LA BIGOLANTE" Par M. Edouard GRENIER PIÈCE DE VERS LUE EN SÉANCE PUBLIQUE DE LA SOCIÉTÉ D'EMULATION DU DOUBS, LE 17 DÉCEMBRE 1885. A mon frère (2). I Ami, tu verras à Venise, Deux puits revêtus de métal. Sur trois marches de pierre, humides, Syrène, monstre, dieu marin, Plaques de bronze niellées, Arabesques à l'infini, Qu'on pourrait croire ciselées C'est là que, sveltes, court-vêtues, Puis elles repartent vermeilles Sans un regard pour les merveilles (1) Nom que l'on donne à Venise aux porteuses d'eau. (2) Jules GRENIER, le peintre distingué dont la ville de Besançon possède l'héritage artistique. Et pourtant, ô cour sans rivale! Pignons dentelés, noir vitrail, Vieux transept de la basilique, Prison au toit de plomb, tombeau, Dôme, horloge, arcade gothique : Quel lieu sur la terre est plus beau ? II Au balcon de la haute loge, Enfin il voit sa bien-aimée, Pieds nus, chantant un gai refrain, Un instant la vie et sa flamme Puis tout s'éteint: il perd son âme Dès que la jeune fille part. Car c'est la jeune Bigolante Qui prit son cœur sans le vouloir, Et la plébéienne insolente Ne semble pas même le voir! III Sur un lit à colonnes torses A quinze ans ! à l'âge où la vie La dogaresse consternée << Oh! parle ! Tu peux tout me dire >> Voir encore la cour du Palais. >> On le couvre de blanche laine, >> Remplir ses seaux au puits d'airain. » Elle vient enfin, belle et fière, Sans voir les hôtes du Palais. - « C'est assez, mon fils, c'est trop même; « Quittons l'air froid de cette cour...>> - « Ah! ne vois-tu pas que je l'aime, « Et que je meurs de cet amour?... » Il s'évanouit. La surprise Arrête la mère un instant : « Qu'on m'amène l'enfant qui puise! >> Dit la dogaresse en sortant. IV Dans la salle d'or constellée, La jeune fille est installée Le malade enfin se soulève; Et referme ses yeux surpris. Puis il les rouvre, et, sans rien dire, O joie! Il sent une main brune, Il la prend, l'étreint et la pose - Mon fils, qu'as-tu? » lui dit sa mère, » Calme-toi, n'es-tu pas heureux ? » As-tu quelque autre peine amère? >> Dis-nous encore ce que tu veux! » — « Je ne veux rien, plus rien au monde, » Ni même dans l'éternité, >> Rien que cette ivresse profonde » Que je savoure à son côté. » Nous nous marierons! Quelle fête ! » Et nous nous aimerons toujours! >> La jeune fille stupéfaite Se lève et répond sans détours, En retirant sa main pressée Des mains du pâle enfant princier : V A Saint-Marc, l'église ducale, Souvent, auprès du mausolée, La Bigolante est toujours belle, C'est que de la dalle glacée Toute autre image est effacée : Elle l'aime, et la pauvre femme, |