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SATIRE PREMIÈRE.

Cette Satire est une imitation de la troisième Sa tire de Juvénal, dans laquelle est aussi décrite la retraite d'un philosophe qui abandonne le séjour de Rome, à cause des vices affreux qui y régnoient. Juvénal y décrit encore les embarras de la même ville; et à son exemple, M. Despréaux, dans cette première Satire, avoit fait la description des embar ras de Paris; mais il s'aperçut que cette description étoit comme hors d'œuvre, qu'elle faisoit un double sujet. C'est ce qui l'obligea de l'en détacher, et en fit une Satire particulière, qui est la sixième.

DAMONI, ce grand auteur dont la muse fertile
Amusa si long-temps et la cour et la ville;
Mais qui, n'étant vêtu que de simple bureau,
Passe l'été sans linge, et l'hiver sans manteau;
Et de qui le corps sec et la mine affamée

N'en sont pas mieux refaits pour tant de renonimée ;

1 J'ai eu en vue Cassandre, celui qui a traduit la Rhé orique d'Aristote.

2.

Las de perdre en rimant et sa peine et son bien,
D'emprunter en tous lieux, et de ne gagner rien,
Sans habits, sans argent, ne sachant plus que faire,
Vient de s'enfuir, chargé de sa seule misère;

Et, bien loin des sergents, des clercs et du palais,
Va chercher un repos qu'il ne trouva jamais;
Sans attendre qu'ici la justice ennemie
L'enferme en un cachot le reste de sa vie,
Ou que d'un bonnet vert le salutaire affront
Flétrisse les lauriers qui lui couvrent le front.
Mais le jour qu'il partit, plus défait et plus blême
Que n'est un pénitent sur la fin d'un carême,
La colère dans l'ame et le feu dans les yeux,
Il distilla sa rage en ces tristes adieux:

Puisqu'en ce lieu, jadis aux muses si commode,
Le mérite et l'esprit ne sont plus à la mode;
Qu'un poëte, dit-il, s'y voit maudit de Dieu,
Et qu'ici la vertu n'a plus ni feu ni lieu :

Allons du moins chercher quelque antre ou quelque roche,
D'où jamais ni l'huissier ni le sergent n'approche;
Et, sans lasser le ciel par des voeux impuissants,
Mettons-nous à l'abri des injures du temps,

Tandis que,

libre encor malgré les destinées,

Mon corps n'est point courbé sous le faix des années,
Qu'on ne voit point mes pas sous l'âge chanceler,

Et qu'il reste à la Parque encor de quoi filer :

1 Du temps que cette satire fut faite, un débiteur insolvable pouvoit sortir de prison en faisant cession, c'està-dire en souffrant qu'on lui mit en pleine rue un bonuet vert sur la tête.

C'est là dans mon malheur le seul conseil à suivre.
Que George vive ici, puisque George y sait vivre,
Qu'un million comptant, par ses fourbes acquis,
De clerc, jadis laquais, a fait comte et marquis:
Que Jaquin vive ici, dont l'adresse funeste
A plus causé de maux que la guerre et la peste;
Qui de ses revenus écrits par alphabet
Peut fournir aisément un calepin complet;

Qu'il règne dans ces lieux, il a droit de s'y plaire.
Mais moi, vivre à Paris! Eh! qu'y voudrois-je faire?
Je ne sais ni tromper, ni feindre, ni mentir;
Et, quand je le pourrois, je n'y puis consentir,
Je ne sais point en lâche essuyer les outrages
D'un faquin orgueilleux qui vous tient
ses gages,
De mes sonnets flatteurs lasser tout l'univers,
Et vendre au plus offrant mon encens et mes vers:
Pour un si bas emploi ma muse est trop altière.
Je suis rustique et fier, et j'ai l'ame grossière :
Je ne puis rien nommer, si ce n'est par son nom;
J'appelle un chat un chat, et Rolet1 un fripon.
De servir un amant, je n'en ai pas l'adresse ;
J'ignore ce grand art qui gagne une maîtresse ;
Et je suis, à Paris, triste, pauvre, et reclus,
Ainsi qu'un corps sans ame, ou devenu perclus.
Mais pourquoi, dira-t-on, cette vertu sauvage
Qui court à l'hôpital, et n'est plus en usage?
La richesse permet une juste fierté;
Mais il faut être souple avec la pauvreté :

