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tantôt il y avait concordance, tantôt il y avait opposition entre les deux législations. Ainsi, le droit civil appelle au premier rang les enfants in potestate, les héritiers siens; le préteur les met aussi en première ligne par la bonorum possessio unde liberi : voilà un cas où le droit honoraire confirmat jus civile. Si on suppose, au contraire, que l'enfant soit émancipé, la loi des douze Tables ne lui reconnait plus aucun droit comme héritier ab intestat, et cependant, l'édit lui conserve la préférence sur tous les agnats du père, car il aura encore la possessio unde liberi.

Voici probablement comment les choses se passaient dans l'origine le magistrat, après avoir vérifié la qualité de l'enfant, lui donnait un jussus pour se mettre en possession de fait de l'hérédité; et comme tout détenteur d'une succession en devenait propriétaire au bout d'un an, par l'usucapion pro herede, même malgré sa mauvaise foi (1), le droit civil était combattu par ses propres armes. Pendant l'année, on refusait toute action aux agnats qui voulaient revendiquer l'hérédité, et ils étaient ainsi réduits à l'impuissance. Le moyen employé par le préteur, pour faire commencer la possession servant de base à l'usucapion, était un interdit adipiscendæ possessionis appelé quorum bonorum (2).

Avec le temps, la jurisprudence prétorienne devint plus hardie; elle donna directement aux appelés, d'après l'édit, une possessoria hereditatis petitio, à l'occasion de laquelle Gaïus dit : « Per quam hereditatis << petitionem tantumdem consequitur bonorum possessor, quantum << superioribus civilibus actionibus heres consequi potest (3). » Par cette demande de l'hérédité, le possesseur de biens acquiert autant que l'héritier peut acquérir par les actions civiles en pétition d'hérédité. Il faut cependant apporter une restriction, au moins nominale, à la généralité de ce principe, puisque, suivant le texte, ils ne sont pas héritiers, mais seulement possesseurs de biens. En fait, ils prenaient tout le patrimoine, mais ils ne pouvaient pas se dire heredes, ce qui avait encore une conséquence pour la forme des actions posseurs de qu'ils pouvaient intenter ou qu'on pouvait diriger contre eux : << Ideoque, dit Ulpien, seu ipsi agant, seu cum his agatur, ficticiis « actionibus opus est, in quibus heredes esse finguntur (4). »

Nous avons déjà vu comment le préteur intervenait dans les successions testamentaires, par les bonorum possessiones contra tabulas et secundum tabulas testamenti; dans les successions ab intestat, nous le verrons également se servir de ce moyen pour protéger ou écarter les héritiers appelés dans chaque ordre.

(4) G. C. II, § 52, = (2) V. les règles applicables à cet interdit dans la partie des actions consacrée à ce genre de procédures. = (3) F. 2, de possess. heredit. petit. D. 5, 3. = (4) Ulp. Reg., tit. xxvIII, § 12.

Les

biens n'ont que des

actions

fictices.

Bonorum possessiones

sine re.

§ 3. Sunt autem bonorum possessiones ex testamento quidem hæ. Prima, quæ præteritis liberis datur, vocaturquè contra tabulas. Secunda, quam omnibus jure scriptis heredibus prætor pollicetur, ideoque vocatur secundum tabulas. Et cum de testamentis prius locutus est, ad intestatos transitum fecit. Et primo loco suis heredibus, et his, qui ex edicto prætoris suis connumerantur, dat bonorum possessionem, quæ vocatur unde liberi. Secundo legitimis heredibus. Tertio decem personis, quas extraneo manumissori præferebat (sunt autem decem personæ hæ: pater, mater, avus, avia, tam paterni quam materni; item filius, filia, nepos, neptis, tam ex filio quam ex filia; frater, soror, sive consanguinei, sive uterini). Quarto cognatis proximis. Quinto tanquam ex familia. Sexto patrono et patronæ, liberisque eorum et parentibus. Septimo viro et uxori. Octavo cognatis manumissoris.

