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des chiens furieux le déchirent à l'âge de soixante et quinze ans. Il composa cent vingt-deux tragédies, dont dix-neuf nous restent. A cette prodigieuse fécondité de ces trois Poëtes, qu'on joigne les pieces de près de deux cents auteurs tra giques, comptés par Fabricius et cités par les anciens: on pourra juger du goût et du talent des Grecs pour ce genre de poésie.

En général la Tragédie des Grecs est simple, naturelle, aisée à suivre, peu compliquée. L'action se prépare, se noue, se développe sans efforts; il semble que l'art n'y ait que la moindre part; et parlà même, c'est quelquefois le chef-d'oeuvre de l'art et du génie.

On pourra en juger par l'analyse de l'Edipe de Sophocle, que nous allons mettre ici sous les yeux du lecteur, après que nous aurons considéré le fond que l'histoire fournissoit à ce Poëte.

CHAPITRE VI.

Analyse de l'Edipe de Sophocle..

THEBES étant désolée par la peste, on jugea à propos de consulter l'oracle de Delphes, lequel répondit, qu'il

falloit venger la mort de Laïus, sur Edipe coupable de parricide et d'inceste. L'oracle fut vérifié : il se trouva qu'en effet Edipe, ayant été exposé par ordre de ses parens, et conservé par des bergers, avoit été élevé à Corinthe, et qu'il avoit tué son pere, et épousé Jocaste sa mere. Jocaste se pendit de désespoir et Edipe se creva les yeux. Voilà le fond sur lequel Sophocle a dressé sa fable.

1. Acte. La scene s'ouvre dans une place publique, devant le palais du Roi, à côté des temples. Le peuple gémissant de toutes parts, demande au Roi de soulager ses maux. Le Roi répond qu'il a envoyé Créon consulter les dieux, qu'on l'attend à chaque moment. Créon arrive avec un air de satisfaction, et dit que l'oracle ordonne qu'on punisse les meurtriers de Laïus. Le Roi fait la résolution de ne rien omettre pour tâcher, de découvrir ces meurtriers: voilà la matiere, du premier acte.

On On y voit une exposition claire du sujet 1. les malheurs de Thebes sont exposés par celui qui parle au nom du peuple: 2. la cause de ces malheurs est exposée par Créon, qui rapporte l'oracle: 3. le remede est ordonné, et se prépare dans la diligence et la résolution du Roi. Rien n'est si naturel que ce procédé et cette ordonnance.

2. Acte. Edipe reparoît. Il prononce d'avance l'arrêt contre le meurtrier de Laïus; et exhorte le peuple à l'aider à trouver le coupable. Cependant arrivé Tirésie interprete des dieux, qu'Edipe avoit fait avertir. Edipe l'interroge : il ne veut point répondre. Edipe s'emporte, menace: "Tu* ne parleras pas, ô le "plus traître de tous les traîtres! Car » tu donnerois de la colere aux rochers » même. Tu seras donc toujours inflexi»ble, inexorable?» Après des invectives réitérées le devin piqué lui dit : « C'est donc ainsi que vous agissez? Hé "bien, je vous rappelle à l'édit que vous » avez publié. Tenez-vous- en à cet édit. » Cessez dès aujourd'hui de parler ni à

moi ni à ce peuple. Car c'est vous dont le souffle impur infecte l'air que nous respirons, etc....

Tirésie lui découvre, en gros, tout ce qui le regarde. Edipe prétend que c'est une méchanceté de Créon son beau-frere, qui veut le faire périr, pour régner à sa place; parce qu'il ne voit nulle apparence que les reproches et les menaces de Tiresie puissent lui convenir. C'est tout le second acte.

L'action marche comme on le voit.

Cette traduction est de M. Boivin,

On dit à Edipe qu'il est le coupable; mais il a trois raisons pour ne point le croire. 1.° Sa conscience; il ne se reconnoît nullement dans cette accusation. 2.° Tirésie étoit en colere: or la colere fait souvent tort à la vérité. 3.o Créon étoit jaloux de voir un étranger sur le trône, et c'étoit lui qui avoit conseillé à Edipe de faire venir Tirésie : ce qui devoit rendre Tirésie fort suspect. Aussi le choeur qui fait toujours le rôle de la prudence et de la vertu, conclut-il qu'il ne faut point croire le devin. Cependant cette premiere tentative du Roi a de quoi le troubler. Il accuse Créon: il est accusé lui-même par Tirésie : c'est une discussion fâcheuse, dont les suites peuvent être terrible. Dans le premier acte Edipe paroît bon Roi; ici il paroît dur, violent, soupçonneux.

3. Acte. Créon se plaint au peuple, et demande s'il est vrai que le Roi l'ait accusé. On ne le lui déguise point. Edipe survient.: Créon se justifie: mais le Roi s'emporte de plus en plus. Enfin la Reine vient appaiser leur démêlé. Créon se retire à-peu-près satisfait: mais Jocaste pour calmer de plus en plus dipe, quis'étoit plaint à elle de ce qu'on l'accusoit d'avoir tué Laïus, lui dit qu'il ne faut croire ni Tirésie, ni Apollon lui-même,

?

que celui-ci avoit prédit que Laïus seroit tué par son fils; que ce fils étoit mort aussitôt après sa naissance; et que Laïus avoit été tué par des voleurs dans un endroit où il y avoit, dit-on, trois grands chemins.

Ce mot, dit sans dessein, donne des inquiétudes à Edipe. Il fait de nouvelles questions. Il demande en frissonnant les cisconstances: elles lui prouvent assez que c'est lui-même qui est l'auteur du meurtre commis en cet endroit. Il y en a une cependant qui peut le rassurer: c'est que Laïus a, dit-on, été tué par plusieurs; or Edipe étoit seul quand il commit ce crime. On lui dit que c'est un officier de la maison qui a rapporté les détails; que cette officier vit retiré à la campagne. Edipe donne ordre qu'on le lui amene, pour savoir de lui cette circonstance si importante.

Cependant il raconte à Jocaste qu'étant chez Polybe Roi de Corinthe, on lui avoit un jour reproché de n'être pas son fils; que n'ayant pu en être éclairci par le Roi, il étoit allé à Delphes consulter l'oracle; que l'oracle, au lieu de, répondre à sa demande, lui avoit dit qu'il tueroit son pere et épouseroit sa mere; que pour prévenir ce malheur, il avoit résolu de ne plus retourner à Corinthe

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