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dans presque tous les païens. L'ignorance de la bonne physique rend aussi la lecture de plusieurs de ces traités fort ennuyeuse et rebutante.

La partie des ouvrages de Plutarque la plus estimée est celle qui comprend les Vies des hommes illustres grecs et latins, qu'il apparie et compare ensemble. Nous n'avons pas toutes celles qu'il a composées: on en a perdu au moins seize. Celles dont la perte doit être le plus regrettée, sont les vies d'Epaminondas et des deux Scipions Africains. Il nous manque aussi les comparaisons de Thémistocle et de Camille, de Pyrrhus et de Marius, de Phocion et de Caton, de César et d'Alexandre.

Il ne faut pas s'étonner qu'un homme de bon goût et de bon jugement, interrogé lequel de tous les livres de l'antiquité profane il voudrait conserver, s'il n'en pouvait sauver qu'un seul à son choix d'un incendie commun, se soit déterminé pour les Vies de Plutarque.

C'est l'ouvrage le plus accompli que nous ayons, et le plus propre à former les hommes, soit pour la vie publique et les fonctions du dehors, soit pour la vie privée et domestique. Plutarque ne se laisse point éblouir, comme la plupart des historiens, par les actions d'éclat qui font beaucoup de bruit et qui attirent l'admiration du vulgaire et du plus grand nombre des hommes. Il juge des choses ordinairement par ce qui en fait le véritable prix. Les sages réflexions qu'il mêle dans ses écrits accoutument ses lecteurs à en juger de la même sorte, et leur apprennent en quoi consistent la véritable grandeur et la solide gloire. Il refuse inflexiblement ces titres honorables à tout ce qui ne porte point le caractère de justice, de vérité, de bonté, d'huma

nité, d'amour du bien public, et qui n'en a que les apparences. Il ne s'arrête point aux actions extérieures et brillantes où les princes, les conquérants, et tous les grands de la terre, attentifs à se faire un nom, jouent chacun leur rôle sur la scène du monde, y représentent pour ainsi dire un personnage passager, et réussissent à se contrefaire pour un temps. Il les démasque, il les dépouille de tout l'appareil étranger qui les environne, il les montre tels qu'ils sont en eux-mêmes; et, pour les mettre hors d'état de se dérober à sa vue perçante, il les suit avec son lecteur jusque dans l'intérieur de leurs maisons, les examine, s'il était permis de s'exprimer ainsi, dans leur déshabillé, prête l'oreille à leurs conversations les plus familières, les considère à table, où l'on ne sait ce que c'est de se contraindre, et dans le jeu, où l'on se gêne encore moins. Voilà ce qu'il y a de merveilleux dans Plutarque, et ce qui est, ce me semble, trop négligé par nos historiens, qui évitent comme bas et rampant un certain détail d'actions communes, qui font pourtant mieux connaître les hommes que les plus éclatantes. Ces détails, loin de défigurer les Vies de Plutarque, sont précisément ce qui en rend la lecture et plus agréable et plus utile.

Qu'il me soit permis d'apporter ici un exemple de ces sortes d'actions. Je l'ai déja cité dans le Traité des études, à l'endroit où j'examine en quoi consiste la véri table grandeur.

M. de Turenne ne partait jamais pour ses campagnes qu'il n'eût fait avertir auparavant tous les ouvriers qui avaient fait quelque fourniture pour sa maison, de remettre leurs mémoires entre les mains de son intendant. La raison qu'il en apportait, c'est qu'il ne savait

pas s'il reviendrait de la campagne. Cette circonstance peut paraître petite et basse à de certaines personnes, et peu digne d'entrer dans l'histoire d'un aussi grand homme que M. de Turenne. Plutarque n'en aurait pas pensé ainsi; et je suis persuadé que l'auteur de la nouvelle vie de ce prince, qui est un homme sensé et judicieux, ne l'aurait pas omise, s'il en eût été informé. Elle marque en effet un fonds de bonté, d'équité, d'humanité, et même de religion, qui ne se trouve pas toujours dans les grands seigneurs, insensibles quelquefois aux plaintes du pauvre et de l'artisan, dont le paiement néanmoins, selon l'Écriture, différé seulement de quelques jours, crie vengeance au ciel, et ne manque pas de l'obtenir.