Voici les bonorum possessiones données dans le cas de testament la première est réservée aux enfants passés sous silence, et on l'appelle contra tabulas; la seconde, promise à tous les héritiers valablement institués, est appelée secundum tabulas. Puis, arrivant aux successions ab intestat, en premier ordre, l'édit du préteur donne aux héritiers siens et à ceux qu'il leur assimile la possession unde liberi. En second ordre, il appelle les héritiers légitimes. En troisième ordre, il donne la possession à dix personnes, qu'il préfère à l'étranger qui a fait la manumission. Ces dix personnes sont le père, la mère, l'aïeul, l'aïcule, du côté paternel et maternel; le fils, la fille, le petit-fils, la petite-fille, tant du côté du fils que de la fille, le frère, la sœur, utérins ou consanguins. En quatrième ordre, viennent les cognats les plus proches. En cinquième ordre, certains membres de la famille. En sixième ordre, le patron, la patronne, leurs enfants et leurs ascendants. En septième ordre, le mari et la femme. En huitième ordre, les cognats du patron.

Nous expliquerons en détail chacune de ces possessions de biens, quand nous arriverons à examiner les ordres d'héritiers auxquels elles s'appliquent.

Il paraît du reste que, dans la pratique, l'application des bonorum cum re, possessiones amena des difficultés et des complications. Nos textes mentionnent en effet une bonorum possessio cum re, possession de biens effective, qu'ils opposent à une bonorum possessio sine re, possession existant comme un simple droit abstrait, mais sans aucun effet matériel (1). Voici comment on peut expliquer cette division.

Leur origine.

Le droit prétorien avait fixé l'ordre dans lequel il promettait d'accorder les bonorum possessiones, et pour éviter que l'incertitude ne se prolongeât trop longtemps, chaque ordre devait se présenter dans un délai déterminé.

S8. Cum igitur plures species successionum prætor introduxisset, easque per ordinem disposuisset, et in unaquaque specie successionis sæpe plures extent dispari gradu personæ ne actiones creditorum differrentur, sed haberent, quos convenirent, et ne facile in possessionem bonorum defuncti mitte

§ 8. Le préteur avait introduit plusieurs espèces de successions disposées par ordre, et souvent dans chaque espèce de succession il existait plusieurs degrés d'héritiers; pour éviter que les actions des créanciers ne fussent retardées, pour qu'ils eussent quelqu'un à poursuivre, et enfin pour qu'il n'y eût

(4) G. C. II, § 448. C. III, § 35-36. — Ulp. Reg., tit, xxvIII, § 43.

rentur, et eo modo sibi consulerent, ideo petendæ bonorum possessioni certum tempus præfinivit. Liberis itaque et parentibus tam naturalibus quam adoptivis in petenda bonorum possessione anni spatium, cæteris centum dierum dedit.

$9. Et si intra hoc tempus aliquis bonorum possessionem non petierit, ejusdem gradus personis accrescit; vel, si nemo sit deinceps, cæteris perinde bonorum possessionem ex successorio edicto pollicetur, ac si is, qui præcedebat, ex eo numero non esset. Si quis itaque delatam sibi bonorum possessionem repudiaverit, non quousque tempus bonorum possessioni præfinitum excesserit, expectatur, sed statim cæteri ex eodem edicto admittuntur.

$ 10. In petenda autem bonorum possessione dies utiles singuli considerantur. Sed bene anteriores principes et huic causæ providerunt, ne quis pro petenda bonorum possessione curet, sed, quocumque modo si admittentis eam indicium intra statuta tamen tempora ostenderit, plenum habeat earum beneficium.

pas lieu de les envoyer en possession des
biens du défunt, le préteur fixa un dé-
lai dans lequel la possession de biens
doit être demandée; aux enfants et aux Delai
ascendants naturels ou adoptifs, il ac- pour demander
corde un an, et cent jours aux autres possession de

personnes.

Si dans ce délai on ne demande pas la possession de biens, elle accroît aux héritiers du même degré; ou s'il n'y en a pas, l'édit successoral promet la possession aux degrés suivants, comme si les degrés précédents n'existaient pas. Lorsqu'un appelé renonce expressément à la possession de biens, on n'attend pas l'expiration du délai fixé pour l'accorder, mais on admet immédiatement les autres degrés, en vertu de l'édit.

