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Exemple.

Principe

de justice et

sur lequel est fondée la compensation.

Voici un exemple où la notion se trouve établie : Paul achète une maison qui lui est vendue par Titius, et il ne paye qu'une portion du prix; il reste débiteur d'une somme de vingt mille francs. Quelque temps après, il est évincé, et il fait condamner le vendeur à lui payer des dommages et intérêts; le voilà donc tout à la fois créancier et débiteur. Il en est de même pour l'autre partie.

L'admission de la compensation dans la loi et dans la jurisprud'utilité dence est fondée sur un double principe: 1° l'idée de justice, car celui qui se trouve être débiteur n'agit pas d'une manière équitable en poursuivant une personne qui a également une créance contre lui; 2o l'idée d'utilité : il vaut mieux se payer par ses mains, quand on doit soi-même à son débiteur, que de commencer par lui compter une somme d'argent, sauf à aller ensuite faire valoir sa créance. On évite ainsi les chances d'insolvabilité résultant, soit de la mauvaise administration du débiteur, soit du concours des autres créanciers avec lesquels on viendrait recevoir seulement un dividende.

La

compensation n'a été

admise que

peu à peu

Chez les Romains, ces principes n'ont été admis que successivement. La compensation, d'abord restreinte à un petit nombre de chez cas, a pris dans la jurisprudence une extension toujours croissante, et à l'époque de Justinien, on ne refuse de l'adinettre que dans des hypothèses tout à fait exceptionnelles.

les Romains.

La

compensation n'éteint

pas les dettes ipso jure.

tit. VI.

Mais il faut bien remarquer qu'à aucune époque, la compensation n'a été à Rome un mode d'extinction des obligations ipso jure, comme la solutio ou la novation; elle était seulement une manière d'éviter, en tout ou en partie, qu'un débiteur fût condamné quand il était en même temps créancier du poursuivant. En un mot, elle ne fut jamais un effet légal, mais bien un effet judiciaire résultant d'une sorte de demande reconventionnelle.

Les Institutes mentionnent la compensation dans les deux paragraphes qui suivent.

Instit., 1. IV, § 39. Compensationes quoque oppositæ plerumque efficiunt, ut minus quisque consequatur, quam ei debebatur: namque ex bono et æquo, habita ratione ejus, quod invicem actorem ex eadem causa præstare oporteret, in reliquum eum, cum quo actum est, condemnare, sicut jam dictum est.

§ 30. In bonæ fidei autem judiciis libera potestas permitti videtur judici ex bono et æquo æstimandi, quantum actori restitui debeat. In quo et illud continetur, ut, si quid invicem actorem præstare oporteat, eo compensato, in reliquum ei is, cum quo actum est,

Les compensations opposées produisent ordinairement cet effet, que le demandeur obtient moins qu'il ne lui était dû; car le juge, après avoir déter miné, conformément à l'équité, ce que le demandeur doit en vertu de la même cause, condamne le défendeur au surplus, comme cela a déjà été dit.

Dans les actions de bonne foi, le juge a le droit d'examiner, conformément à l'équité, ce qu'il faut rendre au demandeur. On le calcule de telle sorte que si le demandeur doit payer quelque chose de son côté, on ne condamne le défendeur que pour le surplus. D'après un

condemnari debeat. Sed et in strictis judiciis, ex rescripto divi Marci, opposita doli mali exceptione, compensatio inducebatur. Sed nostra constitutio eas compensationes, quæ jure aperto nituntur, latius introduxit, ut actiones ipso jure minuant, sive in rem, sive personales, sive alias quascumque, excepta sola depositi actione, cui aliquid compensationis. nomine opponi, satis impium esse credidimus, ne sub prætextu compensationis, depositarum rerum quis exactione defraudetur.

rescript de Marc-Aurèle, la compensa-
tion était admise, dans les actions de
droit strict, à l'aide de l'exception de
Idol. Mais notre constitution a encore
étendu plus loin les compensations fon-
dées sur un droit évident, et nous avons
voulu qu'elles diminuassent de plein
droit, les actions soit in rem, soit in
personam, soit toutes autres, à l'excep-
tion de l'action de dépôt, à laquelle
nous avons pensé qu'il était impie d'op-
poser la compensation, en refusant,
sous ce prétexte, la restitution des
choses déposées.

de la compensation.