Procureur très décrié, qui a été dans la suite condamné à faire amende honorable, et banni à perpétuité.

C'est par-là qu'un auteur que presse l'indigence
Peut des astres malins corriger l'influence,

Et que

le sort burlesque, en ce siècle de fer, D'un pédant, quand il veut, sait faire un duc et pair . Ainsi de la vertu la fortune se joue:

Tel aujourd'hui triomphe au plus haut de sa roue,
Qu'on verroit, de couleurs bizarrement orné,
Conduire le carrosse où l'on le voit traîné,

Si dans les droits du roi sa funeste science
Par deux ou trois avis n'eût ravagé la France.
Je sais qu'un juste effroi l'éloignant de ces lieux
L'a fait pour quelques mois disparoître à nos yeux :
Mais en vain pour un temps une taxe l'exile;
On le verra bientôt pompeux en cette ville
Marcher encor chargé des dépouilles d'autrui,
Et jouir du ciel même irrité contre lui;
Tandis que Colletet 2, crotté jusqu'à l'échine,
S'en va chercher son pain de cuisine en cuisine,
Savant en ce métier, si cher aux beaux-esprits,
Dont Montmaur 3 autrefois fit leçon dans Paris.

Il est vrai que du roi la bonté secourable
Jette enfin sur la muse un regard favorable;
Et, réparant du sort l'aveuglement fatal,

L'abbé de la Rivière, dans ce temps-là, fut fait évêque de Langres. Il avoit été régent dans un collège. 2 Fameux poëte fort gueux, dont on a encore plusieurs ouvrages.

3 Célèbre parasite, dont Ménage a écrit la vie.

Va tirer désormais Phebus de l'hôpital '.
On doit tout espérer d'un monarque si juste :
Mais, sans un Mécénas, à quoi sert un Auguste?
Et fait comme je suis, au siècle d'aujourd'hui,
Qui voudra s'abaisser à me servir d'appui?
Et puis, comment percer cette foule effroyable
De rimeurs affamés dont le nombre l'accable;
Qui, dès que sa main s'ouvre, y courent les premiers,
Et ravissent un bien qu'on devoit aux derniers,
Comme on voit les frêlons, troupe lâche et stérile,
Aller piller le miel que l'abeille distille?

Cessons donc d'aspirer à ce prix tant vanté
Que donne la faveur à l'importunite.

Saint-Amand 2 n'eut du ciel que sa veine en partage :
L'habit qu'il cut sur lui fut son seul héritage;
Un lit et deux placets composoient tout son bien;
Ou, pour en mieux parler, Saint-Amand n'avoit rien.
Mais quoi! las de traîner une vie importune,
Il engagea ce rien pour chercher la fortune,

3

Et, tout chargé de vers qu'il devoit mettre au jour,
Conduit d'un vain espoir, il parut à la cour
Qu'arriva-t-il enfin de sa muse abusée ?

Il en revint couvert de honte et de risée;
Et la fièvre, au retour, terminant son destin,

1 Le roi, en ce temps-là, à la sollicitation de M. Colbert, donna plusieurs pensions aux gens de lettres.

2 On a plusieurs ouvrages de lui où il y a beaucoup de genie. Il ne savoit pas le latin, et étoit fort pauvre.

3 Le poëme qu'il y porta étoit intitulé le Poëme de la Lune; et il y louoit le roi, sur-tout de savoir bien nager.

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