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La fortune y domine et tout
Ce globe infortuné fut formé

y

suit son char.

César.

pour

Hâtons-nous de sortir d'une prison funeste.
Je te verrai sans ombre, ô vérité céleste :

Tu te caches de nous dans nos jours de sommeil ;
Cette vie est un songe, et la mort un réveil.

Voltaire.

CXII.

La Ferme.

vergers,

La ferme à ce nom seul les moissons, les
Le règne pastoral, les doux soins des bergers,
Ces biens de l'âge d'or, dont l' image chérie
Plut tant à mon enfance, âge d'or de la vie,
Réveilent dans mon cœur mille regrets touchants.
Venez; de vos oiseaux j'entends déjà les chants;
J'entends rouler les chars qui traînent l' abondance,
F: le bruit des fléaux qui tombent en cadence.

Ornez donc ce séjour; mais, absurde à grands frais,
N'allez pas ériger une ferme en palais.

Elégante à la fois, et simple dans son style,

La ferme est aux jardins ce qu'aux vers est l'idylle.
Ah! par les dieux des champs, que le luxe effronté
De ce modeste lieu soit toujours rejeté.

N'allez pas déguiser vos pressoirs et vos granges;
Je veux voir l'appareil des moissons, des vendanges.
Que le crible, le van où le froment doré

Bondit avec la paille et retombe épuré,
La nerse, les traîneaux, tout l' attirail champêtre,
Sans honte à mes regards osent ici paraître.
Surtout des animaux que le tableau mouvant
Au dedans, au dehors, lui donne un air vivant.

Ce n'est plus du château la parure stérile,

La grâce inanimée et la pompe immobile :

Tout vit, tout est peuplé dans ces murs, sous ces toits.
Que d'oiseaux différents et d'instinct et de voix,
Habitant sous l' ardoise, ou la tuile, ou le chaume,
Famille, nation, république, royaume,

M'occupent de leurs mœurs, m'amusent de leurs jeux!
A leur tête est le coq; père, amant, chef heureux,
Qui, roi sans tyrannie, et sultan sans mollesse,
A son sérail ailé prodiguant sa tendresse,
Aux droits de la valeur joint ceux de la beauté,
Commande avec douceur, caresse avec fierté;
Et, fait pour les plaisirs, et l'empire, et la gloire,
Aime, combat, triomphe, et chante sa victoire.

repas.

Vous aimerez à voir leurs jeux et leurs combats,
Leurs haines, leurs amours, et jusqu'à leurs
La corbeille à la main, la sage ménagère
A peine a reparu; la nation légère,

Du sommet de ses tours, du penchant de ses toits,
En tourbillons bruyants descend tout à la fois:
La foule avide en cercle autour d'elle se presse;
D'autres toujours chassés, et revenant sans cesse,
Assiégent la corbeille, et jusque dans la main,
Parasites hardis, viennent ravir le grain.

Soignez donc, protégez ce peuple domestique.
Que leur logis soit sain, et non pas magnifique.
Que leur font des réduits richement décorés,
Le marbre des bassins, les grillages dorés ?
Un seul grain de millet leur plairait davantage;
La Fontaine l'a dit: ô véritable sage!

La Fontaine c'est toi qu'il faudrait en ces lieux:
Chantre heureux de l'instinct, il t' inspirerait mieux.
Le paon, fier d'étaler l' iris qui le décore,
Didindon rengorgé l'orgueil plus sot encore,

Pourraient à nos dépens égayer ton pinceau;
Là de tes deux pigeons tu verrais le tableau,
Et deux coqs amoureux, à la discorde en proie,
Te feraient dire encore: Amour, tu perdis Troie !"

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Delille.

CXIII.

Mort de Coligny.

Le signal est donné sans tumulte et sans bruit:
C'était à la faveur des ombres de la nuit.
De ce mois malheureux l'inégale courière
Semblait cacher d' effroi sa tremblante lumière.
Coligny languissait dans les bras du repos,
Et le sommeil trompeur lui versait ses pavots.
Soudain de mille cris le bruit épouvantable
Vient arracher ses sens à ce calme agréable:
Il se lève, il regarde, il voit de tous côtés
Courir des assassins à pas précipités :
Il voit briller par-tout les flambeaux et les armes
Son palais embrasé, tout un peuple en alarmes,
Ses serviteurs sanglans dans la flamme étouffés
Les meurtriers en foule au carnage échauffés,
Criant à haute voix: "Qu'on n'épargne personne ;
C'est Dieu, c'est Médicis, c'est le roi qui l'ordonne !'
Il entend retentir le nom de Coligny.