Action de bonne foi;

ex

eadem causa.

Reprenons la filiation historique de la compensation. Jusqu'à l'é- Historique de Justinien, elle n'avait pas lieu dans les actions in rem poque destinées à faire constater les droits de propriété ou de servitude; quand on revendiquait sa chose, on devait triompher sans que le juge eût à examiner si le propriétaire était débiteur du possesseur, ou bien s'il détenait lui-même une chose qui appartenait au défendeur. Dans les actions in personam, on n'admettait la compensation que si le judicium était de bonne foi, et de plus quand les deux dettes réciproques avaient une même origine, quand elles venaient ex eadem causa. Cela ne pouvait se présenter que dans les actes faisant naître des engagements ultro citroque, comme la vente, le louage, la société; puis dans la tutelle, la gestion d'affaires, etc. La partie poursuivie devait faire accepter sa prétention par le judex; du reste, la reconvention n'était pas forcée, et si le juge avait omis de tenir compte de la compensation, ou si les parties ne l'avaient pas proposée, le débiteur condamné exerçait à son tour l'action qui lui appartenait. « Si rationem compensationis judex non habuerit, <<< salva manet petitio (1). »

$ 63. In his quidem judici nullo modo est injunctum compensationis rationem habere, neque enim formulæ verbis præcipitur; sed quia id bonæ fidei judicio conveniens videtur, id officio ejus contineri creditur.

Dans ce cas, il n'est aucunement im- Gaius, C. IV. posé au juge de tenir compte de la compensation; les paroles de la formule ne le lui ordonnent pas expressément; mais comme cela paraît conforme à la bonne foi, on le regarde comme compris dans son office.

Gaïus cite cependant deux cas dans lesquels on compensait, bien que les actions ne fussent pas de bonne foi et que les dettes ne vinssent pas ex eadem causa.

$ 64. Alia causa est illius actionis qua argentarius experitur; nam is cogitur cum compensatione agere, ita ut compensatio verbis formulæ com

(4) F. 7, § 1, de compensationib. D. 16, 2.

Cas de l'argentarius; nécessité pour lui de

Il en est autrement quand l'action est intentée, par un argentarius, car il est contraint d'agir de telle sorte que la compensation soit comprise dans les compenser.

Deductio

après la vente

prehendatur. Itaque argentarius ab ini-
tio compensatione facta minus intendit
sibi dare oportere; ecce enim si sester-
tium X millia debeat Titio, atque ei
XX debeat Titius, ita intendit si paret
Titium sibi X millia dare oportere am-
plius quam ipse Titio debet.

paroles de la formule. Donc, l'argentarius prétend qu'il lui est dù, en ayant soin d'établir la compensation dès l'origine; si, par exemple, il doit dix mille sesterces à Titius, qui lui en doit vingt mille, il devra faire rédiger ainsi son intentio: s'il paraît que Titius doive lui donner dix mille sesterces de plus que lui-même ne doit à Titius.

Ainsi, voilà une compensation forcée dans le cas d'une action résultant du mutuum d'argent; peu importe la cause de la créance du client contre son banquier : le jurisconsulte ne distingue pas.

Le second cas se présente lorsqu'il y a eu vente en masse des biens en masse. d'une personne, et que l'acheteur agit contre un des créanciers du failli, soit ficto se herede, soit par une action Rutilienne, dont Gaius nous a conservé le caractère (1). On donne ici le nom de deductio au calcul établi entre les parties.

§ 65. Item debet cum deductione agere, velut bonorum emptor, ita ut in hoc solum adversarius condemnetur, quod superest deducto eo quod invicem sibi defraudatoris nomine debetur.

