, et du droit romain en particulier.

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L'idée d'un status libertatis n'est bien fixée que par son opposé, l'esclavage. Cette institution de l'esclavage, de la servitude, servitus, que les Romains voyaient de leur temps établie partout, et déclaraient, à cause de cela, institution du droit des gens, juris gentium, n'a plus pour nous qu'une valeur historique. Mais elle ne laisse pas d'offrir, même sous ce rapport, un puissant intérêt. En effet, elle a pénétré si profondément dans toute la vie publique et privée des Romains; on l'a eue si constamment en vue dans le développement de tous les autres rapports de droit, notamment de ceux de droit privé, ce qui leur a même imprimé un caractère tout particulier, qu'il est presque impossible de bien saisir ces autres rapports juridiques sans une intelligence exacte de la théorie de l'esclavage.

L'esclavage présente deux faces à considérer.

Sous le point de vue qui nous occupe en ce moment, la capacité juridique de l'individu, la servitus est un état de privation absolue de droit. De là l'assimilation que le droit privé des Romains établit, avec une rigueur de conséquence qui ne trouve pas d'exemple ailleurs et qui nous révolte souvent, entre l'esclave et les choses, par opposition aux personnes, notamment entre l'esclave et les animaux.

Sous le point de vue des rapports entre l'esclave et le maître, l'esclavage apparaît comme un état de soumission entière et absolue à une volonté étrangère. De là l'application complète aux esclaves de la notion du droit de propriété.

La circonstance que l'esclave est un homme et un étre raisonnable, que les Romains ne méconnaissent pas d'ailleurs, ne lui donnait qu'indirectement un avantage sur les bêtes, en ce qu'il avait ainsi la possibilité de sortir un jour de l'état de servitude et de devenir une personne en acquérant le status libertatis.

Cette circonstance modifiait aussi d'une manière particulière l'utilité que le propriétaire retirait de l'esclave; car l'esclave pouvait augmenter les biens de son maître non-seulement par son corps et ses services physiques, comme fait un animal, mais encore par ses services intellectuels, et pouvait même le représenter dans les affaires de droit qu'il entreprenait pour lui1. A ceci se rattache cette observation que, indépendamment du dominium sur l'esclave, on attribue en même temps au maître une potestas sur cet es

• Voilà précisément ce qui explique, selon moi, pourquoi l'esclave qui, dans ses rapports avec son maître, est considéré comme une chose, est aussi considéré comme une personne dans ses rapports avec les autres membres de la société, puisqu'il figure comme partie dans un contrat, dans un acte d'acquisition, et joue ainsi un rôle (persona) dans le drame du droit, pour parler le langage à la mode.

(Note du traducteur, pour la 1TM édition.) L'auteur a fait droit à cette observation du traducteur, en ajoutant, dans sa troisième et sa quatrième édition, la phrase qui suit dans le texte. Ainsi, retenons bien que l'esclave est, à l'égard de son maître, tout à la fois une chose et une personne. Le maître a en même temps le droit de propriété, dominium, qui s'adresse à la chose, et le droit de puissance, potestas, qui s'adresse à la personne.

(Note additionnelle du traducteur, pour la 2e édition.)

clave, c'est-à-dire une puissance, une domination, pareille à celle qui est admise sur des hommes libres, sur des personnes (voy. ci-après, § 73).

Le caractère essentiel de l'esclavage, qui vient d'être exposé, n'a pas existé seulement dans l'ancien droit romain, mais s'est conservé sans changement considérable, malgré l'établissement du christianisme, jusqu'au temps de Justinien. L'état ne se mêlait pas des relations du maître avec son esclave; il les regardait comme étant purement de droit privé. Des constitutions particulières rendues en faveur des esclaves, par Auguste, Claude, Adrien, Antonin le Pieux, pour les protéger contre le meurtre arbitraire et contre d'autres traitements trop inhumains infligés par leurs maîtres, n'introduisirent même aucun changement essentiel dans ces relations; car ces constitutions n'ont évidemment que le caractère de lois de police, restreignant l'usage abusif du droit de propriété, telles qu'il peut en être rendu touchant les choses, les animaux entre autres, pour régler la manière de les traiter ou d'en user.

De ce qui précède, il résulte naturellement que, quelque différente que pût être, en fait, la position des esclaves, selon le caractère individuel de leurs maîtres, il n'y avait cependant, en droit, aucune différence entre eux, aucune gradation proprement dite. Même l'institution du colonat, qui ne s'est établie qu'à une époque très-avancée du droit romain, et surtout depuis Constantin, doit être jugée d'un autre point de vue. En effet, il se présente plutôt comme un nouvel élément, distinct de la servitude romaine, transporté de la vie des Germains dans la vie des Romains, analogue à la servitude de la glèbe, telle qu'elle s'est développée plus tard. Les coloni étaient inséparablement attachés à un bien immeu

ble, à la culture duquel ils étaient destinés. Ils tiraient leur nom de coloni de leur emploi aux travaux agricole, le nom d'adscriptitii du lien indissoluble qui les unissait au fonds, enfin le nom de censiti, tributarii, de ce que leur maître avait à payer pour eux à l'état certaines redevances, et recouvrait à son tour sur eux ce census, ce tributum. Ils étaient en général capables de droit et, à cet égard, ils étaient des personnes; mais ils étaient considérés, en quelque sorte, comme esclaves de la terre (serfs de la glèbe).

Summa divisio in jure personarum hæc est, quod omnes homines aut liberi sunt, aut servi. Pr., I., 1, 3, De jure pers.

In servorum conditione nulla est differentia. In liberis autem multæ differentiæ sunt. § 4, I., eod.

In potestate igitur sunt servi dominorum, quæ quidem potestas juris gentium est. Nam apud omnes peræque gentes animadvertere possumus, dominis in servos vitæ necisque potesta em esse, et quodcunque per servum adquiritur, id domino adquiritur. GAI., 1, S 52.

Sed hoc tempore nullis hominibus, qui sub imperio romano sunt, licet, supra modum et sine causa legibus cognita, in servos suos sævire. Nam ex constitutione Divi Antonini, qui sine causa servum suum occiderit, non minus puniri jubetur, quam qui alienum servum occiderit. Sed et major asperitas dominorum ejusdem principis constitutione coercetur. GAI., fr. 1, § 2, D., 1, 6, De his, qui sui.

Post legem Petroniam et senatusconsulta ad eam legem pertinentia dominis potestas ablata est, ad bestias depugnandas suo arbitrio servos tradere; oblato tamen judici servo, si justa sit domini querela, sic pœnæ tradetur. MODESTINUS, fr. 11, S2, D., XLVIII, 8, Ad leg. Corn. de sicariis.

Coloni, licet conditione videantur ingenui, servi tamen terræ ipsius, cui nati sunt, existimantur. THEODOS, et VALENTINIANUS, c. un., C., 1x, 51, De colon. thrac.

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