Il aperçoit de loin le jeune Téligny,
Téligny, dont l'amour a mérité sa fille,
L'espoir de son parti, l' honneur de sa famille,
Qui, san lant, déchiré, traîné par des soldats,
Lui demandait vengeance, et lui tendait les bras.
Le héros malheureux, sans armes, sans défense,
Voyant qu'il fut périr, et périr sans vengeance,

Voulut mourir du moins, comme il avait vécu,
Avec toute sa gloire et toute sa vertu.
Déjà des assassins la nombreuse cohorte

Du salon qui l'enferme allait briser la porte;
Il leur ouvre lui-même, et se montre à leurs yeux
Avec cet œil serein, ce front majestueux,

Tel que, dans les combats, maître de son courage,
Tranquille, il arrêtait ou pressait le carnage.

A cet air vénérable, à cet auguste aspect,
Les meurtriers surpris sont saisis de respect;
Une force inconnue a suspendu leur rage.

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Compagnons, leur dit-il, achevez votre ouvrage,
Et de mon sang glacé souillez ces cheveux blancs
Que le sort des combats respecta quarante ans ;
Frappez, ne craignez rien: Coligny vous pardonne;
Ma vie est peu de chose, et je vous l'abandonne...
J'eusse aimé mieux la perdre en combattant pour vous...'
Ces tigres, à ces mots, tombent à ses genoux:
L'un, saisi d'épouvante, abandonne ses armes;
L'autre embrasse ses pieds, qu'il trempe de ses larmes;
Et de ses assassins ce grand homme entouré
Semblait un roi puissant par son peuple adoré.

Besme, qui dans la cour attendait sa victime,
Monte, accourt, indigné qu' on diffère son crime
Des assassins trop lents il veut hâter les coups;
Aux pieds de ce héros il les voit trembler tous.
A cet objet touchant lui seul est inflexible;
Lui seul, à la pitié toujours inaccessible,
Aurait cru faire un crime et trahir Médicis,
Si du moindre remords il se sentait surpris.
A travers les soldats il court d'un pas rapide:
Coligny l'attendait d'un visage intrépide:
Et bientôt dans le flanc ce monstre furieux
Lui plonge son épée, en détournant les yeux,

De peur que d'un coup-d'œil cet auguste visage
Ne fît trembler son bras, et glaçât son courage.

Du plus grand des Français tel fut le triste sor
On l'insulte, on l'outrage encore après sa mort.
Son corps, percé de coups, privé de sépulture,
Des oiseaux dévorans fut l'indigne pâture;
Et l'on porta sa tête aux pieds de Médicis,
Conquête digne d'elle, et digne de son fils.
Médicis la reçut avec indifférence,
Sans paraître jouir du fruit de sa vengeance,
Sans remords, sans plaisir, maîtresse de ses sens,
Et comme accoutumée à de pareils présens.

CXIV.

Famine de Paris.

Voltair

Mais lorsqu' enfin les eaux de la Seine captive
Cessèrent d'apporter dans ce vaste séjour
L'ordinaire tribut des moissons d'alentour;
Quand on vit dans Paris la Faim pâle et cruelle,
Montrant déjà la Mort qui marchait après elle,
Alors on entendit des hurlements affreux;
Ce superbe Paris fut plein de malheureux
De qui la main tremblante, et la voix affaiblie,
Demandaient vainement le soutien de leur vie.
Bientôt le riche même, après de vains efforts,
Eprouva la famine au milieu des trésors.
Ce n'était plus ces jeux, ces festins et ces fêtes,
Où de myrte et de rose ils couronnaient leurs têtes;
Où, parmi des plaisirs toujours trop peu goûtés,
Les vins les plus parfaits, les mets les plus vantés,
Sous des lambris dorés qu' habite la Mollesse,
De leurs goûts dédaigneux irritaient la ṛresse.

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