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Les mortels les plus glacés,
Et, vous offrant mon hommage
Leur montrer l' unique usage

Des jours que vous leur laissez.

CIV.

J. B. Rousseau.

Epitre à la Marquise Du Châtelet, sur la philosophie de Newton.

Tu m'appelles à toi, vaste et puissant génie,
Minerve de la France, immortelle Emilie ;
Je m'éveille à ta voix, je marche à ta clarté,
Sur les pas des Vertus et de la Vérité.
Je quitte Melpomène et les jeux du théâtre,
Ces combats, ces lauriers, dont je fus idolâtre ;
De ces triomphes vains mon cœur n'est plus touché.
Que le jaloux Rufus, à la terre attaché,

Traîne au bord du tombeau la fureur insensée
D'enfermer dans un vers une fausse pensée ;
Qu'il arme contre moi ses languissantes mains
Des traits qu'il destinait au reste des humains;
Que quatre fois par mois un ignorant Zoïle

Elève en frémissant une voix imbécile :

Je n'entends point leurs cris, que la haine a formés ;
Je ne vois point leurs pas, dans la fange imprimés.
Le charme tout puissant de la philosophie

Elève un esprit sage au-dessus de l'envie.

Tranquille au haut des cieux que Newton s'est soumis,
I. ignore en effet s' il a des ennemis :

Je ne les connais plus. Déjà de la carrière
L'auguste Vérité vient m'ouvrir la barrière;
Déjà ces tourbillons, l' un par l'autre pressés,
Se mouvant sans espace, et sans règle entassés,

Ces fantômes savants à mes yeux disparaissent.

Un jour plus pur me luit; les mouvements renaissent.
L'espace, qui de Dieu contient l'immensité,

Voit rouler dans son sein l'univers limité,
Cet univers si vaste à notre faible vue,

Et qui n'est qu' un atome, un point dans l'étendue.

Dieu parle, et le chaos se dissipe à sa voix:
Vers un centre commun tout gravite à la fois.
Ce ressort si puissant, l'âme de la nature,
Etait enseveli dans une nuit obscure:

Le compas de Newton, mesurant l'univers,
Lève enfin ce grand voile, et les cieux sont ouverts.

Il découvre à mes yeux, par une main savante,
De l'astre des saisons la robe étincelante :

L'émeraude, l'azur, le pourpre, le rubis,

Sont l'immortel tissu dont brillent ses habits.
Chacun de ses rayons, dans sa substance pure,
Porte en soi les couleurs dont se peint la nature;
Et, confondus ensemble, ils éclairent nos yeux,
Ils animent le monde, ils emplissent les cieux.

Confidents du Très-Haut, substances éternelles,
Qui brûlez de ses feux, qui couvrez de vos ailes
Le trône où votre maître est assis parmi vous,
Parlez, du grand Newton n' étiez-vous point jaloux

La mer entend sa voix. Je vois l'humide empire
S'élever, s'avancer vers le ciel qui l'attire ;
Mais un pouvoir central arrête ses efforts:

La mer tombe, s'affaisse et roule vers ses bords.

Comètes
que l'on craint à l'égal du tonnerre,
Cessez d'épouvanter les peuples de la terre :

Dans une ellipse immense achevez votre cours;
Remontez, descendez près de l'astre des jours;
Lancez vos feux, volez, et, revenant sans cesse,
Des mondes épuisés ranimez la vieillesse.
Et toi, sœur du soleil, astre qui, dans les cieux,
Des sages éblouis trompais les faibles yeux,
Newton de ta carrière a marqué les limites;
Marche, éclaire les nuits, tes bornes sont prescrites.
Terre, change de forme; et que la pesanteur
En abaissant le pôle élève l'équateur.

Pôle immobile aux yeux, si lent dans votre course,
Fuyez le char glacé des sept astres de l'ourse:
Embrassez dans le cours de vos longs mouvements,
Deux cents siècles entiers par delà six mille ans.
Que ces objets sont beaux! Que notre âme épurée
Vole à ces vérités dont elle est éclairée !
Oui, dans le sein de Dieu, loin de ce corps mortel,
L'esprit semble écouter la voix de l' Eternel.