Le délai pour demander la possession de biens se compte par jours utiles. Mais les empereurs qui nous ont précédés ont sagement décidé qu'on n'aurait plus besoin de demander la possession de biens; et si, dans les délais établis, on manifeste l'intention de l'avoir, elle produira tous ses effets.

Ainsi, le préteur ordonne aux enfants de se présenter dans l'année utile, et aux autres personnes de venir dans les cent jours utiles. Or, voici ce qui peut arriver: un héritier valablement institué accepte la succession par pro herede gestio, et se met immédiatement en possession sans demander l'aide du prêteur; quand les cent jours fixés par l'édit sont écoulés, un agnat se présente et fait la triple preuve 1o que personne n'a demandé la bonorum possessio secundum tabulas, 2o qu'il n'y a pas d'héritiers siens, 3o qu'il est le proximus agnatus; en conséquence, il demande la possession de biens ande legitimi, et il l'obtient nécessairement, puisqu'il réunit toutes les conditions de l'édit; alors, il vient, à l'aide de l'interdit quorum bonorum, prendre provisoirement possession de l'hérédité.

L'héritier testamentaire dépouillé intente à son tour la petitio hereditatis; et comme le préteur est ici tout disposé à aider le droit civil, il lui fera remettre les biens du défunt. Après le jugement, Fagnat reste possessor honorum par un résultat analogue à celui qu'on formule en disant : « Semel heres, semper heres (1); mais il n'a plus qu'un droit sans effets, sine re. Telle est l'explication donnée par Gaïus.

§ 35. Cæterum sæpe quibusdam ita datur bonorum possessio, ut is cui data

(4) F. 3, § 4, de bonor, possess. D. 37, 4.

la

biens.

Il arrive souvent qu'on accorde la Gaius. C. III. possession de biens de telle sorte, que

Bonorum

possessio edictalis et

sit, non obtineat hereditatem; quæ bo-
norum possessio dicitur sine re.

§ 36. Nam si, verbi gratia, jure facto testamento, heres institutus creverit hereditatem, sed bonorum possessionem secundum tabulas testamenti petere noluerit, contentus eo, quod jure civili heres sit, nihilominus ii, qui nullo facto testamento ad intestati bona vocantur, possunt petere bonorum possessionem; sed sine re ad eos hereditas pertinet, cum testamento scriptus heres evincere hereditatem possit.

celui auquel on la donne ne prend pas l'hérédité; cette possession de biens est dite sans la chose.

En effet, si un héritier institué dans un testament valable fait adition sans demander la possession de biens conformément au testament, parce qu'il se contente d'être héritier suivant le droit civil, ceux qui ont droit à la possession de biens ab intestat peuvent la demander; mais ils auront seulement le droit héréditaire sans les biens, parce que l'héritier institué dans le testament peut les évincer de la succession.

Dans le paragraphe suivant, Gaïus donne la même explication pour le cas où un agnat vient demander la possession de biens qui avait été négligée par un héritier sien. Ici encore il y aura un possessor juris, mais sine re, les biens devant être rendus à l'enfant, car le droit civil et le droit prétorien se réunissent pour le faire passer avant les agnats.

Sous un autre point de vue, on divisait les bonorum possessiones decretalis. en edictales et decretales.

Ce qu'elles sont.

La possessio edictalis était donnée dans les cas ordinaires, prévus d'avance par les termes de l'édit, comme la possessio secundum tabulas, unde liberi, etc...; on allait, de plano, devant le magistrat supérieur, le préteur à Rome, le gouverneur en province, et on obtenait l'envoi : c'était un acte de juridiction gracieuse. Il y avait cependant autrefois certaines formes à suivre pour obtenir la possession de biens; mais Constantin abolit la nécessité des formules : « Ut verborum inanium excludimus captiones, » et il permet de manifester la volonté d'accepter même devant les duumviri civitatum (1).

