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qu'une libre carrière est laissée au droit coutumier. La raison en est dans l'essence du droit public telle qu'elle a été exposée ci-dessus. Enfin, et c'est un phénomène historique très-facile à expliquer, quand les rapports juridiques commencent à devenir plus artificiels et plus compliqués, les coutumes, sans perdre dès lors, comme source juridique, leur force productive d'un nouveau droit, cessent de procéder immédiatement du peuple lui-même. Leur élaboration se concentre peu à peu, en partie du moins, dans l'ordre des jurisconsultes, et ceux-ci représentent alors le peuple entier, en ce sens que le peuple, devenu étranger à la connaissance du droit, s'accoutume de plus en plus à s'approprier, sans examen, les convictions juridiques exprimées par les jurisconsultes comme bonnes et justes. Le danger dont le droit est ainsi menacé de perdre à la longue ce caractère populaire qui lui est absolument nécessaire pour atteindre son but, peut être facilement prévenu par d'autres institutions politiques, surtout par une constitution qui ne laisse aucune partie du peuple sans représentation dans le sein du pouvoir législatif.

Tout droit positif repose nécessairement sur une des deux sources que nous venons d'exposer, sur les coutumes ou sur les lois promulguées. Il n'en existe pas une troisième distincte de ces deux-là. Ce qu'on présente quelquefois à ce titre, sous diverses dénominations, ce sont ou simplement des formes particulières que revêtent les lois promulguées ou les coutumes, ou des circonstances et des rapports spéciaux qui influent sur la conviction juridique du peuple et sur sa législation, et là médiatement sur le contenu des sources du

par

droit.

Lex est commune præceptum,... communis reipublicæ sponsis. PAPINIANUS, fr. 1, D., 1, 3, De legibus.

Legis virtus est, imperare, vetare, permittere, punire. MoDESTINUS, fr. 7, D., 1, 3, De legib.

Pleraque in jure non legibus, sed moribus constant. QUINCTILIANUS, Inst. orat., V, 3.

De quibus causis scriptis legibus non utimur, id custodiri oportet, quod moribus et consuetudine introductum est. JuliaNUS, fr. 33, pr., D., 1, 3, De legibus.

Mores sunt tacitus consensus populi, longa consuetudine inveteratus. ULPIAN., Fragm., I, § 4.

Consuetudinis autem jus esse putatur id, quod voluntate omnium sine lege vetustas comprobavit. Cic., De invent., II, c. 22. Ex non scripto jus venit, quod usus comprobavit. Nam diuturni mores, consensu utentium comprobati, legem imitantur. $ 9, I., 1, 2, De jure nat.

Inveterata consuetudo pro lege non immerito custoditur, et hoc est jus, quod dicitur moribus constitutum. Nam quum ipsæ leges nulla alia ex causa nos teneant, quam quod judicio populi receptæ sunt, merito et ea, quæ sine ullo scripto populus probavit, tenebunt omnes. Nam quid interest, suffragiis populus voluntatem suam declaret, an rebus ipsis et factis? Qua re rectissime et illud receptum est, ut leges non solum suffragio legislatoris, sed etiam tacito consensu omnium per desuetudinem abrogentur. JULIANUS, fr. 32, §1, D., 1, 3, De legib..

$ 5.

Introduction d'un droit étranger ou de principes
de droit étrangers.

La bonté de beaucoup de dispositions du droit positif ne peut être garantie et manifestée que par l'expérience. 11 paraît donc aussi naturel que raisonnable qu'un peuple, dans le perfectionnement de son droit positif, mette à profit d'abord ses propres expériences, ensuite les expériences étrangères. Quelquefois cet emprunt consiste en ce qu'un peuple s'approprie, directement et avec la pleine con

science de leur origine exotique, l'ensemble du droit positif d'un autre peuple, ou toutes les dispositions dont ses rapports civils lui font sentir le besoin ou l'utilité. Cette introduction (receptio) peut, comme tout perfectionnement du droit positif, s'opérer, soit par la loi, soit par la coutume. Son mérite et son opportunité dépendent des circonstances particulières où ce peuple se trouve placé.

$ 6.

Développements graduels, et abolition des préceptes
du droit positif.