Vous, à qui cette voix se fait si bien entendre,
Comment avez-vous pu dans un âge encor tendre,
Malgré les vains plaisirs, ces écueils des beaux jours,
Prendre un vol si hardi, suivre un si vaste cours?
Marcher après Newton dans cette route obscure
Du labyrinthe immense où se perd la nature?
Puissé-je auprès de vous, dans ce temple écarté,
Aux regards des Français montrer la vérité !
Tandis qu' Algarotti, sûr d' instruire et de plaire,
Vers le Tibre étonné conduit cette étrangère,
Que de nouvelles fleurs il orne ses attraits,
Le compas à la main j'en tracerai les traits,
De mes crayons grossiers je peindrai l'immortelle ;
Cherchant à l'embellir, je la rendrais moins belle:
Elle est, ainsi que vous, noble, simple et sans fard,
Au-dessus de l'éloge, au-dessus de mon art. -Voltaire.

CV.

Scène tirée de la Tragédie d'Alzire.

Zamore raconte à Montèze comment il a échappé à la mort, et lui fait part du projet qu'il a conçu de délivrer l'Amérique. Montèze lui annonce qu'il a renoncé à ses faux dieux.

ZAMORE.

Cher Montèze, est-ce toi que je tiens dans mes bras?
Revois ton cher Zamore échappé du trépas,

Qui du sein du tombeau renaît pour te défendre ;

Revois ton tendre ami, ton allié, ton gendre.
Alzire est-elle ici? parle, quel est son sort?
Achève de me rendre ou la vie ou la mort.

MONTEZE.

Cacique malheureux! sur le bruit de ta pere,
Aux plus tendres regrets notre âme était ouverte :
Nous te redemandions à nos cruels destins,

Autour d'un vain tombeau que t'ont dressé nos mains:
Tu vis; puisse le ciel te rendre un sort tranquille!
Puissent tous nos malheurs finir dans cet asile !
Zamore, ah! quel dessein t' a conduit en ces lieux ?

ZAMORE.

La soif de me venger, toi, ta fille, et mes dieux.

Que dis-tu ?

MONTEZE.

ZAMORE.

Souviens-toi du jour épouvantable

Où ce fier Espagnol, terrible, invulnérable,
Renversa, détruisit, jusqu' en leurs fondements,
Ces murs que du soleil ont bâtis les enfants ;*

* Les Péruviens, qui avaient leurs fables comme les peuples de l'ancien continent, croyaient que leur premier inca, qui bâtit Cusco était fils du soleil.

K

Gusman était son nom. Le destin qui m'opprime
Ne m'apprit rien de lui que son nom et son crime.
Ce nom, mon cher Monteze, à mon cœur si fatal,
Du pillage et du meurtre était l'affreux signal:
A ce nom, de mes bras on arracha ta fille;
Dans un vil esclavage on traîna ta famille ;
On démolit ce temple, et ces autels chéris

Où nos dieux m' attendaient pour me nommer ton fils;
On me traîna vers lui: dirai-je à quel supplice,
A quels maux me livra sa barbare avarice,
Pour m'arracher ces biens par lui déifiés,
Idoles de son peuple, et que je foule aux pieds?
Je fus laissé mourant au milieu des tortures.
Le temps ne peut jamais affaiblir les injures:
Je viens après trois ans d' assembler des amis,
Dans leur commune haine avec nous affermis;
Ils sont dans nos forêts, et leur foule héroïque
Vient périr sous ces murs, ou venger l'Amérique.

MONTEZE.

Je te plains; mais, hélas! où vas-tu t'emporter?
Ne cherche point la mort qui voulait t'éviter.
Que peuvent tes amis, et leurs armes fragiles,
Des habitants des eaux dépouilles inutiles,
Ces marbres impuissants en sabres façonnés,
Ces soldats presque nus et mal disciplinés,
Contre ces fiers géants, ces tyrans de la terre,
De fer étincelants, armés de leur tonnerre,

Qui s'élancent sur nous, aussi prompts que les vents,
Sur des monstres guerriers pour eux obéissants?
L'univers a cédé; cédons, mon cher Zamore.

ZAMORE.

Moi fléchir, moi ramper, lorsque je vis encore !
Ah! Montèze, crois-moi, ces foudres, ces éclairs,
Ce fer dont nos tyrans sont armés et couverts,

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