Lib. 8, « «< niers jours à composer, à lire dans la plus grande << tranquillité du monde. Vous demandez comment cela « se peut au milieu de Rome? C'était le temps des spectacles du Cirque, qui ne me touchent pas, même « légèrement. Je n'y trouve rien de nouveau, rien de « varié, rien qu'il ne suffise d'avoir vu une fois. C'est « ce qui redouble l'étonnement où je suis que tant de << milliers d'hommes.... et même de fort honnêtes gens.... <«< aient la puérile passion de revoir si souvent des che<< vaux qui courent et des hommes qui conduisent des «< chariots. Quand je songe qu'ils ne se lassent point << de revoir avec tant de goût et d'assiduité des choses <«< si vaines et si froides, et qui reviennent si souvent, « je sens un plaisir secret de n'en point trouver à ces bagatelles, et j'emploie volontiers aux belles-lettres << un loisir que les autres perdent dans de si frivoles << amusements. >> On voit que l'étude faisait toute sa joie et toute sa epist. 19. consolation. « Les belles-lettres, disait-il, me divertis<< sent et me consolent; et je ne sais rien de si agréa« ble qui le soit plus qu'elles, rien de si fâcheux qu'elles «< n'adoucissent. Dans le trouble que me cause l'indis<< position de ma femme, la maladie de mes gens, la « mort même de quelques-uns, je ne trouve d'autre remède que l'étude1. Véritablement elle me fait mieux comprendre toute la grandeur du mal, mais elle me << le rend aussi plus supportable. »> II. Estime et attachement de Pline Pline eut pour amis tout ce que son siècle a produit de grands hommes, tous ceux que leurs rares vertus distinguaient le plus : Virginius Rufus, qui refusa l'empire; Corellius, que l'on regardait comme un modèle parfait de sagesse et de probité; Helvidius, l'admiration de son temps; Rusticus Arulénus et Sénécion, que Domitien fit mourir; Cornutus Tertullus, que Pline eut plusieurs fois pour collègue. Il se faisait honneur aussi d'être lié d'une amitié particulière avec ce qu'il y avait de personnes les plus distinguées de son temps dans les belles-lettres : Tacite, Suétone, Martial, Silius Italicus. epist. 20. « J'ai lu votre livre, dit-il à Tacite, et j'ai marqué Lib. 7, « avec le plus d'exactitude qu'il m'a été possible ce que je crois y devoir être changé, et en devoir être re« tranché; car je n'aime pas moins à dire la vérité << que vous à l'entendre 1; et d'ailleurs l'on ne trouve point « de gens plus dociles à la censure que ceux qui méri<< tent le plus de louanges. Je m'attends qu'à votre tour <«<< vous me renverrez mon livre avec vos remarques. « O l'agréable, ô le charmant échange 2! Que j'ai de I « Nam et ego verum dicere assuevi, et tu libenter audire. Neque enim ulli patientiùs reprehenduntur, quàm qui maximè laudari meren tur. » 2 «O jucundas, ô pulchras vices! Quàm me delectat, quòd, si qua posteris cura nostri, usquequaque narrabitur, quâ concordiâ, fide, Lib. I, epist. 24. plaisir à penser que, si jamais la postérite fait quelque <«< cas de nous, elle ne cessera de publier avec quelle <«< union, quelle franchise, quelle amitié, nous avons «< vécu ensemble! Il sera rare et remarquable que deux << hommes à peu près de même âge, de même rang, de quelque nom dans l'empire des lettres (car il faut bien « que je parle modestement de vous, puisque je parle << en même temps de moi), se soient si fidèlement aidés <«< dans leurs études. Pour moi, dès ma plus tendre jeula réputation, la gloire que vous aviez acquise, « me faisaient déja désirer de vous suivre, de marcher « et de paraître marcher sur vos traces, non pas de «< près, mais de plus près qu'un autre. Ce n'est pas qu'alors nous n'eussions à Rome beaucoup d'esprits <«< du premier ordre; mais, entre tous les autres, le << rapport de nos inclinations vous montrait à moi «< comme le plus propre à être imité, comme le plus digne de l'être. C'est ce qui redouble ma joie quand j'entends dire que, si la conversation tombe sur