Pour ce qui regarde le style de Plutarque, sa diction n'est pas pure, ni élégante; mais en récompense elle a une force et une énergie merveilleusement propre à peindre en peu de mots de vives images, à lancer des traits perçants, et à exprimer des pensées nobles et sublimes. Il emploie assez fréquemment des comparaisons qui jettent beaucoup de grace et de lumière dans ses réflexions et dans ses récits. Il a des harangues d'une beauté inimitable, presque toujours dans le style fort et véhément.

Il faut que les beautés de cet auteur soient bien solides et bien frappées au coin du bon goût, pour se faire encore sentir, comme elles font, dans le vieux gaulois d'Amyot. Mais j'ai tort. Ce vieux gaulois a un air de fraîcheur qui le fait rajeunir, ce semble, de jour en jour. Aussi de très-habiles gens aiment mieux employer la traduction d'Amyot que de traduire euxmêmes les passages de Plutarque qu'ils citent, ne

Dans la

Mithridate.

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Préface de croyant pas (c'est M. Racine qui parle ainsi) pouvoir en égaler les graces. Je ne le lis jamais sans regretter la perte d'une infinité de bons mots de ce vieux langage, presque aussi énergiques que ceux de Plutarque. Nous laissons notre langue s'appauvrir tous les jours, au lieu de songer, à l'exemple des Anglais nos voisins, à découvrir des moyens de l'enrichir. On dit que nos dames, par trop de délicatesse, sont cause en partie de cette disette où notre langue court risque d'être réduite. Elles auraient grand tort, et devraient bien plutôt favoriser par leurs suffrages, qui en entraînent beaucoup d'autres, la sage hardiesse d'écrivains d'un certain rang et d'un certain mérite: comme ceux-ci, de leur côté, devraient aussi devenir plus hardis, et hasarder plus de nouveaux mots qu'ils ne font, mais toujours avec une retenue et une discrétion judicieuse,

On a pourtant obligation à M. Dacier d'avoir substitué une nouvelle traduction des Vies de Plutarque à celle d'Amyot, et d'avoir mis par là beaucoup plus de personnes en état de les lire. Elle pouvait être plus élégante et plus travaillée; mais un ouvrage d'une si vaste étendue, pour être conduit à la dernière perfection, demanderait la vie entière d'un homme.

ARRIEN.

Arrien était de Nicomédie. Sa science et son éloquence, qui lui firent donner le titre de nouveau Xénophon, l'élevèrent dans Rome à toutes les dignités, jusqu'au consulat même. On peut croire que c'est le même qui gouverna la Cappadoce dans les dernières années d'Adrien, et qui repoussa les Alains. Il vécut à Rome sous Adrien, Antonin et Marc-Aurèle.

Il était disciple d'Épictète, le plus célèbre philosophe de ce temps-là. Il avait fait en huit livres un ouvrage sur les Entretiens d'Épictète : nous n'en avons que les quatre premiers. Il avait composé encore beaucoup d'autres ouvrages.

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On a les sept livres qu'il a écrits sur les expéditions d'Alexandre histoire d'autant plus estimable, qu'elle part de la main d'un écrivain qui était en même temps homme de guerre et bon politique. Aussi Photius lui donne-t-il la gloire d'avoir écrit mieux que personne la vie de ce conquérant. Ce critique nous a donné un abrégé de celles des successeurs d'Alexandre, qu'Arrien avait aussi écrites en dix autres livres. Il ajoute que le même auteur avait fait un livre sur les Indes1 : et on l'a encore, mais on en fait un huitième livre de l'histoire d'Alexandre.

Il a fait aussi la description des côtes du PontEuxin. On lui en attribue une autre de celles de la mer Rouge, c'est-à-dire des côtes orientales de l'Afrique, et de celles de l'Asie jusqu'aux Indes. Mais il semble qu'elle soit d'un auteur plus ancien, contemporain de Pline le naturaliste.

ÉLIEN (CLAUDIUS ELIANUS ).

Élien était de Préneste, mais avait passé la plus grande partie de sa vie à Rome; c'est pourquoi il se dit lui-même Romain. Il a fait un petit ouvrage en quatorze livres, qui a pour titre Historia variæ, c'està-dire Mélange d'histoire; et un autre en dix-sept livres sur l'histoire des animaux. Nous avons un écrit en grec

Écrit dans le dialecte ionique qui alors n'était plus en usage. L.

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