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Le dégagement et la conservation de nos vestiges étaient assurés; mais il fallait encore pourvoir à l'encadrement de ces reliques du passé, et une nouvelle allocation était pour cela désirable. Une fois de plus, le bon vouloir de nos concitoyens vint au devant des nécessités de l'entreprise. Un membre du Conseil général du Doubs qui compte parmi les historiens de notre province, M. le marquis de Loray, jugea que l'assemblée départementale ferait acte de bon goût en contribuant à la mise en lumière d'un témoignage de l'antique noblesse du chef-lieu qui abrite ses réunions. Ce sentiment ayant été partagé bien vite par M. le marquis de Moustier, le Conseil général en accueillit favorablement l'expression, et l'honorable assemblée voulut bien ajouter à nos ressources une allocation de 500 francs.

L'emploi de ces divers subsides a été fait sous la savante direction de M. Ducat et avec la collaboration précieuse de M. Vaissier, que je me plais à appeler la Providence de notre Musée d'antiquités. Le public ne tardera pas d'ailleurs à pouvoir apprécier sur place les résultats obtenus; car, dès que nous aurons organisé la clôture de notre rudiment de square archéologique, l'accès de ce terrain sera rendu facile par une ruelle indépendante de la caserne.

Je viens de laisser à entendre que les vestiges actuellement découverts ne sont que l'amorce d'un nouveau square archéologique qui engloberait les ruines des Arènes de Vesontio, à la façon dont son aîné du canton sud circonscrit les restes du Théâtre antique de la même ville. En effet, notre

exigences militaires, pour le dégagement et la mise en évidence des vestiges historiques qui sont l'objet de la présente délibération. »

(1) Séance du 24 août 1885, à laquelle étaient présents: MM. OUDet, président, FLAGEY, comte DE MÉRODE, marquis DE LORAY, CHENEVIER, KOCHLIN, DÉBIEF, Eugène PEUGEOT, marquis DE MOUSTIER, Sahler, MouCHET, DELEULE, GAUDY, ROUX, PILLOD, ESTIGNARD, GRILLON, RAMBAUD, TOURNIER, FALLOT, GROSJEAN, Charles PEUGEOT, CHOPARD, NICOLAS; M. JABOUILLE, préfet. (Délibérations du Conseil général du Doubs, session d'août 1885, pp. 79-81.)

travail de dégagement demeure forcément incomplet dans la direction du nord, le chemin nous a été barré par un ouvrage de fortification qui certainement est assis sur une continuation du pourtour de l'Amphithéâtre antique. Mais, fort heureusement pour notre curiosité, il est aujourd'hui reconnu que cet ouvrage n'a plus d'utilité sérieuse dans la constitution du corps de place, et de plus il est visible que son enlèvement fournirait un complément d'air et d'espace à la caserne d'Arènes aussi le Génie militaire, d'accord avec l'érudit commandant en chef du 7° corps d'armée, M. le général Wolff, vient-il de demander l'autorisation de faire disparaître cet ouvrage, en nous donnant gracieusement l'espoir d'une annexion au square futur du complément de vestiges romains que la démolition projetée ne manquerait pas de mettre au jour.

V

En attendant cette bonne fortune, il convient que je termine mon entretien déjà trop long, par quelques indications précises sur nos récentes trouvailles. L'aperçu que je vais en donner ne saurait être qu'une modeste préface, car c'est à mon éminent collaborateur M. Ducat qu'appartient le soin de décrire, d'après ses ruines, l'Amphithéâtre de Vesontio et de le confronter avec ses analogues. En m'inclinant devant la compétence de mon docte ami, je m'empare du prétexte que me fournit son nom, pour lui dire avec le chantre de la Divine Comédie:

« Tu duca, tu signore, e tu maestro. »>

L'Amphithéâtre de Vesontio avait son grand axe dirigé de nord-est en sud-ouest, c'est-à-dire que la portion qui nous en est échue appartenait au quart méridional de l'ellipse (1).

(1) Voir le croquis autographié joint à ce travail, dont je dois le dessi au talent et à l'amitié de M. Alfred DUCAT.

Il ne nous est rien apparu des portiques qui enveloppaient l'Amphithéâtre; mais, d'après les calculs déjà faits par M. Ducat, nous savons où repérer les fondations de ces arcades. Quant aux pierres qui les constituaient, comme elles étaient d'un gros appareil, elles ont dû tenter tout particulièrement la cupidité des démolisseurs. En dedans de ce pourtour, précisément au milieu du quart méridional de la courbe elliptique, à une distance d'environ dix mètres de l'arrière-façade du corps de caserne, nous avons dégagé le bas de l'escalier d'une des entrées de l'Amphithéâtre. Au niveau de la cinquième marche de cet escalier, un palier existait qui, sur sa droite, avait un prolongement formé par de grandes dalles. C'était sans doute le point d'installation d'un bureau de contrôle. Nous avons regretté de ne pouvoir laisser ce fragment en évidence; mais comme il était au-dessous du niveau général à établir, il a fallu nous résoudre à l'enterrer pieusement, c'est-à-dire sans avoir ajouté la moindre égratignure à sa vénérable décrépitude.