Les besoins d'un peuple auxquels le droit positif doit satisfaire varient avec les époques et l'état de sa civilisation. Par là s'explique très-naturellement ce phénomène historique, que le droit positif ne reste jamais longtemps stationnaire, mais se perfectionne continuellement par de nouvelles lois ou par des coutumes, et se transforme peu à peu considérablement. Il ne mérite pas pour cela le reproche d'inconséquence et d'instabilité. Au contraire, il serait impossible d'imaginer un droit positif qui convint également pour tous les temps et toutes les circon

stances.

Lors donc que, dans ce changement perpétuel, les anciennes règles du droit se trouvent en contradiction avec les dispositions des nouvelles lois ou coutumes, ces dernières méritent toujours la préférence, sous le rapport pratique, et la nouvelle maxime de droit remplace l'ancienne. Jus posterius derogat priori.

Ea vero, quæ ipsa sibi quæque civitas constituit, sæpe

mutari

solent, vel tacito consensu populi, vel alia postea lege lata. S 11, I. 1, 2, De jure nat.

Αἱ μεταγενέστεραι διατάξεις ἰσχυρότεραι τῶν πρὸ αὐτῶν εἰσίν (i. e. constitutiones tempore posteriores potiores sunt his, quæ ipsas præcesserunt). MODESTINUS, fr. 4, D., 1, 4, De constitut, princ.

S 7.

"La science du droit et ses diverses faces.

La science du droit, la jurisprudence, juris prudentia, juris scientia, se compose des vérités de droit, des maximes de droit, développées d'après leurs raisons internes et externes, et réunies en un ensemble scientifiquement coordonné. Les Romains la définissent: Justi atque injusti scientia. S'ils la désignent en outre comme divinarum atque humanarum rerum notitia, cela paraît se rattacher à l'antithèse entre le sacrum jus et le reste du droit, l'humanum jus. Cependant, on peut admettre une explication plus générale; car, à raison de la connexion intime qui unit le droit aux intérêts les plus importants de l'humanité, et attendu qu'en fait il touche à tous les rapports de la vie et les pénètre tous, la jurisprudence peut très-bien être désignée comme la science de tous les rapports de la vie humaine.

Assurément, le droit est, d'après son but et sa nature, destiné à la vie réelle et à l'application pratique. Aussi doit-on, quand on le traite scientifiquement, avoir toujours devant les yeux le but pratique. Selon le côté par lequel on considère la jurisprudence, cette tendance à l'application immédiate peut ressortir plus ou moins nettement; mais elle ne doit jamais être laissée tout à fait dans l'ombre et complétement négligée. Ce n'est qu'en en

visageant à la fois le droit sous toutes ces faces, qu'on peut espérer d'en retirer sa véritable utilité, pour la vie réelle, soit pour la science.

soit

Comme nous-mêmes nous vivons dans un état juridique donné, et que partout où nous portons nos regards, le droit se présente à nous comme quelque chose de positif, c'est-à-dire comme une donnée historique, le point de vue le plus naturel où nous puissions et devions nous placer, pour considérer le droit, est sans doute le point de vue historique.

Toutefois on peut, dans la recherche de ce point de vue historique, suivre différentes routes. Ainsi nous pouvons d'abord fixer notre attention sur le fond et la forme du droit positif en vigueur à telle époque déterminée qui nous paraît la plus importante du côté pratique. Mais, pour arriver à une connaissance dogmatique approfondie de ce droit, nous devons nécessairement y réunir l'histoire du droit proprement dite, en recherchant comment et par quels événements le droit, dans le cours des temps, sous l'influence des diverses circonstances et des divers rapports extérieurs, est arrivé, par. un développement successif, à prendre cette forme à laquelle nous voulons nous attacher spécialement sous le rapport pratique. Car un résultat de l'histoire ne peut être bien connu que par la voie historique, et le présent ne peut être sainement apprécié que par un rapprochement exact avec le passé dont il est issu.

Outre le point de vue historique, il existe encore, pour la connaissance du droit, un autre point de vue tout à fait différent, le point de vue philosophique. Ainsi nous pouvons, sans prendre immédiatement en considération ce qui s'est produit jusqu'ici historiquement, rechercher philosophiquement, en pre

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