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parle avec douceur, les écoute avec attention, supporte leurs impatiences, et leur inspire cette confiance qui suffit quelquefois pour les rendre à la vie; qui, pénétré de leurs maux, en étudie avec opiniâtreté la cause et les progrès, n'est jamais troublé par des accidents imprévus, se fait un devoir d'appeler au besoin quelques-uns de ses confrères pour s'éclairer de leurs conseils; celui enfin qui, après avoir lutté de toutes ses forces contre la maladie, est_heureux_et modeste dans le succès, et peut du moins se féliciter dans les revers d'avoir suspendu des douleurs et donné des consolations."

Tel est le médecin-philosophe qu' Hippocrate comparait à un dieu, sans s'apercevoir qu'il le retraçait en luimême. Les médecins le regarderont toujours comme le premier et le plus habile de leurs législateurs; et sa doctrine, adoptée par toutes les nations, opérera encore des milliers de guérisons après des milliers d'années. Les plus vastes_empires ne pourront pas disputer_à la petite île de Cos la gloire d'avoir produit l'homme le plus utile à l'humanité; et, aux yeux des sages, les noms des grands conquérants s' abaisseront devant celui d' Hippocrate. Barthelemy.

LXXXIX.

Portrait de Platon.

Platon avait reçu de la nature un corps robuste. Ses longs voyages_altérèrent sa santé ; mais il l'avait rétablie par un régime austère; et il ne lui restait d'autre incommodité qu une habitude de mélancolie, habitude qui lui fut commune avec Socrate, Empédocle, et d'autres hommes_ illustres.

Il avait les traits réguliers, l' air sérieux, les yeux pleins de douceur, le front ouvert et dépouillé de cheveux, la

poitrine large, les épaules hautes, beaucoup de dignite dans le maintien, de gravité dans la démarche, et de modestie dans l'extérieur.

Il s'exprimait avec lenteur; mais les grâces et la per suasion semblaient couler de ses lèvres.

Sa mère était de la même famille que Solon, et son père rapportait son origine à Codrus, dernier roi d' Athènes. Dans sa jeunesse, la peinture, la musique, les différents_ exercices du gymnase remplirent tous ses moments. Il était né avec une imagination forte et brillante. Il fit des dithyrambes, s' exerça dans le genre épique, compara ses vers à ceux d' Homère, et les brûla.

Il crut que le théâtre pourrait le dédommager de ce sacrifice il composa quelques tragédies; et, pendant que les acteurs se préparaient à les représenter, il connut Socrate, supprima ses pièces, et se dévoua tout_entier à la philosophie.

Il sentit alors un violent besoin d'être utile aux_ hommes. La guerre du Péloponèse avait détruit les bons principes et corrompu les mœurs: la gloire de les rétablir excita son ambition. Tourmenté jour et nuit de cette grande idée, il attendait_avec impatience le moment où, revêtu de la magistrature, il serait_en_état de déployer son zèle et ses talents; mais les secousses qu'essuya la république dans les dernières années de la guerre, ces fréquentes révolutions qui en peu de temps présentèrent la tyrannie sous des formes toujours plus effrayantes, la mort de Socrate son maître et son_ami, les réflexions que tant d'événements produisirent dans son esprit, le convainquirent bientôt que tous les gouvernements sont attaqués de maladies_incurables, que les affaires des mortels sont, pour ainsi dire, désespérées, et qu'ils ne seront heureux que lorsque la philosophie se chargera du soin de les conduire. Ainsi, renonçant à son projet,

résolut d'augn enter ses connaissances, et de les con

sacrer à notre instruction. Dans cette vue il se rendit. à Mégare, en Italie, â Cyrène, en_Egypte, partout_»ù l'esprit_humain avait fait des progrès.

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Il avait environ quarante ans quand il fit le voyage de Sicile pour voir l'Etna. Denys, tyran de Syracuse, désira de l'entretenir. La conversation roula sur le bonheur, sur la justice, sur la véritable grandeur. Platon ayant soutenu que rien n'est si lâche ni si malheureux qu'un prince injuste, Denys en colère lui dit: "Vous parlez comme un radoteur." Et vous, comme un tyran," répondit Platon. Cette réponse pensa lui coûter la vie. Denys ne lui permit de s'embarquer sur une galère qui retournait en Grèce, qu' après avoir exigé du commandant qu'il le jetterait à la mer, ou qu'il s'en déferait comme d' un vil esclave. Il fut vendu, racheté, et ramené dans sa patrie. Quelque temps_après, le roi de Syracuse, incapable de remords, mais jaloux de l'estime des Grecs, lui écrivit ; et l'ayant prié de l'épargner dans ses discours, il n'en reçut que cette réponse méprisante: "Je n'ai pas assez de loisir pour me souvenir de Denys."