La bonorum possessio decretalis tire son nom de la manière dont le magistrat l'accordait. Il fallait qu'il fût dans son tribunal, en session ordinaire; il rendait alors un jugement, decretum, et seulement après avoir examiné l'affaire, causa cognita. Il fallait agir comme dans les questions contentieuses (2). On cite ordinairement trois cas principaux de bonorum possessio decretalis: 1° l'édit Carbonien, quand on contestait la filiation d'un impubère qui demandait la succession de son père prétendu (3); 2o quand un pupille sans tuteur voulait obtenir du préteur la permission d'accepter une succession qui lui était déférée (4); 3° quand la femme veuve demandait la possession de biens, ventris nomine, au nom de l'enfant

=

(4) L. 9, Cod., qui admitt., 6, 9. - Cf. F. 1, § 4, si tabulæ. D. 38, 6. = (2) F. 3, § 8, de bonor. possess. D. 37, 4.-F. 1, § 7, de successor. edicto. D. 38, 9. (3) F. 1, pr., de Carboniano edicto. D. 37, 10. (4) L. 18, § 4, Cod., de jure deliber., 6, 30.

conçu qui avait été omis dans le testament du père légitime (1). Dans ces deux espèces de possession de biens, on comptait les jours utiles, mais il y avait une différence entre elles. Pour la possessio edictalis, on tenait compte de tous les jours : « Quibus scierit « poteritque heres possessionem petere. » Quand il y avait lieu à demander la possessio decretalis, on ne considérait que les jours des sessions, et encore en déduisait-on ceux dans lesquels le magistrat s'était occupé d'autres affaires que de la prononciation des jugements (2).

uti ex legibus.

Il y eut enfin une dernière classe de possession de biens admise Possessio avec le temps; elle est désignée ordinairement par les mots uti ex legibus.

§ 7. Septima eas secuta, quam optima ratione prætores introduxerunt. Novissime enim promittitur edicto his etiam bonorum possessio, quibus ut detur, lege vel senatusconsulto vel constitutione comprehensum est, quam neque bonorum possessionibus, quæ ab intestato veniunt, neque iis, quæ ex testamento sunt, prætor stabili jure connumeravit, sed quasi ultimum et extraordinarium auxilium, prout res exigit, accommodavit scilicet his, qui ex legibus, senatusconsultis, constitutionibus principum ex novo jure, vel ex testamento, vel ab intestato veniunt.

Il y a une septième possession de biens que les préteurs ont introduite avec bien de la raison. Ils promettent en effet, dans l'édit, de la donner à tous ceux qui sont appelés à prendre les biens par une loi ou un sénatus-consulte, ou une constitution impériale; cette possession n'est pas assimilée à celles qu'on donne dans le cas de testament ou dans les successions ab intestat ordinaires, mais c'est comme un secours extrordinaire donné en dernier lieu à ceux que les lois, les sénatusconsultes, ou les constitutions impériales appellent à la succession en vertu du nouveau droit.

Les

préteurs ont créé

cognats et les successions

Remarquons en terminant qu'à l'aide des possessions de biens les préteurs ont créé deux ordres d'héritiers: 1o les cognats, qui ont l'ordre des fini par remplacer tous les successeurs du droit civil; 2° les époux entre eux. Cependant l'édit proclamait formellement : « Ubicum- entre époux. « que lex vel senatus, vel constitutio capere hereditatem prohibet, «<et bonorum possessio cessat (3); » mais cela signifie seulement que le préteur n'entendait pas détruire les incapacités formellement établies par les lois, tout en se réservant de donner la capacité à des personnes dont le droit civil ne s'occupait pas.

droit

Les constitutions impériales vinrent à leur tour réglementer les Caractères du successions ab intestat; elles eurent pour tendance générale d'élargir impérial. encore le cercle des personnes appelées aux successions ab intestat. C'est surtout pour les femmes et leurs descendants que les nouvelles lois se montrèrent favorables. Enfin, dans ses deux novelles CXVIII et CXXVII, Justinien adopta pour base exclusive de son système de successions la parenté du sang, et il posa les principes de la théorie

(4) F. 84, de adq. heredit. D. 29, 2. = (2) F. 2, § 1-2, quis ordo. D. 38, 13. = (3) F. 12, $1.-F. 13, de bonor. possess. D. 37, 1.

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