De même on doit agir avec déduc tion, comme le bonorum emptor, de telle sorte que l'adversaire soit condamné seulement à ce qui restera dú, déduction faite de la somme qu'il faut lui payer au nom du failli.

Pour bien comprendre le paragraphe de Gaïus, il faut se rappeler que les biens du débiteur insolvable étaient vendus aux enchères et adjugés à celui qui offrait la plus forte somme aux créanciers. Ici il se trouve que le bonorum emptor avait une créance contre une personne qui était elle-même créancière du failli, et à laquelle, par conséquent, il doit payer un dividende. Dès lors, quand il agira, il devra déduire de ce qu'il a prêté la somme dont il est lui-même débiteur.

§ 66. Inter compensationem autem quæ argentario interponitur, et deductionem quæ objicitur bonorum emptori, illa differentia est, quod in compensationem hoc solum vocatur QUOD EJUSDEM GENERIS ET NATURÆ EST, veluti pecunia cum pecunia compensatur, triticum cum tritico, vinum cum vino: adeo ut quibusdam placet, non omnimodo vinum cum vino, aut triticum cum tritico compensandum, sed ita si ejusdem naturæ qualitatisque sit. In deductionem autem vocatur et quod non est ejusdem generis: itaque si pecuniam petat bonorum emptor, et invicem frumentum aut vinum tibi debeat, deducto eo quanti id erit, in reliquum experitur.

(1) G. C. IV, $ 35.

Entre la compensation imposée à l'argentarius et la déduction opposée à l'acheteur des biens, il y a cette différence, qu'on ne fait figurer dans la compensation que des choses de même genre et de même nature, comme de l'argent avec de l'argent, du blé avec du blé, du vin avec du vin; si bien que des auteurs n'admettent pas qu'on puisse compenser d'une manière générale du vin avec du vin, ou du blé avec du blé, ils exigent encore que ces choses soient de même nature et qualité. Dans la déduction, au contraire, on fait intervenir des choses de nature différente. Si donc le bonorum emptor demande de l'argent, et qu'il vous doive de son côté du froment ou du vin, il faut agir, déduction faite de la valeur de ces objets.

Dans la compensation les choses

Dans ce paragraphe, Gaïus indique une autre condition exigée de son temps pour qu'on admît la compensation, il fallait que les doivent être de choses dues fussent de même nature et de même qualité.

§ 67. Item vocatur in deductionem et id quod in diem debetur: compensatur autem hoc solum quod præsenti die debetur.

De même, on fait entrer en déduction même ce qui est dû à terme; on compense seulement les dettes actuellement exigibles.

Ainsi, il résulte des divers passages que nous venons de traduire, qu'à l'époque de Gaïus, quatre conditions étaient nécessaires pour qu'il y eût lieu à la compensation. 1o Que les deux dettes vinssent ex eadem causa; cependant, il est bien probable qu'en pratique on ne s'en tenait pas rigoureusement à cette unité d'origine, car dans le § 66, nous venons de voir qu'on devait compenser « vinum cum « vino, triticum cum tritico; » or on ne comprend pas ce que serait un contrat synallagmatique dans lequel les deux parties se promettraient réciproquement du vin de même nature, etc. Il faut donc admettre que l'unité de cause ne se rapporte qu'aux anciens temps de la jurisprudence. 2° L'action doit être de bonne foi. 3o 11 est indispensable que les choses dues soient de même nature. 4o Il faut qu'il y ait exigibilité des deux dettes, c'est-à-dire terme échu ou condition réalisée.

même nature.

de la

aux

actions de droit strict.

dol.

Les avantages de la compensation devaient pousser à l'étendre Extension aux cas auxquels elle ne s'appliquait pas encore, et ce progrès fut compensation réalisé par un rescript de Marc-Aurèle. Il décida que dans les actions stricti juris, le défendeur pourrait faire valoir la compensation à l'aide de l'exception de dol. A l'époque d'Ulpien, c'est un principe Exception de généralement proclamé; aussi le jurisconsulte admet-il la compensation dans le cas de la condictio furtiva, de l'action noxale, de la stipulation, etc., actes qui constituent des judicia stricti juris (1). Dans ces actions, nous pensons que pour opposer l'exception de dol, il fallait que les deux dettes fussent de même nature et exigibles.

de dol ne fait
pas
encourir
Ja plus-
pétition.