A son retour, Platon se fit un genre de vie dont_il ne s'est plus écarté. Il a continué de s'abstenir des affaires publiques, parce que, suivant lui, nous ne pouvons plus être conduits_au bien ni par la persuasion, ni par la force; mais il a recueilli les lumières éparses dans les contrées qu'il avait parcourues; et, conciliant autant qu'il est possible, les opinions des philosophes qui l'avaient précédé, il en composa un système qu'il développa dans ses écrits et dans ses conférences. Ses _ouvrages sont en forme de dialogues. Socrate en est le principal interlocuteur; et l'on prétend qu'à la faveur de ce nom, il accrédite les idées qu'il a conçues. ou adoptées.

Son mérite lui a fait des ennemis: il s'en_est、 attiré lui-même en versant dans ses écrits_une ironie

piquante contre plusieurs auteurs célebres. Il est vra qu'il la met sur le compte de Socrate; mais l'adresse avec laquelle il la manie, et différents traits qu'on pourrait citer de lui, prouvent qu'il avait, du moins dans sa jeunesse, assez de penchant à la satire. Cependant ses ennemis ne troubient point le repos qu'entretiennent dans son cœur ses succès ou ses vertus. Il a des vertus en effet; les unes qu'il a reçues de la nature, d'autres qu'il a eu la force d'acquérir. Il était né violent; il est à présent le plus doux et le plus patient des hommes. L'amour de la gloire ou de la célébrité me paraît être sa première, ou plutôt son unique passion; je pense qu'il éprouve cette jalousie dont il est si souvent l'objet. Difficile et

servé pour ceux qui courent la même carrière que lui, ouvert et facile pour ceux qu'il y conduit lui-même, il a toujours vécu avec les autres disciples de Socrate dans la contrainte ou l'inimitié; avec ses propres disciples, dans la confiance et la familiarité, sans cesse attentif à leurs progrès ainsi qu'à leurs besoins, dirigeant sans faiblesse et sans rigidité leurs penchants vers des objets_honnêtes, et les corrigeant par ses exemples plutôt que par ses leçons. De leur côté, ses disciples poussent le respect jusqu'à l'hommage, et l' admiration jusqu'au fanatisme: vous en verrez même qui affectent de tenir les épaules hautes et arrondies pour avoir quelque ressemblance avec lui. C'est ainsi qu'en_Ethiopie, lorsque le souverain a quelque défaut de conformation, les courtisans prennen. le parti de s' estropier pour lui ressembler.

Barthélemy

XC.

Le Monde d' Insectes sur une Plante.

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Un jour d'été, pendant que je travaillais_à mettre en ordre quelques observations sur les harmonies de ce globe, j'aperçus, sur un fraisier qu'on avait placé par hasard sur ma fenêtre, de petites mouches si jolies, que l'envie me prit de les décrire. Le lendemain j'en vis d'une autre sorte, que je décrivis_aussi. J'en_observai, pendant trois semaines, trente-sept espèces toutes différentes; mais il y en vint à la fin un si grand nombre, et d'une si grande variété, que j' abandonnai cette étude, quoique très-amusante, parce que je manquais de oisir, ou, pour dire la vérité, d' expressions.

Les mouches que j'avais observées étaient toutes distinguées les unes des autres par leurs couleurs, leurs formes et leurs allures. Il y en avait de dorées, d'argentées, de bronzées, de tigrées, de rayées, de bleues, de vertes, de rembrunies, de chatoyantes. Les unes

avaient la tête arrondie comme un turban; d'autres, alongée en pointe. A quelques-unes elle paraissait_ obscure comme un point de velours noir; elle étincelait _a d'autres comme un rubis. Il n'y avait pas moins de variété dans leurs ailes. Quelques-unes les avaient longues et brillantes comme des lames de nacre; d'autres, courtes et larges, qui ressemblaient à des réseaux de la plus fine gaze. Chacune avait sa maniere de les porter et de s'en servir. Les unes les portaient perpendiculairement, les autres, horizontalement, et semblaient prendre plaisir à les étendre. Celles-ci volaient_en tourbillonnunta la maniere des papillons; celles-là s'élevaient_ a l'air, en se dirigeant contre le vent, par un mécanisme

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