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rieur de nos maisons'; je ne saurois me figurer que son plus grand effort se fût réduit à n'être point fâché de la réforme des mœurs, s'il avoit eu le bonheur d'y contribuer & d'en être le témoin: mais j'en appelle à son texte, dont l'intention générale, & tous les motifs particuliers, apprendront qu'il faut bien se garder de le confondre avec ces Satiriques plus fameux par leur malignité, qu'estimables par leur zèle.

D'autres, avant M. l'Abbé Batteux, non contents de lui refuser toute sorte de mérite littéraire, ont encore tenté de rendre sa

tence à l'honneur, & de perdre, pour conserver ta vie les plus beaux motifs que nous ayons de vivre : » Summum crede nefas animam præferre pudori, Et propter vitam vivendi perdere caussas.

Juv. Sat. VIII, v. 83, p. 197.

« Le règne des passions déshonnêtes doit être court: » Breve sit quod turpiter audes.

Juv. Sat. V111, v. 165, p. 305.

2 Ce ne sont pas les gens du monde qui ont le plus durement attaqué Juvénal; ce sont ceux qui n'en étant pas, vouloient se donner pour tels, & montrer qu'ils avoient beaucoup d'urbanité. Le Père Vavasseur (De ludicra dictione.) dit que Juvénal n'a que des crudités; & que, dans son indignation continuelle, il ne sait que vomir: Juvenalem quasi crudum & nauseantem indignari omnia. Ge Savant avoit-il oublié que notre Auteur n'est pas toujours en colère, & qu'il a des beautés de tous les genres? qu'il a des vers si doux, si faciles, qu'on les croiroit de Virgile ou d'Horace ?

probité suspecte; & c'est sur la foi de ces doctes personnages, que bien des gens ont cru que Juvénal avoit été mauvais Poète & méchant homme 1.

Par quelle fatalité les Sages qui nous éclairent & nous vengent, ne sont ils, le plus souvent, payés que d'ingratitude? & cela,

Virgile auroit-il mieux peint la mélancolie d'un jeune Esclave qui soupire après sa mère qu'il n'a point vue depuis long-temps, & qui regrette encore ses troupeaux & sa cabane?

Suspirat longo non visam tempore matrem,

Et casulam, & notos tristis desiderat hædos.

Juv. Sat. XI, v. 152, P. 430.

Horace auroit-il assigné avec plus de précision les limites des sensations agréables, que Juvénal ne l'a fait, en disant que le plaisir n'est plaisir qu'autant qu'on en jouit rarement? Voluptates commendat rarior usus.

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Juv. Sat. xi, v. 208, p. 424.

1 « Ce Poëte, dit le Père Rapin, avec tout son sérieux, a bien de la peine à réussir, car ces violentes manières de déclamation qu'il met par-tout en usage, ont souvent très-peu d'effet. Il ne persuade presque rien, parce qu'il est toujours en colère, & qu'il ne parle point de sang» froid. Il est vrai qu'il a des lieux-communs de morale » capables d'éblouir les petits esprits. Mais avec toutes ces expressions fortes, ces termes énergiques, & ces grands traits d'éloquence, il fait peu d'impression, parce qu'il » n'a rien de délicat ni de naturel. Ce n'est point un véri table zèle qui le fait parler contre les dérégiemens de son siècle, c'est un esprit de vanité & d'ostentation; c'est par tempéramnient plus que par raison qu'il fait le Critique. » Réflexions sur l'Eloquence, la Poétique, &c. tom. 11,

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6. XXVIII.

par ceux même dont ils se déclarent gratuitement les protecteurs? Seroit-ce parce que trop de lumière blesse les yeux de la multitude, gouvernée par la coutume? ou plutôt, parce que ceux qui donnent le ton, se hâtent de proscrire des vérités capables de détruire la stupide adoration qui les met au dessus des Lois, & les dispense d'avoir des mœurs? Quoi qu'il en soit, l'Apologiste du courage, de la tempérance, de la fidélité conjugale, & de toutes les vertus dont l'absence annonce la chûte des Empires; le Censeur du parjure; de l'hypocrisie, du fanatisme, des Tyrans & des Satellites de la tyrannic, ce digne Censeur ne fut ni fourbe, ni méchant, comme l'ont insinué quelques fauteurs du Des potisme. Ceux qui le répètent, ou n'ont pas lu ses vers, ou ne les ont pas sentis.

