Page images
PDF
EPUB

qu'elle s'est passée réellement, ou seu Lement telle qu'on dit ou qu'on croit qu'elle s'est passée. Horace n'a point dit, suivez la vérité, mais suivez la renonmée, famam sequere. La vérité de supposition est aussi bien reçue dans la Poésie, que la vérité réelle et de fait.

Mais comme il se rencontre rarement des faits vrais et réels assez bien disposés pour servir de fond à un Poëme de quelque étendue, on est réduit à feindre, soit pour ajouter au sujet ce qui lui manque, soit pour lui retrancher ce qu'il a de trop, soit enfin pour en combiner autrement les parties.

Quand on feint, il faut, dit Aristote présenter les choses feintes telles qu'elles ont, pu, ou qu'elles ont dû se passer. C'est ici que commence la discussion du vraisemblable et elle demande toute l'attention du lecteur.

Ce qui a pu être, est le possible, eu égard aux circonstances des tems, des lieux et des personnes.

Ce qui a dû être, est ce qui a existé vraisemblablement, eu égard aussi.aux mêmes circonstances..

Le possible demande que rien ne ré pugne, ne s'oppose absolument, à ce que la chose ait été faite, et faite de telle ou de telle maniere, Ainsi il est

absolument possible qu'un monstre soit sorti de la mer, à la priere de Thésée. Dès que les dieux étoient d'accord avec ce héros, il a pu, absolument parlant, obtenir d'eux ce prodige..

Le vraisemblable veut qu'il y ait eu quelque raison pour que la chose ait été faite plutôt que non faite ; et de telle maniere, plutôt que de telle autre. Ainsi il est vraisemblable que les chevaux. d'Hippolyte se sont effrayés d'un monstre qui venoit à eux en mugissant et en vomissant des flammes; et qu'Hippolyte tombé et embarrassé dans les rênes, ait: été traîné sur les rochers..

Aristote, après avoir dit qu'il faut traiter les choses comme elles ont pu ou dû se passer, ajoute, selon le vraisemblable ou le nécessaire.

Ces deux mots tombent également sur ce qui a pu et sur ce qui a dû se passer ; parce que de même qu'il y a la vraisem blance du possible, et la nécessité du possible, il y a aussi la vraisem-blance du fait, et la nécessité du moins conditionnelle de ce même fait.

Tous les hommes n'ont pas une idée bien claire de ce qui est possible en fait: d'action humaine, ou de ce qui ne l'est pas. Il suffit, pour le possible poétique, que les hommes en général, aient une

idée confuse de cette possibilité, quoique peut-être, à regarder les choses de près, il y ait impossibilité réelle. Ainsi il y a des cas où une possibilité vraisemblable, probable, apparente seulement, peut suffire. C'est par-là qu'on excuse la multiplicité des incidens dans le Cid. Il se bat en duel deux fois : il va combattre les ennemis de l'Etat : il revient : il est jugé il se bat encore, et trouve le moyen d'appaiser sa maîtresse, dont il a tué le pere: le tout en vingt-quatre heures. Tout cela est possible, à le considérer en gros; mais à voir les choses de près, il falloit des années entieres pour exécuter tant de choses. Ce n'est donc qu'un possible probable, apparent, tout au plus..

:.

L'autre espece de possible, qu'on peut appeler nécessaire, certain et évident, se trouve dans tout ce qui est composé de parties faites pour être liées. Que Dom Diegue ait reçu un soufflet; et qu'en conséquence son fils le venge; il est évident, par le sapport des idées, que cela a pu être. Il y a donc le possible vraisemblable, et le possible nécessaire.

Venons à la seconde branche qui regarde ce qui a dû se faire,

De même qu'on peut faire ces deux

propositions sur ce qui a pu se faire :, Il est vraisemblable que telle chose a pu se faire.

Il est nécessaire que telle chose ait pu. se faire: on peut aussi en faire deux sur ce qui a dû être fait.

Il est vraisemblable que telle chose a dû être faite, et faite ainsi.

Il est nécessaire que telle chose ait été. faite, et faite ainsi.

Par conséquent 'il y a pour le vrai poétique quatre degrés : deux qui regardent la possibilité, et deux autres qui regardent l'existence.

La possibilité apparente d'une chose suffit quelquefois. La réelle, et connue comme telle, fait un nouveau degré de vrai. Pour y en ajouter un troisieme, qu'il paroisse raisonnable de croire que cette chose ait existé; enfin pour mettre le comble à la vraisemblance, qu'il soit nécessaire que cette chose ait existé : voilà tout le principe d'Aristote : Que les choses feintes dans la Poésie dramatique doivent être traitées comme elles ont pu ou dû se passer, selon le vrai

semblable ou le nécessaire.

Appliquons ceci à des exemples. Qu'une mere tue son fils de sang froid: cela est vraisemblablement possible : Léontine l'a fait: premier degré. Que

deux enfans en nourrice soient changes Fun pour l'autre, cela est évidemment possible; Léontine l'a fait encore: se cond degré. Que ce changement ait été tenu secret tant qu'il a été dangereux de le révéler; cela est arrivé vraisemblablement troisieme degré. Enfin, qu'étant révélé, il ait jeté le trouble dans Phocas, cela est arrivé nécessairement ; c'est le quatrieme degré.

:

Ce dernier degré contient les trois autres: le troisieme contient les deux qui le précedent; le second contient le premier, et le premier n'en contient point. d'autre ; c'est le moindre de tous les de-grés du vraisemblable, et par conséquent celui qui fait le moins d'effet dans le dramatique. Il suffit dans l'Epopée ; mais il est toujours mieux de ne point s'en contenter dans les Drames. Il faut tâcher d'avoir le quatrieme en quelques endroits, et le troisieme par-tout (a).

Outre cette premiere division du vrai semblable possible et du vraisemblable. réel', il y en a une autre, où on distingue

(a) Corneille dans son . Disc. sur la Tragédie entend par le nécessaire, le besoin du Poëte plutôt que: le degré de vérité ajouté au vraisemblable. Si cela étoit ainsi, ce ne seroit point une loi qui aide à la perfection de l'art, mais une porte ouverte à las licence et à la foiblesse des jeunes. Poëtes.

« PreviousContinue »