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C'est beaucoup. Mais enfin les preuves en sont claires;
Tous les livres sont pleins des titres de vos pères;
Leurs noms sont échappés du naufrage des temps:
Mais qui m'assurera qu'en ce long cercle d'ans
A leurs fameux époux vos aïeules fidèles
Aux douceurs des galants furent toujours rebelles?
Et comment savez-vous si quelque audacieux
N'a point interrompu le cours de vos aïeux;
Et si leur sang tout pur, ainsi que leur noblesse,
Est passé jusqu'à vous de Lucrèce en Lucrèce ?
Que maudit soit le jour où cette vanité
Vint ici de nos mœurs souiller la pureté !

Dans les temps bienheureux du monde en son enfance,'
Chacun mettoit sa gloire en sa seule innocence,
Chacun vivoit content, et sous d'égales lois ;

Le mérite y faisoit la noblesse et les rois;

Et, sans chercher l'appui d'une naissance illustre,
Un héros de soi-même empruntoit tout son lustre.
Mais enfin par le temps le mérite avili

Vit l'honneur en roture et le vice ennobli;

Et l'orgueil, d'un faux titre appuyant sa foiblesse,
Maîtrisa les humains sous le nom de noblesse.
De là vinrent en foule et marquis et barons :
Chacun pour ses vertus n'offrit plus que des noms.
Aussisôt maint esprit fécond en rêveries

Inventa le blason avec les armoiries;

De ses termes obscurs fit un langage à part;
Composa tous ses mots de Cimier et d'Ecart,
De Pal, de Contrepal, de Lambel et de Fasce,
Et tout ce que Segoing dans son Mercure entasse

Auteur qui a fait le Mercureurmorial.

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Une vaine folie enivrant la raison,

L'honneur triste et honteux ne fut plus de saison.

Alors, pour soutenir son rang et sa naissance,
Il fallut étaler le luxe et la dépense;

Il fallut habiter un superbe palais,

Faire par les couleurs distinguer ses valets;
Et, traînant en tous lieux de pompeux équipages,
Le duc, et le marquis 1, se reconnut aux pages.

Bientôt, pour subsister, la noblesse sans bien
Trouva l'art d'emprunter, et de ne rendre rien;
Et, bravant des sergents la timide cohorte,
Laissa le créancier se morfondre à sa porte.
Mais, pour comble, à la fin le marquis en prison
Sous le faix des procès vit tember sa maison.
Alors le noble altier, pressé de l'indigence,
Humblement du faquin rechercha l'alliance;
Avec lui trafiquant d'un nom si précieux,
Par un lâche contrat vendit tous ses aïeux;
Et, corrigeant ainsi la fortune ennemie,
Rétablit son honneur à force d'infamie.

Car, si l'éclat de l'or ne relève le sang,

En vain l'on fait briller la splendeur de son rang;
L'amour de vos aïeux passe en vous pour manie,
Et chacun pour parent vous fuit et vous renic.
Mais quand un homme est riche il vaut toujours son prix:
Et, l'eût-on vu porter la mandille 2 à Paris,

* Tous les gentilshommes considérables, en ce tempslà, avoient des pages.

2 Petite casaque qu'en ce temps-là portoient les laquais.

N'eût-il de son vrai nom ni titre ni mémoire,
D'Hozier lui trouvera cent aïeux dans l'histoire. 1
Toi donc, qui, de mérite et d'honneurs revêtu,
Des écueils de la cour as sauvé ta vertu,

Dangeau, qui, dans le rang où notre roi t'appelle,
Le vois, toujours orné d'une gloire nouvelle,
Et plus brillant par soi que par l'éclat des lis,
Dédaigner tous ces rois dans la pourpre amollis;
Fuir d'un honteux loisir la douceur importune;
A ses sages conseils asservir la fortune;

Et, de tout son bonheur ne devant rien qu'à soi,
Montrer à l'univers ce que c'est qu'être roi :
Si tu veux te couvrir d'un éclat légitime,

Va par
Sers un si noble maître; et fais voir qu'aujourd'hui

mille beaux faits mériter son estime;

Ton prince a des sujets qui sont dignes de lui.

Auteur très savant dans les généalogies.

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Boilean.

SATIRE VI.

Cette Satire contient la description des embarras de Paris. Elle a été composée dans le même temps que la première Satire, dont elle faisoit partie. C'est une imitation de la Satire III de Javénal.

Qui

U1 frappe l'air, bon dieu ! de ces lugubres cris? Est-ce donc pour veiller qu'on se couche à Paris? Et quel fâcheux démon, durant les nuits entières, Rassemble ici les chats de toutes les gouttières? J'ai beau sauter du lit, plein de trouble et d'effroi, Je pense qu'avec eux tout l'enfer est chez moi : L'un miaule en grondant comme un tigre en futie; L'autre roule sa voix comme un enfant qui crie. Ce n'est pas tout encor : les souris et les rats Semblent, pour m'éveiller, s'entendre avec les chats, Plus importuns pour moi, durant la nuit obscure, Que jamais, en plein jour, ne fut l'abbé de Pure 1.

Tout conspire à la fois à troubler mon repos, Et je me plains ici du moindre de mes maux : Car à peine les coqs, commençant leur ramage, Auront de cris aigus frappé le voisinage,

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Qu'un affreux serrurier, laborieux Vulcain,
Qu'éveillera bientôt l'ardente soif du gain,
Avec un fer maudit, qu'à grand bruit il apprête,
De cent coups de marteau me va fendre la tête.
J'entends déjà par-tout les charrettes courir,
Les maçons travailler, les boutiques s'ouvrir :
Tandis que dans les airs mille cloches émues,
D'un funèbre concert font retentir les nues;
Et, se mêlant au bruit de la grêle et des vents,
Pour honorer les morts font mourir les vivants.
Encor je bénirois la bonté souveraine

Si le ciel à ces maux avoit borné ma peine.
Mais si seul en mon lit je peste avec raison,
C'est encor pis vingt fois en quittant la maison:
En quelque endroit que j'aille, il faut fendre la presse
D'un peuple d'importuns qui fourmillent sans cesse :
L'un me heurte d'un ais dont je suis tout froissé;
Je vois d'un autre coup mon chapeau renversé.
Là d'un enterrement la funèbre ordonnance
D'un pas lugubre et lent vers l'église s'avance;
Et plus loin des laquais l'un l'autre s'agaçants
Font aboyer les chiens et jurer les passants.
Des paveurs en ce lieu me bouchent le passage.
Là je trouve une croix de funeste présage;
Et des couvreurs grimpés au toit d'une maison
En font pleuvoir l'ardoise et la tuile à foison.

1 On faisoit pendre alors du toit de toutes les maisons que l'on couvroit une croix de lattes pour avertir les passants de s'éloigner. On n'y pend plus maintenant qu'une simple latte.

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