S'il s'élevoit un Satirique intègre, impartial, & dont le zèle, mûri par l'expérience, fut capable de suppléer au silence des Lois, qui d'entre-nous oseroit le taxer de fourberie & de méchanceté, parce qu'il fouilleroit dans les sépulcres où gissent pompeusement, mais sans honneur, ceux qui pouvant bien méri ter de la Patrie, n'en furent que les fléaux? parce qu'il dévoueroit aux Furies quelquesuns de ses Contemporains en butte à l'exécration publique, pour avoir corrompu le cœur des Rois, &, par conséquent, les

Peuples qui les imitent? pour avoir opprimé le foible ou dévoré la substance du pauvre, afin d'étaler un luxe scandaleux & d'afficher des jouissances exclusives? Confondus par l'évidence, les Détracteurs se tairoient; & les Coupables, pressés par le remords, tâcheroient d'étouffer en silence l'Auteur & son ouvrage. Mais je présume trop bien du carac tère général de l'humanité, quelle que fut la dépravation, pour craindre qu'un tel Athlète, s'il venoit à succomber, n'emportât pas l'estime & les regrets du plus grand nombre de ses Compatriotes. Je n'ai fait que peindre ce qu'osa Juvénal.

Si la Satire n'a jamais eu de crédit en France, c'est la faute de ceux qui d'abord Font traitée, & parce que, de nos jours, on la vit dégénérer en libelle. Regnier qui le premier depuis la renaissance des Lettres s'exerça dans ce genre & même avec succès, manqua de mœurs encore plus que de goût.

Le Satirique du siècle passé fut trop sec, trop timide sur l'article des mœurs. Au lieu d'aller au fait, il ne songea guère qu'à désoler quelques pauvres Écrivains, dont, sans

Heureux! si ses discours, craints du chaste Le&eur,
Ne se sentoient des lieux que fréquentoit l'Auteut
Et si du son hardi de ses rimes Cyniques,

Il n'alarmoit souvent les oreilles pudiques.

Boileau, Arte Poët, Chant, ii, v. 1754

lui, l'oubli faisoit justice; & c'est pourquoi le Duc de Montausier, en lui accordant le titre de grand Poëte, vouloit qu'on l'envoyât aux galères couronné de Lauriers. Cependant, un de ses Contemporains, le Philosophe Molière, triomphant de la cabale & des entraves d'un art bien plus difficile à tous égards, osoit, en plein théâtre, démasquer l'Hypocrisic.

Quel dommage! qu'avec tant de lettres; de goût & de talent, Boileau n'ait pas été doué d'un cœur plus sensible, d'un esprit plus philosophique; qu'il se soit, à-peu-près, contenté d'apprécier les écrits, de guider les Auteurs; qu'il n'ait puisé dans Horace que F'art de louer les Grands, afin de pouvoir aussi chagriner impunément ses rivaux. Quel dommage! que Juvénal, qu'il ne cessa d'étudier, n'ait pas agrandi la sphère de ses idées, ne lui ait pas inspiré ce goût moral, qui, scul

est capable de produire des beautés du premier genre, des beautés dont l'effet est universel & durable. N'importe, respectons la mémoire de ce fameux Critique : s'il est contraint de céder à ses Devanciers la palme de la Satire, ils ne sauroient lui rien opposer de plus parfait que l'Art poétique & le Lutrin.

Ce seroit ici l'occasion de parler des talens & des qualités nécessaires à quicon

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