Quelques auteurs se sont demandé si celui auquel on opposait L'exception l'exception de dol perdait son procès par plus-pétition; mais à notre avis, cette question doit être résolue négativement. Marc-Aurèle, en permettant d'opposer ainsi la compensation, avait en vue d'obvier aux rigueurs du droit strict; il n'est donc pas à présumer qu'il ait voulu se montrer aussi sévère pour les particuliers qu'on le faisait pour les argentarii (2). La question est du reste décidée expressément par Théophile, dont Otto Reitz traduit ainsi les paroles: « Sed facta est constitutio Marci imperatoris, quæ ait me stricta << actione conventum de solidis decem, cum mihi deberentur quin(1) F. 10, S, 2-3, de compensationib D. 16, 2. (2) V. G. C. IV, § 68.

partir de

la

compensation opere

ipso jure.

« que, posse actioni opponere exceptionem doli, atque hac opposita « exceptione, judici occasio datur admittendi compensationem, et « in solos quinque solidos condemnandi. »

Cependant, même après le rescript de Marc-Aurèle, il fallait faire figurer l'exception de dol dans la formule; sans cela le juge n'aurait pas pu tenir compte de la compensation.

Sous Dioclétien, le système formulaire est aboli avec l'ordo judiDiocletien, ciorum; il n'y a plus ni formule ni exceptions à faire insérer, l'équité devient la règle dominante. On peut donc prononcer qu'il y a Ce que cela compensation dans les contrats de droit strict, comme dans les contrats de bonne foi. C'est alors aussi qu'on trouve dans les textes ces expressions: La compensation opère ipso jure, de plein droit. Quel sens faut-il leur donner?

signifie.

Sens en droit

En droit français, l'article 1290 du Code Napoléon porte que la français. compensation s'opère de plein droit, par la seule force de la loi, même à l'insu des débiteurs. Il y a donc là un effet légal indépendant de la volonté des parties; et comme conséquence, celui qui a payé sciemment, malgré la compensation, n'a plus que la condictio indebiti pour se faire rendre la somme comptée (1).

Sens en droit

En droit romain, même à l'époque de Justinien, ces mots ipso romain. jure n'ont jamais eu un sens aussi absolu; la compensation n'a jamais eu pour effet d'éteindre complétement les deux dettes, à l'insu même des parties; il résulte des textes que cet avis n'était pas celui même des rédacteurs du Code. Ils ont en effet présenté comme loi à suivre un rescript de Dioclétien dans lequel il est dit : « Redditis his << quæ venerant in compensationem, non indebiti soluti repetitio, sed << ante debiti competit exactio (2). » Si vous avez payé des choses à l'occasion desquelles vous auriez pu opposer la compensation, vous exercez non pas la condictio indebiti, mais l'action que vous aviez avant le payement.

La compensation ipso jure, dans le sens français, produirait encore deux effets repoussés par les textes du droit romain. D'abord s'il y avait des correi debendi, la compensation existant du chef de l'un devrait libérer tous les autres, car il y aurait solutio, extinction de la dette unique; et cependant on ne permet aux correi d'invoquer la compensation du chef les uns des autres qu'autant qu'ils sont associés (3). Puis il faudrait dire que le débiteur qui se laisserait condamner sans opposer la compensation, et qui payerait sur l'action judicati, n'aurait plus recours, puisque, d'un côté, il ne pourrait plus exercer l'action éteinte par la compensation, et que, de

(1) Cod. Nap., art. 1299. = (2) L. 13, Cod., de compensationib., 4, 31. = (3) F. 10, ¡de duobus reis. D. 45, 2.

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