Page images
PDF
EPUB

LA RELIGIEUSE.

1795.

ROMANS. T. III.

AVERTISSEMENT

DES NOUVEAUX ÉDITEURS.

En 1757 ou 1758, une jeune religieuse de l'abbaye de Long-Champ, victime de l'inconduite et de la cruauté de ses parents, protesta contre des vœux qu'elle n'avait point formés librement: on voulut en vain étouffer sa voix; elle plaida contre son couvent et sa famille : l'affaire fit éclat; les dévots se déchaînèrent, comme on le pense bien, contre la jeune recluse: cependant quelques personnes charitables la défendirent. Sans la connaître et même sans savoir son nom, le marquis de Croismare, homme sensible et philosophe quoique religieux, s'intéressa vivement à elle; mais ses démarches furent sans succès, et cette malheureuse fut condamnée à finir dans le cloître sa pénible existence.

Cet événement, dont on trouve beaucoup d'autres exemples dans les Nouvelles ecclésiastiques, années 1728 à 1760, et dans les Mémoires du temps, donna lieu au roman de la Religieuse, C'est au bon Croismare que s'adresse de nouveau la Religieuse de Diderot, à cet homme estimable dont madame d'Épinay a tracé, dans le second volume de ses Mémoires, Paris 1818, un portrait qui confirme tout ce qui est ici rapporté de lui.

Les mémoires de la Religieuse ont été composés en 1760; le manuscrit, dont plusieurs fragments ont couru pendant long-temps, a pu donner à La Harpe l'idée de sa Mélanie, publiée en 1770: cependant le caractère de Suzanne est resté

a.

bien supérieur à celui de la Religieuse de La Harpe. Mélanie est aimée, elle aime.... et ce sentiment explique son aversion pour le cloître; tandis que sœur Suzanne, modèle d'innocence et de pureté, n'a d'autre motif que l'horreur que lui inspire naturellement l'état auquel elle n'est point appelée.

<< de

Ainsi que Jacques le Fataliste, la Religieuse ne fut point imprimée du vivant de Diderot. Ces deux ouvrages parurent en l'an v ( 1796), à Paris, chez Buisson. La Décade philosophique dit en annonçant la Religieuse : « On a fort bien «< fait d'empêcher la publication d'un pareil livre sous l'an<< cien régime; quelque jeune homme, après l'avoir lu, n'au<< rait pas manqué d'aller mettre le feu au premier couvent nones; mais on fait encore mieux de le publier à pré<< sent; cette lecture pourra être utile aux gens assez fous (car il en est ) pour s'affliger de la destruction de ces abo<< minables demeures, et pour espérer leur rétablissement. « Ce singulier et attachant ouvrage restera comme un «< monument de ce qu'étaient autrefois les couvents, fléau «né de l'ignorance et du fanatisme en délire, contre lequel « les philosophes avaient si long-temps et si vainement réclamé, et dont la révolution française délivrera l'Europe, << si l'Europe ne s'obstine pas à vouloir faire des pas rétrogrades vers la barbarie et l'abrutissement. >>

[ocr errors]

་་

[ocr errors]

Qui eût pu prévoir, à cette époque, qu'un jour la France serait encore une fois couverte d'établissements monastiques; et que, malgré les lois existantes, des vœux à toujours y seraient prononcés! Pourquoi faut-il que de tels événements fassent de la Religieuse un ouvrage de circonstance, et qu'il redevienne encore aujourd'hui d'une utilité publique et générale *.

M. Kératry, député du Finistère, rapporte, dans sa lettre au ministre des finances du 6 février 1822, qu'aujourd'hui il existe en France plus de quatre cents établissements monastiques.

« PreviousContinue »