les «< belles-lettres, on nous nomme ensemble. >> On peut connaître combien Pline cherchait à obliger Suétone, l'historien, par ce qu'il en écrit à un ami. Cette lettre, quoique courte, est, parmi celles qui sont venues jusqu'à nous, une des plus élégantes. « Suétone, qui loge avec moi, a dessein d'acheter I cc Tranquillus, contubernalis meus, vult emere agellum, quem venditare amicus tuus dicitur. Rogo cures, quanti æquum est, emat: ità enim delectabit emisse. Nam mala emptio semper ingrata est, eo maximè quòd exprobrare stultitiam domino videtur. In hoc autem agello (si modò arriserit pretium), Tran quilli mei stomachum multa sollicitant: vicinitas urbis, opportunitas viæ, mediocritas villa: modus ruris, qui avocet magis quàm distringat. Scholasticis porrò studiosis, ut hic est, sufficit abundè tantùm soli, ut relevare caput, reficere oculos, reptare per limitem, unamque semitam terere, omnesque viticulas suas <«< une petite terre qu'un de vos amis veut vendre. Faites << en sorte, je vous prie, qu'elle ne soit vendue que ce « qu'elle vaut; c'est à ce prix qu'elle lui plaira. Un mau<< vais marché ne peut être que désagréable, mais principalement par le reproche continuel qu'il semble << nous faire de notre imprudence. Cette acquisition, si << d'ailleurs elle n'est pas trop chère, tente mon ami par plus d'un endroit; son peu de distance de Rome, la «< commodité des chemins, la médiocrité des bâtiments, « les dépendances plus capables d'amuser que d'occu« per. En effet, il ne faut à ces messieurs les savants, <«< absorbés comme lui dans l'étude, que le terrain né<< cessaire pour délasser leur esprit et réjouir leurs yeux. Il ne leur faut qu'une allée pour se promener, qu'une «< vigne dont ils puissent connaître tous les ceps, que << des arbres dont ils sachent le nombre. Je vous mande « tout ce détail, pour vous apprendre quelle obligation «< il m'aura, et toutes celles que lui et moi vous aurons, <«< s'il achète à des conditions dont il n'ait jamais lieu « de se repentir une petite maison telle que je viens « de la dépeindre. Lib. 3, Martial, si connu par ses épigrammes, était aussi des amis de Pline, et la mort de ce poète lui causa de epist. 21. vifs regrets. « J'apprends, dit-il, que Martial est mort, « et j'en ai beaucoup de chagrin. C'était un esprit nôsse, et numerare arbusculas possint. Hæc tibi exposui, quò magis scires, quantùm ille esset mihi, quantùm ego tibi debiturus, si prædiolum istud, quod commendatur his dotibus, tam salubriter emerit, ui pœnitentiæ locum non relinquat. Tome XI. Hist. anc. Vale. La langue française ne peut 21 I « agréable, délié, piquant 1, et qui savait parfaitement «< mêler le sel et l'amertume dans ses écrits, et en même 2 temps rendre justice au mérite. A son départ de Rome, « je lui donnai de quoi l'aider à faire son voyage. Je << devais ce petit secours à notre amitié, je le devais <«< aux vers qu'il a faits pour moi. C'était un ancien << usage d'accorder des récompenses utiles ou honora<«<bles à ceux qui avaient écrit à la gloire des villes ou << de quelques particuliers. Aujourd'hui la mode en est « passée, avec tant d'autres, qui n'avaient guère moins << de grandeur et de noblesse. Depuis que nous cessons « de faire des actions louables, nous méprisons la <<< louange. >> Pline rapporte l'endroit de ces vers où le poète adressé la parole à sa muse, et lui recommande d'aller trouver Pline à sa maison des Esquilies, et de l'aborder avec respect. Sed ne tempore non tuo disertam Hæc hora est tua, quum furit Lyæus, I «Erat homo ingeniosus, acutus, acer et qui plurimùm in scribendo et salis haberet et fellis, nec candoris minùs. » 2 « Fuit moris antiqui, eos qui vel singulorum laudes vel urbium scripserant, aut honoribus aut pecuniâ ornare : nostris verò temporibus, ut alia speciosa et egregia, ita hoc imprimis exolevit. Nam postquàm desiimus facere laudanda, laudari quoque ineptum putamus.» t |