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ÉPITRE A M. LE COMTE DARU.

A qui donc la première place?
Paix! dit un juge impartial,

L'esprit, le goût désigne Horace;
Mais l'éloquence Juvénal.

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ÉPITRE

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AU LECTEUR.

POURQUOI VOUS effrayer en ouvrant ce volume? Lecteur, je ne veux point faire ici l'érudit.... Mais, quoi! j'entends déjà murmurer mon esprit ; Il se plaint, il s'écrie : « O mœurs, ô temps maudit! «Faut-il de la science abandonner la plume? « Guidé par Jouvency, Farnabe, Henninius, «Par les docteurs en ès, par les savans en us, « Je n'irai point, dans un long commentaire,

<< Soutenir sur son siége un juge ingénieux, Que la France a chéri, que l'Europe révère. »

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Je ne t'écoute pas, esprit présomptueux,

Point de discours préliminaire.

Ne sais-tu pas quel est le ton du jour?
On ne lit pas aujourd'hui pour s'instruire;
Le romantique seul captive et fait sourire:
Un raisonneur est proscrit sans retour.
Un raisonneur qui ne peut pas tout dire!!!
Le beau rôle qu'il joue, il entraîne avec lui
Le plus grand des fléaux, l'insupportable ennui.

Encense si tu veux une brillante idole,

Porte au ciel un héros; mais trève aux argumens:

Ainsi tu parviendras aux sources du Pactole.

Mais tu perdrais de précieux momens

Si, de la vérité déployant la bannière,
Tu t'élançais dans sa triste carrière:
Tu pourrais bien n'y trouver qu'un désert.
Laisse un peu de côté ta fermeté stoïque;
Tout lecteur n'aime pas le genre satirique.
Ne montre pas ton front à découvert.

« Non, à ce prix, honni soit de la gloire! « Je n'en veux point; de notre Juvénal « Je ne saurais jamais outrager la mémoire. << Jamais ma main n'éteindra le fanal

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Que m'a remis ce philosophe austère.

« Ton esprit, d'une muse avide ou mercenaire,

« Ne peut pas emprunter et le masque et la voix. »

Mais il faut cependant te soumettre à nos lois
Avant de présenter la belle galerie

Qu'offrait ce philosophe à ses contemporains.
Trace-nous le portrait de ces grands écrivains
Dont la satire aima l'esprit ou le génie;

Fais un effort, je t'en prie à deux mains,
Montre-nous-les, et désigne la place
Que doivent occuper sur les flancs du Parnasse
Ausone, Juvénal, Lucile, Perse, Horace,
L'impudique Regnier, l'élégant Despréaux,

Et ceux qui, de nos jours, ont suivi les drapeaux

De son altesse et riante et caustique: Joins-y Chénier, et l'habile critique Que fit trembler Gilbert, et Despaze, et Clément, Dupaty, Lagrange et Voltaire....

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Que me proposes-tu, malheureux, téméraire! « Moi les classer!! En France impunément « Un écrivain peut-il, doit-il être sincère? « Le philosophe, armé d'un subtil argument, « Te prouverait qu'à tort et méchamment, «<< Au pauvre diable l'on préfère

« Ce triste fou, de verve étincelant. « Le sourcil rehaussé, monsieur le courtisan << Tiendrait pour l'ami de Mécène ;

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« Maître Fréron plaiderait pour Clément ;

Et dans le fond du cœur

sans

doute innocemment,

« Il donnerait la palme à ce poëte obscène

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Qui nous peignit les vices du vieux temps.

Despaze même aurait de zélés partisans ;

« D'autres à Dupaty donneraient la couronne. Evitons ces combats; laissons, laissons au temps « Le beau droit d'assigner les rangs :

« Auteurs, vous le savez, c'est lui seul qui les donne.

Enfin quelle sera mon introduction?

Ce raisonneur et m'obsède et m'ennuie,
Il déchire mon plan, et dans une homélie,
Où rien ne manquerait que la droite raison,
Il voudrait m'engager à faire une folie.
Non, non, je ne veux point à l'élégant Dussault
Arracher la balance; avec trop de justesse

Elle a pesé les droits qu'aux rives du Permesse
Présentaient Juvénal, Horace et Despréaux.

Un coup à faux, un trait de maladresse,
Et je serais en proie aux vautours de Lutèce!
Tout est crime pour eux, tout est allusion.
Pourrai-je sans danger saisir l'occasion
De construire une belle et longue période,
En style harmonieux, et de traits à la mode
Abondamment pourvue à chaque section?
Je préfère, lecteur, un travail plus commode.
Vingt ans, au pied de l'Hélicon,

J'ai copié, traduit, fait mille esquisses,
A mes conclusions comparé les prémisses.
C'en est trop... Un moment, lecteur, égayons-nous ;
Vous n'aimez pas les auteurs à genoux,
Sollicitant dans une humble préface
Un pardon rarement aux flatteurs accordé;
Mais la franchise et le ton décidé

N'ont guère du public encouru la disgrace.....
Mon esprit, avec moi, daignez donc voyager!
Le grelot à la main, peignons les ridicules:
Et si de Juvenal nous trouvons des émules,
Avec eux des combats partageons le danger.
Est-ce un champ trop étroit pour votre effervescence?
Ah! laissez un instant la haine, la vengeance,
Et rions...Voyez-vous fous ces nouveaux écrits,
Pompeusement ornés du beau nom de satire?
Ami du genre, et caustique et malin,
N'ai-je pas entrepris quelquefois de les lire?
Mais, hélas, quel supplice! un imberbe écrivain,

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