Un peu plus en avant, dix murs d'égale longueur sont disposés comme les rayons d'une roue qui serait ovale autour d'un moyeu elliptique (1). Ces murs, dont les têtes sont alignées suivant une courbe, avaient été reliés par des voûtes qui se reproduisaient aux divers étages de l'édifice et épaulaient les descentesgr adinées où s'asseyaient les spectateurs. Au delà des têtes de murs, régnait un couloir, ou ambulacre, bordé sur sa rive supérieure par la muraille d'une précinction. Celle-ci est formée de deux murs parallèlement courbes, dans l'intérieur desquels sont des cloisons: le tout s'élevait

(1) Dans sa lettre écrite au Conseil général du Doubs, pour demander une subvention en faveur de l'oeuvre des Arènes, M. DUCAT caractérisait ainsi la disposition des murailles antiques retrouvées : « On a rencontré une série de lignes concentriques, reliées à d'autres murs formant rayons d'ellipse, leur groupe ayant l'aspect de secteurs nombreux, contigus et d'une forme très allongée. » (Délibérat. du Conseil général du Doubs: session d'août 1885, p. 80.)

à une certaine hauteur, avec des raccordements en berceaux, pour procurer un balcon, puis une dernière zone de gradins. Le second mur de la précinction est soudé à un blocage perpendiculaire, qui avait été revêtu d'un parement en gros appareil et formait un socle élevé tout autour de l'arène : c'était le podium destiné à préserver les spectateurs de l'atteinte des bêtes fauves.

Deux passages avaient été ménagés dans le morceau de précinction qui nous reste.

L'un de ces passages a son entrée soutenue par une platebande construite avec des claveaux alignés horizontalement et surmontés d'un arc de décharge. Les déblais accumulés devant ce passage abondaient en fragments de tuiles romaines qui provenaient de deux fabriques distinctes: plusieurs épreuves de chacune des marques ont été recueillies (1). Dans ces mêmes déblais, un casque brisé se trouvait

(1) Ces deux marques sont imprimées sur des fragments de grandes tuiles à rebords. L'une des marques a la forme circulaire; son diamètre est de 58 millimètres. Le milieu est occupé par un disque évidé dont l'anneau est absolument lisse. Au pourtour, une inscription en relief, dont les lettres ont environ 8 millimètres de hauteur, est ainsi conçue :

-GLINDICTAMARCI

Le Ga intentionnellement presque la forme d'un O, et de son intérieur part une queue qui lui donne un faux air de la lettre grecque (Phi) : il en résultait que ce G, grâce à son appendice, équivalait aux trois lettres FIG, commencement du mot Figlina. Les lettres LIN, formellement énoncées à la suite de ce G bizarre, donne toute vraisemblance à mon interprétation. Figlinum (au pluriel Figlina) était le nom latin des ouvrages en terre cuite. Le D qui vient ensuite est absolument certain. Entre ce D et les lettres TA, il y a une haste (I) bien nette, qui est suivie d'une lettre moindre, très peu accusée, mais ayant les apparences d'un c. Le dernier mot est parfait d'évidence. Cette marque pourrait donc être lue ainsi :

FIGLINA DICTA MARCI

« Ouvrages en terre cuite dits de Marcus. >>

La seconde marque a la forme d'un cartouche oblong, dont la largeur est de 50 millimètres et la hauteur de 12. Dans le creux assez profond fait par cette marque, on voit, en assez faible relief, des lettres qui ont toute

enseveli. Il est en fer sa calotte avait été décorée de lames d'argent, dont il reste quelques vestiges; ses larges jugulaires et son couvre-nuque conservent encore des bordures en cuivre jaune qui devaient avoir l'apparence de l'or. Cette coiffure militaire, habilement reconstituée par M. Vaissier, a ses analogues en grand nombre dans les bas-reliefs des colonnes Trajane et Antonine. Le dessin scrupuleusement fidèle qu'en a fait M. Vaissier permettra ce rapprochement qui rend évidente l'origine romaine de l'objet (1).

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la hauteur de l'estampille. Nos épreuves de cette marque étant mauvaises, nous ne saurions garantir absolument la lecture que voici :

CELAR

Une traverse mise au sommet de l'A indique un T à suppléer, avant ou après la lettre ainsi géminée. Si l'on place le T avant l'A, la marque se lira CELTAR. Si on l'intercale après, le même mot deviendra CELATR, c'està-dire, à une omission de voyelle près, l'adjectif latin Celator, qui pourrait bien avoir été le surnom d'un fabricant.

Des tuiles portant cette seconde marque avaient été déjà rencontrées à Besançon, dans les fouilles faites, de 1840 à 1845, pour la bâtisse de l'ar senal d'artillerie. La marque avait alors été lue CESAIC, avec l'A surmonté d'une traverse. (A. LAFOSSE, Notice sur les antiquités romaines trouvées dans les fouilles du nouvel arsenal de Besançon [1845], pl. I. Cf. A. VAISSIER, Les poteries estampillées dans l'ancienne Séquanie, no 182, dans les Mém. de la Soc. d'Emul. du Doubs, an. 1881, p. 439.)

(1) Ce casque appartient à la catégorie des types diadémés : les saillies

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